Justice et ordre

Gilberte Côté-Mercier le lundi, 01 septembre 1941. Dans Réflexions

L'injustice ! L'injustice partout ! Dans nos petites et grandes sociétés.

Dans cette grande société-là qu'on appelle l'État, cette société-là qui a pouvoir de vie et de mort sur les citoyens, l'injustice est souveraine.

Dans les affaires, les travailleurs, ceux qui rendent service aux autres, trouvent à peine de quoi faire vivre leur corps, et ont déjà perdu toute la vie de leur âme, leur liberté.

En face, les parasites, ceux qui exploitent les autres, ont toutes les possibilités d'épanouir leur être.

Désordre qui conduit à la décadence économique et morale. Injustice vis-à-vis d'hommes qui ont droit à la sécurité et à la liberté.

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Dans les parlements, d'un côté, ceux qui auraient la compétence et le cœur de travailler au bien commun sont ignorés ou bâillonnés. De l'autre côté, les menteurs, hypocrites, égoïstes, tiennent en main les leviers de commande.

Désordre qui aboutit à l'asservissement des pays et à la destruction des nations. Injustice vis-à-vis de peuples qui ont le droit de vivre et de s'épanouir, comme les individus.

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Dans les idées et les relations sociales, on adule l'homme qui réussit à faire de l'argent, que la méthode d'y arriver soit honnête ou non ; et on blâme le pauvre, le chômeur, le raté comme on l'appelle, quels que soient ses talents et sa vertu.

Désordre qui renverse les valeurs et mène à la débâcle générale. Injustice vis-à-vis de la Providence elle-même qui a placé les êtres dans la hiérarchie de l'Ordre.

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Désordre. Injustice.

C'est l'ordre lorsqu'un être est à la place où il remplit le mieux la fonction pour laquelle il est fait.

Il y a justice lorsque les droits de Dieu et des hommes sont respectés.

Les droits de Dieu sont respectés lorsque les êtres créés par Dieu sont maintenus à la place que Dieu leur a assignée et remplissent la fonction voulue par Dieu. C'est l'ordre. C'est la justice.

Les droits des hommes sont respectés lorsque les hommes ont le pouvoir, la facilité d'exercer, à la place qu'ils doivent occuper par leurs talents et leur vertu, leur rôle de rendre hommage à Dieu et service à la société. C'est l'ordre. C'est la justice.

Pas de justice sans ordre. L'injustice vient du désordre.

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Par où l'on voit que la justice est tout autre chose que l'égalité.

Par exemple, dans l'industrie, que les patrons gagnent plus que les ouvriers, cela peut être nécessité par le besoin qu'ils ont d'une certaine autorité sur leurs employés. Dans ce cas, il n'y a pas égalité de salaire. Il n'y a pas injustice non plus, puisque l'ordre est respecté.

Mais si une trop grande différence de revenus entre les patrons et les ouvriers confère aux patrons un pouvoir de contrôle sur le gagne-pain des ouvriers, voilà qui est injuste, non pas à cause que c'est inégal, mais à cause du désordre qui peut venir de cette puissance qu'ont des hommes sur la vie d'autres hommes.

Un autre exemple. Voici deux hommes qui sont des électeurs à titre de citoyens. L'un est un grand exploiteur de la société. L'autre est un grand serviteur de la société. Le premier a un droit égal au second de voter pour choisir les représentants du peuple. C'est l'égalité, mais ce n'est pas la justice, parce que ça conduit au désordre. On le comprend facilement, on en a si bien senti les effets !

Pour finir, la parabole de l'Évangile : Les ouvriers de la dernière heure. L'employeur donne à tous ses ouvriers un même montant d'argent à la fin de la journée. Pourtant, il y a des ouvriers, qui ont commencé à travailler de bonne heure le matin. D'autres ouvriers ont commencé à travailler seulement à la onzième heure. Cela n'est pas injuste, dit le Seigneur. Pourtant, cela ne donne pas à chacun un salaire équivalent au travail fourni. Mais, cela respecte l'ordre, puisque chacun reçoit un salaire raisonnable. L'ordre étant respecté, la justice l'est aussi ;

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Les hommes sont égaux en nature. Ils sont tous et chacun appelés à la même vie éternelle.

Cela veut dire qu'ils ont tous droit à la part de biens temporels qui leur facilitera l'accès à la vie éternelle.

Mais cela ne veut pas dire que tous et chacun peuvent exiger une part égale de biens.

Pour chacun, une quantité de biens suffisante, mais pas nécessairement égale. Ordre. Justice.

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Vis-à-vis de la société, les hommes sont égaux en ce sens qu'ils ont tous à remplir un certain devoir. Par conséquent, tous et chacun peuvent exiger que la société leur fournisse les moyens de rendre service à la société elle-même.

Une quantité suffisante de biens pour chacun. Ordre. Justice.

Mais, les hommes n'ont pas tous au même degré un aussi grand devoir de charité à pratiquer envers les autres. Ce devoir se mesure à leurs talents.

Suivant les exigences de leurs fonctions sociales, les hommes ont le droit d'exiger de la société les moyens de remplir justement ces fonctions. Et ces moyens doivent être proportionnés aux fonctions de chacun, et par conséquent ne sont pas les mêmes pour tous.

Droits inégaux pour fonctions inégales. Mais justice quand même, parce que l'ordre est respecté et favorisé.

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Voilà des notions essentielles à la juste conception d'un ordre social, et que les réformateurs trouveraient profit à méditer.

Gilberte Côté-Mercier

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