Les questions suivantes ont trait à la coopérative d'argent exposée dans un récent numéro de VERS DEMAIN (15 novembre). Les créditistes organisés conviennent de supplémenter leur pouvoir d'achat par un crédit comptable qu'ils acceptent entre eux, en échange de marchandises et de services, au même titre que l'argent. Ces crédits supplémentaires naissent socialement, au compte de chaque personne dans chaque famille faisant partie de l'association.
21 — La question d'autorité ne se pose-t-elle pas ? Comment pouvez-vous songer à établir une coopérative sans charte du gouvernement, en face de l'opposition du gouvernement ?
Nous ne disons point que nous l'établirons sans charte. Nous demanderons la charte. La charte est un droit. Nous demanderons ce droit, et nous l'obtiendrons : premièrement, parce qu'il n'enlève rien à personne ; deuxièmement, parce que, en face de la puissance de notre organisation, ceux qui donnent les droits seront heureux de l'accorder pour ne pas perdre leur fonction d'accorder des droits.
La page 4, ci-contre, explique comment la même organisation peut, au besoin, exercer une action politique pour atteindre sa fin.
22 — Pourrez-vous avoir des membres de votre coopérative d'argent dans les autres provinces ?
Oui, en autant que cela ne contrevient pas à leur législation provinciale. On peut croire, par exemple, qu'en Alberta où le gouvernement secoue le joug des puissances d'argent, des groupes se formeront et accepteront le crédit de notre coopérative en paiement d'une partie de leur blé ; quittes pour eux à s'approvisionner près des producteurs de notre coopérative pour des biens qu'ils ne produisent pas facilement en Alberta. Ce serait, pour eux, comme pour nous, un supplément de pouvoir d'achat pour un supplément de production, qui n'attendait que cela.
23 — Comment payer les taxes au gouvernement avec du crédit coopératif ?
Les coopérateurs continueront à payer les taxes au gouvernement avec de l'argent ordinaire : ils en auront autant qu'auparavant. Le crédit coopératif, ne l'oublions pas, est un surplus de pouvoir d'achat pour le surplus de production.
Si l'on suivait l'application de l'argent ordinaire prélevé par les taxes, on s'apercevrait qu'une partie ne sert point à acheter la production. Avec la coopérative d'argent projetée, dès lors que la production reste là, soit parce que des taxes ont enlevé du pouvoir d'achat ou pour toute autre raison analogue, la coopérative émet du crédit supplémentaire aux coopérateurs. De cette façon, les taxes n'arrêtent pas l'écoulement de la production : ou bien elles reviennent dans la circulation, ou bien elles sont remplacées par un nouveau pouvoir d'achat par l'émission de crédit coopératif.
94 — Si le gouvernement vient à être entre les mains de créditistes, pourra-t-il accepter du crédit coopératif en paiement des taxes ?
Oui, dans la mesure où lui-même pourra effectuer ses paiements en crédit coopératif. Ainsi, s'il a besoin de trois cinquièmes de ses recettes pour des paiements aux banques et à d'autres qui refusent le crédit coopératif, et deux-cinquièmes pour payer des fonctionnaires qui acceptent le crédit coopératif, il pourra fort bien accepter deux cinquièmes des taxes en crédit. De même pour les administrations municipales.
25 — Comment, avec ce crédit, payer l'électricité du Quebec Power ?
Le crédit coopératif n'est émis que pour payer la production supplémentaire des coopérateurs. Pas pour acheter de l'électricité faite par d'autres. Mais il y a cette compensation : votre argent ordinaire employé à acheter l'électricité laisse devant vous d'autres produits, et pour ces autres produits vous aurez le crédit interne. Exactement comme pour la question des taxes. Tant que les coopérateurs ont des produits utiles à offrir, il y a du pouvoir d'achat en face : argent ou crédit coopératif.
26 — Comment, alors, avec cette coopérative, pourrons-nous reprendre possession de nos ressources naturelles affermées à des trusts ?
Par la même voie qui les a fait perdre. La coopérative va devenir puissante, parce qu'elle rend aux coopérateurs le contrôle de leur crédit, crée la prospérité et attire des membres. Devenue puissante, elle agira par pression auprès du gouvernement, à l'inverse de la pression exercée dans le passé par les trusts : pour délier le gouvernement, en faire le serviteur du peuple et le forcer à reprendre ce que les trusts l'ont forcé à aliéner.
27 — À propos, trouvez-vous humain et chrétien que des hommes travaillent à pleine nuit, parfois le dimanche, pour avoir juste de quoi vivre ?
Pas du tout. C'est stupide, avec tous les développements modernes, avec des machines capables de servir l'homme, d'être ainsi asservis. Au Moyen-Âge, avec moins de serviteurs mécaniques, on trouvait le moyen de dormir la nuit, d'arrêter le dimanche et de respecter une cinquantaine de fêtes chômées par an.
28 — Comment expliquez-vous cette anomalie ?
Parce qu'on nous fait faire un tas de choses inutiles, nuisibles mêmes. Songez seulement aux milliers d'ouvriers employés dans les moulins à papier, pour changer les arbres de nos forêts en papier sur lesquels l'enfer fera circuler des écrits et des gravures qui contribueront à perdre des âmes. Et combien d'autres exemples on pourrait citer !
29 — Comment la coopérative d'argent va-t-elle contribuer à changer cela ?
Parce que, là où naît l'argent, là est dictée la production. Si le crédit naît propriété des hommes, des femmes et des enfants de nos familles, c'est de nos familles que partiront les commandes, les ordres à la production.
30 — Mais les grandes industries ne produisent pas les choses que nos familles veulent avoir ?
Non, et ça ne changera pas du jour au lendemain. Mais à mesure que les commandes de consommateurs rendus solvables se manifesteront, des producteurs y répondront. La production s'adapte, et les travailleurs aussi. Tels mécaniciens, électriciens, menuisiers, tisserands, qui travaillent aujourd'hui pour des industries mastodontes à la commande de trustards, peuvent aussi bien exercer leur art dans des industries plus pratiques, au service des besoins raisonnables des hommes, des femmes et des enfants de chez nous.
31 — Oui, mais ça prend du capital pour installer des manufactures, acheter des machines, etc.
N'oublions pas que, par l'émission équilibrée du crédit interne, on est capable de financer, par l'intermédiaire des consommateurs, tout ce que peuvent faire les producteurs internes. Ce n'est pas un problème de finance, mais un problème de capacités réelles.
32 — Voulez-vous expliquer par un exemple ?
Pierre est menuisier. Il est actuellement employé comme contremaître dans une manufacture annexe d'une distillerie. Il y travaille, avec quelques autres menuisiers, à fabriquer des caisses pour emballer des flacons de liqueurs qui aideront aux trustards à oublier leurs péchés dans des clubs de golf et ailleurs.
Pierre fait partie de la coopérative d'argent et regrette de devoir donner son temps, son travail à une production si peu intéressante, lorsque tant de nos familles auraient besoin de meubles, convenables. Qu'est-ce qui l'empêche d'établir une fabrique de meubles indépendante ? L'achat de machines ? Il peut former une compagnie interne (avec des coopérateurs) ; les actionnaires fournissent leurs parts, en argent dans la mesure où il faut chercher les machines en dehors, en crédit coopératif dans la mesure où les dépenses peuvent être faites au sein de la coopérative. Pour une chose, les actionnaires sont assurés que les produits se vendront tant qu'il y aura besoin de meubles dans les maisons des coopérateurs.
L'argent ou le crédit ainsi détournés pour l'installation d'une manufacture ne servira pas à l'achat de produits en magasin. La coopérative devra dès lors émettre à tous ses membres du crédit additionnel en rapport avec cette diversion. De sorte que l'érection de la manufacture n'aura pas nui au commerce total. Globalement, il y a le même pouvoir d'achat total ; ceux qui se seront individuellement privés d'acheter ont augmenté la part des autres, mais ils auront leur récompense dans les dividendes sur leur placement lorsque la manufacture sera en rendement.
Nous reviendrons, dans un article spécial, sur ce financement créditiste des biens de capital. Pour le moment, ce qu'il importe de faire ressortir, c'est que, en enrichissant l'organisation de crédit au lieu de l'appauvrir ou de l'endetter, on aura affranchi une demi-douzaine de menuisiers canadiens qui étaient subalternes de la production trustarde et on en aura fait des travailleurs indépendants, propriétaires de leurs moyens de production, au service des besoins de leurs compatriotes.
33 — Mais cela contribuerait à décongestionner les grosses agglomérations ouvrières et à développer la petite et moyenne industrie ?
Certainement ; comme ça contribuerait à réaliser une foule d'autres bonnes choses qu'on a prêchées avec raison, mais qu'on ne peut bien réaliser sans s'affranchir de la dictature de l'argent.