Les questions suivantes ont trait à la coopérative d'argent exposée dans le dernier numéro de VERS DEMAIN (15 novembre). Les créditistes organisés conviennent de supplémenter leur pouvoir d'achat par un crédit comptable qu'ils acceptent entre eux, en échange de marchandises et de services, au même titre que l'argent. Ces crédits supplémentaires naissent socialement, au compte de chaque personne dans chaque famille faisant partie de l'association.
1 — Pourquoi appelez-vous cette coopérative une coopérative d'argent ?
Parce qu'elle existe pour mettre l'argent au service de ceux qui en font partie. On a déjà des coopératives de production, pour mettre une production déterminée au goût et au service des membres de ces coopératives. On a des coopératives de consommation pour organiser la distribution au goût et au bénéfice des consommateurs qui font partie de ces coopératives. Il s'agit maintenant d'une coopérative d'argent pour faire naître de l'argent au service de ceux qui en feront partie.
2 — Mais n'a-t-on pas déjà les Caisses Populaires ?
Assurément, pour placer les épargnes de ceux qui en font partie au service les uns des autres. Mais il ne s'agit là que de l'usage d'argent existant, non d'une augmentation. Puis, c'est de l'argent né dans une banque quelque part et dû à quelque banque par quelqu'un.
3 — Comment cette organisation aura-t-elle le droit de faire de l'argent ?
Elle ne fera pas d'argent proprement dit, mais des émissions de crédit que les membres accepteront les uns des autres comme de l'argent. Sans avoir cours forcé par l'État, cet instrument d'échange aura cours convenu librement entre les membres de l'organisation.
4 — Qu'est-ce qui donnera de la valeur à ce crédit ?
L'existence de produits offerts et la confiance que le crédit accepté par un membre sera utilisable auprès d'un autre membre.
5 — Ce crédit rendra-t-il l'autre argent nul et sans valeur ?
Pas du tout. Pas plus qu'un crédit dans un livre de banque ne rend l'argent de métal ou de papier nul. Les deux sont bons et acceptés par tout le monde. Dans le cas du crédit de l'association, l'argent ordinaire et le crédit interne seront tous les deux également acceptés entre les membres.
5 — Mais combien pourra-t-on ainsi émettre de crédit interne supplémentaire ?
Autant qu'il en faudra pour écouler la production supplémentaire interne qui n'attend que du pouvoir d'achat en face d'elle pour entrer en mouvement.
6 — Qui est-ce qui va dire combien de production supplémentaire est disponible ?
Les producteurs eux-mêmes, comme on l'a expliqué dans l'article. Ce sont eux, et pas d'autres, qui savent ce qu'ils peuvent fournir de plus.
7 — Qui est-ce qui va dire aux producteurs que telle ou telle production répond à des besoins ?
Les consommateurs, en plaçant leurs commandes. S'ils ne le font pas aujourd'hui, c'est parce qu'ils n'ont pas le pouvoir d'achat pour placer des commandes. Lorsqu'ils l'auront, ils pourront faire savoir ce qu'ils veulent.
8 — Les créditistes qui travaillent pour les trustards et qui ne sont payés qu'en argent de banque pourront-ils quand même acheter des autres créditistes ?
Certainement, puisque cet argent de banque est bon. Ils pourront acheter où ils voudront avec cet argent. Avec le crédit supplémentaire, ils ne pourront acheter que d'autres créditistes.
9 — Ceux qui ne seront payés qu'en crédit ne pourront donc acheter que chez des créditistes ?
Les paiements ne seront faits tout entier en crédit que lorsqu'il y aura tout ce qu'il faut pour tous les besoins, au dedans de l'association. C'est une question de comptabilité. Si la production supplémentaire qui attendait est le tiers de la production totale, le crédit émis est égal au tiers du pouvoir d'achat total, les deux autres tiers existant déjà par l'argent des banques. Dans ce cas les paiements faits entre créditistes équivaudraient, en moyenne, au tiers des paiements totaux, qu'il s'agisse de paiements pour des marchandises ou de paiements pour du travail fourni.
10 — Est-ce que cela n'activerait pas la production des créditistes plus que celle des autres ?
Certainement. Et leurs ventes leur permettraient de s'outiller mieux ; cela augmenterait encore les émissions, donc la prospérité de tous au sein de l'association. Des industries s'établiraient pour la clientèle interne surtout, puisqu'elle serait munie de pouvoir d'achat. C'est ainsi qu'on reprendrait rapidement ce que les trusts ont accaparé.
11 — Le colon, le chômeur, l'enfant, le vieillard, qui n'ont rien à offrir, vont quand même participer à l'émission de crédit ?
Mais oui, et cela leur fera du bien, sans nuire aux autres. Prenez cinq personnes associées pour les échanges. Quatre produisent des choses diverses ; la cinquième est un colon qui ne se suffit même pas. Elles ont un crédit total de $100 à mettre au monde. Vont-elles exclure le colon et prendre $25 chacune, ou inclure le colon et prendre $20, chacune ? Dans le premier cas, elles abandonnent un membre, qui ne sortira jamais de sa misère. Dans le second cas, elles aident un débutant qui va peut-être s'acheter un animal ou un instrument aratoire et augmenter la production à son tour, ce qui bénéficiera aux cinq. En plus, ce $20, passé au colon qui n'a rien à vendre, va revenir aux quatre individus qui vendent ; ils auront en définitive le total des $100 à eux quatre, mais après avoir aidé le cinquième et avoir activé leur propre production, grâce à ce cinquième consommateur, qui a relativement plus de besoins que les quatre autres. La même chose peut se dire de l'enfant : c'est comme un crédit qui le prépare pour sa production future. Les parents méritent bien cette allocation pour élever du capital humain. Dans le cas du vieillard, c'est un crédit sur ses contributions passées à la société : il y a d'autres contributions que l'argent. Dans tous les cas, le crédit revient aux producteurs, au prorata de leur production, après être né au service de tous et chacun.
12 — Y aurait-il moyen d'échanger de l'argent ordinaire pour du crédit, et vice-versa ?
Certainement, entre les membres.
13 — Est-ce que l'organisation centrale recevrait de l'argent ordinaire pour fournir du crédit en échange ; puis du crédit pour fournir de l'argent en échange à ceux qui ont quelque chose à acheter à l'extérieur de l'organisation ?
Il vaut mieux, à notre avis, que ces opérations d'échanges soient organisées par des membres, à leur compte. L'association existe pour des fonctions supplétives, pour les fonctions que les membres individuels ou des petits groupements ne peuvent pas accomplir efficacement. Comparez à l'État. Si c'était l'État qui faisait l'argent, il vaudrait mieux qu'il s'arrête là et laisse aux institutions de prêts et d'échange le soin des prêts et des échanges. Autrement, c'est la marche vers l'étatisation, qui entraîne la suppression de la liberté. Donc, en bas le maximum, en haut le minimum.
14 — Au lieu d'une coopérative d'argent comme cela, ne vaudrait-il pas mieux que le gouvernement fasse lui-même l'argent ?
La question est vaine pour le moment, puisque le gouvernement ne veut pas. Mais si la chose peut se faire sans le gouvernement, ce n'en est peut-être que mieux. Cela laisse chacun libre de croire ou de ne pas croire, d'entrer ou de sortir. Les coopératives de production et de consommation, les caisses populaires, ne sont-elles pas mieux comme elles sont que si elles étaient des succursales du gouvernement, avec toutes les servilités et les bassesses que cela signifierait dans la politique de partis ?
15 — Croyez-vous que le gouvernement laissera faire ?
A-t-on ou n'a-t-on pas la liberté d'association, lorsque l'association ne nuit à personne ? À qui cela nuirait-il, que, grâce à une comptabilité appropriée, la production paralysée se dégourdisse et que les produits ainsi mis au monde entrent dans les maisons en plus grande quantité ?
16 — Les créditistes ne s'occuperaient pas de la politique ?
Oui, ils s'en occuperaient, comme tous les citoyens, et intelligemment pardessus le marché. Ils s'efforceraient toujours de placer dans les parlements des gens renseignés, des gens sortis de leur école. Ils ne feraient pas de parti, mais ils enverraient des amis au parlement. Ils feraient exactement comme ont fait les financiers qui, sans perdre leur temps à débiter ou écouter des discours, savent tout de même bien se faire servir en haut lieu.
17 — Mais si votre coopérative d'argent est indépendante du gouvernement, qu'est-ce qui va empêcher ou punir les fraudes, les achats payés par des transferts de crédit sans fonds, etc. ?
Se rappeler d'abord que la coopérative est composée d'hommes libres, renseignés et bien intentionnés. Puis, que l'argent y est devenu un instrument qui sert, non plus une chose rare sur laquelle on se précipite. En outre, si quelqu'un signe sciemment des transferts sans fonds, il fait preuve de malhonnêteté ; il reste à la coopérative à lui signifier son exclusion temporaire ou prolongée, selon la gravité du cas ou la récidivité. Pour compenser la partie lésée, la coopérative peut très bien, sur preuves évidemment, lui verser le crédit qu'elle supprime au membre exclu. Ce sont là affaires de modalité faciles à mettre en accord avec les grandes lignes.
18 — Le bureau local indiquerait-il après chaque transaction l'état de crédit de chacun ?
Évidemment, comme toutes les institutions semblables : banques, caisses populaires, etc. Le certificat de transfert signé par l'acheteur est remis par le vendeur au bureau où ce dernier a son compte : on y crédite le vendeur. Puis le certificat est envoyé au bureau local de l'acheteur qui a signé ; on le débite. Le certificat est classé. Le membre garde en sa possession un carnet que le comptable local met à jour, d'après ses livres, lorsque le membre passe au bureau.
19 — Et vous dites que cette coopérative existera pour les abonnés à VERS DEMAIN. Pas pour les autres ?
Il faut bien que les aspirants sachent de quoi il s'agit. Puis que les membres soient tenus, au courant de leur association.
20 — Croyez-vous de bonne foi qu'un placement d'un dollar par année puisse ainsi payer des ristournes de 5 ou 10 dollars de temps en temps ?
Ce n'est pas une ristourne pour le dollar de l'abonnement. C'est un dividende sur le capital producteur libéré par une association d'hommes qui se sont donné la peine d'étudier et qui ont eu la sagesse de s'associer pour briser les entraves à l'écoulement de la production.