L’appât du gain

Louis Even le mercredi, 01 janvier 1941. Dans Réflexions

Saint Paul passa deux années à Ephèse, en Asie Mineure. Pendant les trois premiers mois, il enseignait tous les jours dans la synagogue. Puis il donna ses instructions journalières dans l'école d'un nommé Tyrannus. Et nombreux furent les Asiatiques qui crurent dans le Seigneur. (Actes des Apôtres, chapitre XIX.)

Mais il y avait à Ephèse un orfèvre, Démétrius, employant un assez grand nombre d'ouvriers. C'est à Ephèse que la déesse Diane avait son principal temple, et Démétrius faisait un commerce profitable par la vente de petits temples de Diane en or.

L'orfèvre sentit ses profits menacés par la conversion des idolâtres. Diane perdrait ses dévots et lui ses clients.

Il rassembla donc ses employés et, comme nos bons modernes qui cachent leur appât du gain sous des airs d'altruisme et sous des apparences de piété, il leur parla ainsi :

"Mes amis, vous savez que votre gagne-pain dépend de cette industrie. Or, voici que ce Paul de Tarse, depuis qu'il est parmi nous, détourne du culte de Diane non seulement le peuple d'Éphèse, mais aussi de toute l'Asie. Si on le laisse faire, les pèlerinages à Éphèse cesseront, le temple le Diane sera abandonné, les touristes iront ailleurs, personne n'achètera plus nos statuettes et vous serez dans le chemin.

"Allez donc soulever la foule contre lui. Il y va de votre intérêt.

"D'ailleurs, des considérations encore plus élevées nous commandent d'agir. Le respect dû à la grande déesse Diane est en jeu. La majesté de celle que toute l'Asie révère est offensée par ce prédicateur étranger et ses disciples. Si nous ne défendons notre divinité, les dieux nous puniront et le monde entier sera réduit à néant. C'est donc à une guerre sainte que je vous convie, les intérêts des dieux et les nôtres propres sont ici d'accord."

Là-dessus, les employés de Démétrius, les uns par conviction, les autres par crainte d'être renvoyés s'ils faisaient bande à part, sortirent donc et excitèrent la foule en criant : "Grande est Diane, la déesse des Éphésiens !"

Ils entraînèrent des citoyens après eux. Tout le monde criait : "Grande est Diane, la déesse des Éphésiens." La ville fut bientôt dans une confusion extrême. Les gens sortaient des maisons. Les uns demandaient : "Qu'y a-t-il ?" D'autres répondaient : "Nous ne savons, mais sûrement quelque chose de grave. Une émeute ! La colère du ciel !" Et les agitateurs étaient partout, poussant l'excitation à son comble, et criant : "Tout le monde au grand théâtre !"

Le grand théâtre s'emplit. La foule avait traîné quelques-uns des disciples accompagnant Paul. Paul lui-même voulut aller au théâtre pour calmer les gens, mais ses disciples l'en empêchèrent. La foule était trop surexcitée. Pourtant, nous disent les Actes, "la plupart ne savaient pourquoi ils s'étaient réunis."

Un des disciples de Paul, voulant apaiser le peuple, s'avança et leva la main pour réclamer le silence. Mais dès qu'on l'eut reconnu, le signal fut donné par les émissaires de l'orfèvre, et l'on cria de plus belle pendant deux heures : "Grande est Diane, la déesse des Éphésiens !" La vérité est que "gros étaient les gains de Démétrius, le profiteur de la dévotion publique à Diane !"

Sans l'intervention opportune du grammate d'Éphèse, il y aurait eu du sang de répandu. Qu'importait pour l'orfèvre : l'argent n'est-il pas plus que l'homme ?

Si les trustards cherchent un patron, nous pouvons leur recommander Démétrius. Il conviendrait particulièrement à ceux qui profitent en poussant la fabrication et la vente de choses qui ne sont point du tout essentielles au bonheur de l'humanité. Et nous pensons naturellement aux distillateurs, aux brasseurs et aux journaux qui leur font de la réclame... pour l'argent. Nous allions ajouter les marchands de canons et leurs satellites, mais ces derniers ont déjà leur saint Basile Zaharoff.

Louis Even

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