Dans les centres où le mouvement créditiste est bien en vie, les associés ne parlent plus que de la "deuxième étape". Tous la désirent. L'Association Créditiste, en effet, s'en va vers une deuxième étape. Encore est-il que cette deuxième étape n'est en marche nulle part. Elle reste à l'état de projet, mais de projet pour la réalisation duquel les préparatifs battent leur plein.
Pourquoi pas tout de suite ? Pourquoi pas au moins là où les associés sont nombreux et décidés ? Parce que, outre des hommes, il faut des faits économiques : production par des associés, atteignant les consommateurs associés par l'entremise de marchands associés.
Que servirait-il d'établir un système de comptabilité 100 pour cent entre associés, si tout l'argent apporté par les salariés et changé en crédit était ensuite réclamé par les marchands pour acheter en dehors de l'Association ?
Même si l'on est sûr d'une petite réserve d'argent, à la fin d'un premier mois, permettant une émission de dividendes sous forme de crédit, il ne faut pas oublier que le crédit va rester en circulation. Le Crédit Social émet des crédits aux consommateurs, mais ne les retire pas à la façon du banquier. Les émissions demeurent et s'accumulent. La circulation de tout ce crédit grossissant exige une réserve proportionnelle en argent. Les apports des salariés n'augmenteront pas. Pour qu'un crédit puisse croître sans que croisse la réserve, il faut qu'il y ait croissance dans la production interne qui s'écoulera sans recours à l'argent de banque.
Il ne peut donc y avoir d'émissions successives que s'il y a augmentation de production par ceux qui acceptent du crédit pur et simple. Or, il serait déconcertant pour les associés de recevoir une première, peut-être une seconde émission, puis d'en rester là. Ce serait pourtant le cas lorsque les émissions auraient épuisé les possibilités de l'offre. Il faut donc voir d'abord à assurer une permanence d'augmentation dans l'offre par des producteurs associés.
Nous avons enseigné, et nous croyons, que l'augmentation du pouvoir d'achat, en augmentant la demande effective, provoque et stimule la production. Tout comme la suppression du pouvoir d'achat paralyse la production. Mais il faut tout de même que la production se fasse. La présence du crédit supprime l'obstacle financier à l'écoulement, mais ne remplace pas le travail, l'initiative, les énergies.
Puisque le crédit de l'Association doit fonctionner entre associés, c'est la production des associés qu'il faut activer et diriger vers les marchands associés, où les consommateurs associés la trouveront.
Si le problème du moyen d'échange n'existe plus pour les créditistes associés, il reste le problème des choses à produire, à transporter, à présenter à ceux qui ont des besoins.
La production, surtout la production industrielle, a été tellement monopolisée, le transport aussi, et le commerce tellement soumis à la finance, grevé de passif et forcé de passer par les canaux des trustards, que les créditistes qui veulent reprendre tout cela s'engagent dans une entreprise gigantesque. Mais elle est commencée. Et les lecteurs de VERS DEMAIN sont sans doute curieux de savoir en quoi consistent ces commencements.
Nous écrivons de Rouyn, ville minière du nord du Témiscamingue. Résumons simplement ce qui se fait ici et dans la région ; c'est un peu ce qui se fera ailleurs, en s'adaptant aux régions, en perfectionnant les méthodes et en éliminant les tâtonnements inévitables dans toute entreprise nouvelle.
Hier, 20 août, sept commissaires du Crédit Social quittaient le centre Rouyn, pour aller dans sept paroisses des environs : Evain, Granada, Belle-combe, Beaudry, Dalembert, Mont-Brun et Destor.
Chacun va passer trois jours dans la paroisse qui lui est confiée, avec un objectif bien déterminé. Disons tout de suite qu'il s'agit des paroisses les mieux créditisées de la région : c'est pourquoi nous les avons élues pour la première expérience. Dans deux d'entre elles, pratiquement toutes les familles sont entrées dans l'Association Créditiste ; dans une autre, les quatre-cinquièmes ; dans les autres, la bonne moitié.
Ce sont des paroisses ouvertes par des colons il y a une demi-douzaine d'années. Mais déjà, le sol y produit, non seulement pour ses propriétaires, mais pour le marché de l'alimentation ; les colons ont aussi du bois de chauffage, parfois du bois d'œuvre, à vendre.
Nos commissaires vont visiter chaque famille associée, demander à chaque chef de famille ce qu'il peut avoir à vendre aux consommateurs de Rouyn et Noranda : quantité, poids, prix. Ces données obtenues et additionnées fourniront l'offre de la paroisse au marché de Rouyn.
Voici, à titre d'exemple, la formule qui guide le commissaire dans cette statistique :
Le.......... Paroisse de....
Récolte de pommes de terre, vers le....
Récolte attendue :......... sacs ;
prix du gros : $........ le sac de 75 livres.
Autres légumes (détailler)
Beurre : actuellement,........livre par semaine,
à vendre à...sous la livre.
Œufs : actuellement,...... douz. par semaine ;
à vendre à........ sous la douzaine.
Animaux prêts pour la boucherie :
Détail Prix
......................
......................
......................
Foin :....... tonnes, à $........ la tonne.
Grains :
Quels grains Quantité Prix
...........
....................
Bois de chauffage (16 pouces) :
......... cordes, à $..... la corde.
Bois de planche :
Description, quantité et prix.
(Dans chaque cas, on indique si le transport est aux frais de l'acheteur ou du producteur.)
Le commissaire fait ce relevé pour la paroisse où il opère, et en même temps montre aux officiers locaux de l'Association comment le faire. C'est qu'en effet, le lieutenant local sera chargé de compiler ces statistiques chaque dimanche à l'avenir.
L'organisation locale de l'Association devient ainsi un bureau d'information. Cette information sera envoyée chaque lundi au bureau régional de Rouyn, où elle sera placée à la disposition des marchands associés.
Nous projetons d'organiser ces jours-ci, à Rouyn, un service de liaison, avec camionnage et entreposage dans la mesure où ce sera nécessaire pour que les marchands de Rouyn s'approvisionnent à ces sources de production avant d'aller ailleurs. Le camionnage pourra opérer dans les deux sens.
L'entrepôt pourra être propriété des producteurs, avec gardien local pour traiter avec les marchands.
Ce même service de liaison sera mis en communication avec les services de liaison analogues dans les autres régions à mesure de leur organisation, ainsi qu'avec les manufacturiers associés, même éloignés, pour les produits qui manquent ici.
On comprend que cela ne se bâtit pas en un jour. Mais on va aussi rondement que possible. La vitesse dépend des faits économiques actuels et de la collaboration des associés.
Toute cette organisation est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de la deuxième étape. Elle doit donc être établie sous la première étape. Nous ne voulons point aborder la seconde avant d'être sûrs d'en faire un succès.
Dès que le secteur ouest de l'Abitibi-Témiscamingue (Rouyn-LaSarre) sera lancé dans cette organisation préalable, nous ferons la même chose dans le secteur est (Malartic-Amos).
Puis, pendant que les préparatifs commencés se poursuivront et se consolideront, nous les lancerons dans d'autres régions de la province, à commencer par les plus avancées.
Tous ont hâte que ce soit leur tour. Du Lac St-Jean, de Québec, de Thetford, les appels nous viennent. "Vers la deuxième étape", c'est le mot d'ordre.
Nous nous réjouissons de constater ces sentiments. Mais ce qui précède donne au moins une idée du travail considérable de préparation. Il ne nous effraye point, pourvu qu'il y ait des travailleurs, des créditistes déterminés et zélés sur les lieux. Qu'ils se lèvent, qu'ils se multiplient, qu'ils fassent preuve d'efforts, et nous irons certainement avant longtemps.
À l'heure actuelle, par exemple, nous demandons à nos lieutenants de grouper tous les abonnés de leur ville ou de leur paroisse par dix, et de placer un Voltigeur à la tête de chaque groupe de dix, pour pouvoir faire rapidement tout ce qu'il y aura à faire parmi les abonnés en vue du travail projeté. Si, dans une ville, on ne peut trouver un homme sur dix abonnés pour prendre une responsabilité qui ne requiert pas beaucoup de son temps, qu'on ne soit pas surpris d'avoir à attendre. D'autres places répondent mieux, présentent donc plus de travailleurs. Nous commencerons par elles, afin de hâter les réalisations quelque part.
Combien de temps devra s'écouler entre les premiers préparatifs, dans la région de Rouyn, par exemple, et l'inauguration effective de la seconde étape ? Impossible de préciser. Tout est soumis aux faits et aux hommes. Les faits économiques, peuvent être soit précaires, soit plus encourageants. Par ailleurs, les hommes peuvent toujours, par leur diligence et leur énergie, changer rapidement les faits, créer ce qui manque, développer ce qui est embryonnaire, orienter ce qui dévie.
Nous avons l'avantage, à Rouyn, d'être entourés de paroisses très créditistes, créditistes jusqu'à l'héroïsme ; mais ce sont de jeunes paroisses, taillées dans la forêt d'il y a une décade. La production agricole y est à ses débuts. Plus au sud, à 60 ou 100 milles d'ici, se trouvent des paroisses plus avancées, fondées il y a trente à quarante ans ; mais le Crédit Social y est moins avancé, parce que c'est loin de Rouyn et c'est de Rouyn qu'est partie la propagande.
Tout de même, nous augurons beaucoup de ce qui existe actuellement, et le dernier mot est loin d'être dit.
Déjà les colons et les cultivateurs de la région projettent une culture intensifiée pour l'année prochaine. Quelques-uns parlent de faire de la culture maraîchère ; d'autres d'en avoir assez pour mettre en conserves. L'industrie des conserves est encore inexistante dans le nord : elle ne tardera pas à prendre naissance parmi les créditistes. Il se fait aussi des plans pour semer et récolter du grain, établir des moulanges et produire les moulées balancées, les fameuses "poches" qui constituent une partie si importante des dépenses des cultivateurs.
Où sont ceux qui disaient que le Crédit Social formerait des paresseux après avoir engendré des rêveurs ?