L’économique – L’achat chez nous

Louis Even le jeudi, 01 août 1940. Dans L'économique

Qu'est-ce que l'achat chez nous ? C'est la préférence donnée, dans nos achats, au produit domestique sur le produit importé.

Plusieurs de ceux qui prêchent l'achat chez nous prêchent en même temps l'exportation de nos meilleurs produits à l'étranger. En y regardant de près, cela est à la fois une impossibilité et une dépréciation de nos consommateurs domestiques.

Impossibilité, parce que vous ne pouvez exporter sans être prêts à importer : ce serait drainer le pouvoir d'achat de l'étranger sans lui en passer en retour. L'étranger ne se prêtera pas longtemps à ce jeu.

Dépréciation de nos consommateurs domestiques, parce que ce serait faire cadeau à l'étranger de notre meilleure production, pour laisser à nos familles, avec le pouvoir d'achat ainsi obtenu du dehors, l'accès aux produits de seconde ou troisième qualité qui restent.

Le tourisme n'est pas autre chose.

Mais le régime financier est ainsi fait qu'il nous pousse à ces absurdités.

L'achat chez nous, l'achat du produit domestique est certainement à recommander, mais autrement qu'avec des paroles et autrement qu'en le rendant à peu près impossible. L'achat chez nous doit se faire avec de l'argent de chez nous, non pas avec de l'argent obtenu contre nos meilleurs produits et appliqué aux produits bon marché.

Si l'on veut développer l'achat chez nous, afin de stimuler la production domestique, il faut d'abord permettre aux familles de chez nous d'avoir suffisamment d'argent ou de crédit de chez-nous.

Autrement dit, vous augmenterez la consommation, et donc la production, de produits de la province en augmentant entre les mains des gens de la province le droit aux produits de la province. Ce droit, c'est l'argent — argent de métal ou de papier, comptes de banque, valables dans tout le Canada ; ou simplement comptes de crédit provincial, émanant de l'autorité provinciale, valables dans toute la province, pour tous les produits de la province.

Cela peut sonner charabia à quiconque est resté dans l'ignorance traditionnelle de la question monétaire. Mais les faits, les résultats obtenus dans l'Alberta, qui a commencé à pratiquer l'achat en Alberta, au moyen de crédit albertain émis par le gouvernement albertain, crèvent les yeux et dérangent ceux qu'alarme tout mouvement tendant à affranchir le peuple de la dictature financière.

La politique monétaire de l'Alberta est tellement propre à développer l'achat domestique, que le ministre des finances d'Ottawa, l'Hon. J.-L. Ilsley, signale le fait comme objection à l'octroi d'une charte pour une banque provinciale albertaine :

"La question s'est déjà posée, dit le ministre, de savoir si le gouvernement fédéral devrait aider un gouvernement qui persiste dans une politique d'encouragement à l'achat local. Cette politique est désavantageuse aux autres provinces du Dominion. Cela tend à créer des barrières tarifaires interprovinciales."

Cette remarque du ministre suscite certainement des commentaires. Si Québec, Ontario, si chaque province, par une politique monétaire provinciale, développait la production locale et la plaçait à la disposition des citoyens de la province, n'échangeant que les excédents avec les excédents des autres provinces dans des lignes spéciales, est-ce que tout le Canada ne serait pas prospère et tous les Canadiens satisfaits ? Oui, mais pas les contrôleurs actuels du crédit public, qui verraient ainsi sombrer leur monopole.

Aussi, tant que, dans la province de Québec, on ne fait qu'écrire des articles, prononcer des discours pour stimuler l'achat chez nous par des considérations purement éthiques, sans rien de concret pour l'encourager et le rendre possible, personne ne s'émeut. Mais soustrayez le crédit de la province de Québec au faiseur de dettes et distribuez ce crédit aux citoyens de la province pour permettre d'acheter une production provinciale qui n'attend que des commandes pour augmenter — vous verrez le monopole de l'argent remuer et ses défenseurs à Ottawa fulminer leurs excommunications.

Achat chez nous, autonomie provinciale, maîtres chez nous — belles expressions, mais stérile éloquence d'esclaves. Dans ce domaine comme dans les autres, secouons d'abord les chaînes financières, si nous voulons des réalisations.

Louis EVEN

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