Voici déjà un an que le Père Thomas-Marie Lamarche a mis sur le marché son ouvrage en trois volumes : "Comment rendre l’argent au peuple". Si ce sont des compliments qui font le bonheur du Père Lamarche, il a pu déguster à souhait la préface anglaise dont lui a fait cadeau M. Georges Hermann Derry, S.T.B., Ph.D., LL.D., K.C.S.G., Directeur international de l’éducation sociale au Conseil Suprême des Chevaliers de Colomb, ex-président au Collège de Maygrove, etc., etc.
L’illustre préfacier dit de l’ouvrage du Père Lamarche :
"Une fois le raisonnement de ce livre digéré intérieurement, nul lecteur bien intentionné ne peut résister à ses conclusions triomphantes".
Laissant de côté les autres chapitres, dans lesquels il s’alimente à peu près aux mêmes sources que les créditistes, examinons le chapitre quinzième, Tome III, pages 99 à 157, pour voir ce qu’il présente à la digestion intérieure de ses lecteurs lorsqu’il veut réfuter le Crédit Social, qu’il n’a pas eu le mérite d’inventer.
Notons que, s’il faut l’en croire, le Père Lamarche a lu huit ou dix fois les œuvres même du major Douglas, sans compter les nombreux écrits de ses commentateurs (Voir page 107). C’est à désespérer de sa capacité de lire l’anglais, vu les conclusions qu’il tire de toute cette littérature.
Le Père Lamarche dit (page 102), que Douglas s’en prend au système de distribution par salaire et qu’il propose une distribution des objets de consommation par des dividendes combinés d’un escompte sur les prix.
Il cite à cet effet Warning Democracy, page 34 :
"The dividend shall progressively displace wages and salaries."
Douglas continue sa phrase "as production keeps increasing per man hour." Puis les trois quarts de sa page 35 (Warning Democracy) démontrent comment, à mesure que la science et le progrès déplacent les salariés tout en augmentant la production, il faut bien que quelque chose s’ajoute au salaire, si l’on veut que la production atteigne tout le monde. Il s’oppose en cela à la thèse socialiste (sans doute chère au Père Lamarche) que les dividendes sont vicieux et que seuls les salaires sont recommandables.
Où voit-on, dans la phrase de Douglas, la condamnation des salaires ? Il dit lui-même dans Monopoly of Credit, page 80, phrase d’ailleurs citée par le Père Lamarche :
"Wages and salaries in relation to dividends ought to become increasingly unimportant."
Traduisons :
"Les salaires devraient, par rapport aux dividendes, devenir de moins en moins importants."
Ne maintient-il pas les deux : les salaires et les dividendes ? Le rapport penchera en faveur des seconds à mesure que le progrès lui-même supprimera les premiers.
Le Père Lamarche cite un commencement de phrase du plan de Douglas pour l’Écosse. Notons qu’un plan est susceptible de variations suivant les époques et les lieux.
"Wages in all organized industries will be reduced by 25 per cent."
C’est-à-dire
"Les salaires dans les industries organisées seront réduits de 25 pour cent" (en Écosse).
Premièrement, il n’y a pas là suppression des salaires pour les remplacer par des dividendes, mais seulement dégonflement de salaires qui, sans doute, furent édifiés sans trop se soucier du consommateur. Le texte de Douglas, non cité, stipule d’ailleurs qu’il s’agit des salaires de 1928 (dans les métiers organisés), puis que cette réduction ne devra pas affecter le revenu du bénéficiaire de plus du quart de la somme qu’il touchera par dividende. Est-ce une suppression du salaire ?
Le Père Lamarche cite, en plus d’une circonstance, des phrases détachées du chapitre VIII d’Economic Democracy, qui décrit les grandes lignes d’un système, entrevu dans un avenir éloigné, dans lequel la conservation de l’énergie serait le trait dominant. Le Père Lamarche n’en a pas apparemment compris un traitre mot, mais il glane à plaisir des bouts de phrase ou d’alinéas cueillis en vue d’édifier une idée tout à fait aux antipodes de la doctrine de Douglas.
Ainsi, de la page 107 du livre de Douglas,
"Payment by price manipulation, whether through the agency of profit, stock manipulation or otherwise, is quite definitely antisocial,"
il tire que Douglas est opposé au profit, alors que cent fois dans ses écrits Douglas maintient qu’il n’en veut pas au profit, pas même à celui des banquiers (I particularly want you to avoid making the mistake of assuming that it is the profits of the banking system which I am attacking).
Face à la page 107 du livre cité, la page 106, continuant en cela la page 105, démolit justement l’idée de certains idéalistes, surtout ceux qui réclament le socialisme d’État, de vouloir que le producteur s’acquitte de sa tâche sous le seul mobile de l’impulsion créative. Douglas soutient qu’il faut un stimulant extérieur, une récompense : c’est à la fois pratiquement et moralement sain, dit-il.
Par deux fois, le Père Lamarche cite un bout de phrase de Douglas, de la page 113 d’Economic Democracy :
"Let us imagine the theories of rent and wages to be swept away and discredited."
Douglas dit bien autre chose au cours de cette étude sur une sorte de coopérative de production vers laquelle marcherait le monde mû par l’objectif de la conservation de l’énergie. Mais c’est toujours le fameux chapitre dans lequel le Père Lamarche taille ce qui peut servir son dessein.
C’est ainsi qu’à la page 132 de son livre, le tronqueur de textes cite la proposition 1) de Douglas dans Economic Democracy, page 110, et omet de citer les propositions 2) et 3), la seconde parlant de la récompense au travailleur, la troisième de la récompense à la direction. Et il conclut : plan communiste.
Il est une phrase de Douglas que le Père Lamarche reprend souvent et qu’il ne saisit pas ou ne veut pas saisir :
"The credits required to finance production shall be supplied not from savings, but be new credits relating to new production."
"Les crédits exigés pour financer la production ne proviendront pas des épargnes, mais de nouveaux crédits correspondant à la nouvelle production".
D’où il déduit que Douglas condamne l’épargne et ne veut financer les développements de la production que par la monnaie de dividende.
Le Père Lamarche peut-il nous dire comment des dividendes distribués directement aux consommateurs peuvent être employés à financer la production sans prendre l’orientation de ce qu’il appelle l’épargne ? Le seul fait de placer tout argent nouveau directement entre les mains des consommateurs nécessite justement le développement de la production par des argents nouveaux qui proviennent en premier lieu des consommateurs.
Le sens de la phrase de Douglas, c’est que chaque addition au niveau de la production est financée par une addition à l’argent déjà en cours, et non pas par une soustraction du pouvoir d’achat global, au détriment de la consommation globale. Ce n’est pas, collectivement, privation, mais pour celui qui fait le placement, c’est tout de même une diversion de son argent, de la consommation vers la production.
Le Père Lamarche n’admet pas l’écart entre les prix des produits et le pouvoir d’achat, ou du moins ne l’admettrait plus une fois rectifié le système de création d’argent par les banques sous forme de dette. Il soutient que la production finance automatiquement toute la consommation. Avec les orthodoxes, il affirme que tout l’argent composant les prix est tôt ou tard distribué au consommateur. Le facteur vitesse, que souligne Douglas par l’expression rate of flow semble lui échapper.
Aussi bien de dire que, puisque tous les hommes qui naissent mourront tôt ou tard, la population du monde ne peut augmenter. S’il y a un taux de naissance et un taux de décès différents, il existe également un taux de production et un taux de distribution de pouvoir d’achat qui ne concordent pas absolument.
Page 118 de son troisième volume, le Père Lamarche dit que
"la distribution par dividendes, selon l’idée de Douglas, comporterait une distribution égalitaire et injuste".
Où le Père Lamarche a-t-il vu que Douglas réclame la distribution de toute la production par des dividendes ? Il maintient toujours, au contraire, la récompense à celui qui participe à la production, en plus de son dividende égal à celui de ceux qui n’y participent pas. Le Père Lamarche est sciemment injuste dans cette assertion. Il veut prouver sa thèse et il invente quand il ne trouve plus à tronquer.
Il en est de même lorsqu’il parle de l’escompte compensé, page 122. Il le présente comme la distribution aux ouvriers du profit de l’industriel. Le Crédit Social constate deux totaux : celui de la production totale du pays durant un exercice et celui de la consommation totale du pays durant le même exercice ; il en tire le rapport entre la consommation et la production et fait de ce rapport le cœfficient national des prix durant le prochain exercice. Qu’on cherche là-dedans une distribution du profit de l’industriel aux ouvriers.
Le Père Lamarche jongle avec les mots lorsqu’il appelle le système de Douglas collectiviste et antipersonnaliste. Nous voudrions sa définition de personne et de personnaliste. Nous croyons que la personne étant par nature sociable, il lui faut un système social et non pas individualiste.
Page 128 :
"Le dividende, encore une fois, substitue la distribution gratuite et égalitaire à la distribution proportionnelle par salaires et profits."
C’est ce qu’on appelle, en français non camouflé, un mensonge répété sous la plume du Père Lamarche.
L’article 238, de la page 129 du Père Lamarche, est un chef-d’œuvre de mauvaise foi. Il juxtapose un bout de phrase du livre Social Credit et un autre bout de phrase du livre Economic Democracy pour tirer la conclusion qu’il s’est mis en tête de chercher tout au long de sa piraterie.
Page 132, le Père Lamarche cite Social Credit (plan pour l’Écosse) :
"No transfer of real estate directly either between persons or business undertakings will be recognized. Persons or business undertakings desirable to relinquish the control of real immoveable estate will do so to the Government which will take any necessary steps to re-allot it to suitable applicants."
D’où le Père sans scrupule tire :
"Dans son plan pour l’Écosse, Douglas déclare illégal tout transfert de propriété, laissant à l’État le soin de désigner un successeur à celui qui par décès ou démission. abandonne la direction d’un bien productif."
Où, dans le texte de Douglas, est-il question de décès ? Où est-il question de désignation d’un successeur par le gouvernement ? Dans tout cela, nous ne voyons qu’actes entre vifs, le gouvernement agissant comme intermédiaire, sans doute pour éviter toute spéculation après l’évaluation qui aura été faite préalablement lors de l’initiation du plan, ainsi qu’il appert d’une étude non biaisée du chapitre de Douglas.
Le Père monte sa vapeur là-dessus :
"Quand on enlève à quelqu’un le droit d’épargner ou de prêter ses épargnes, le droit de léguer son argent par testament, le droit de posséder en propre un plan industriel, de le léguer à son fils, quand on décrète l’abolition du principe de la propriété privée, du crédit individuel sous toutes ses formes..."
Pauvre Père, si vous ne savez pas lire, ou si vous lisez dans votre imagination au lieu de sur la page, dispensez-vous au moins de servir votre ratatouille au public.
Le Père Lamarche se plaint de trouver Douglas obscur et diffus. Mais comprend-il mieux les autres auteurs créditistes ? Voici ce qu’il cite de W. A. Tutte (Douglas Social Credit for Canada).
"National Dividend Participation certificates shall not be transferable by sale or deed of gift, and shall become null and void immediately upon death or permanent departure from Canada of the holder."
Et il traduit :
"La monnaie du Crédit Social ne peut être ni transférée à profit (prêtée), ni léguée par testament."
La traduction fidèle serait :
"Le certificat de participation au dividende ne sera transférable ni par vente, ni par donation, et deviendra nul et invalide immédiatement au décès du détenteur ou à son départ définitif du Canada."
Le certificat de participation, le droit de recevoir un dividende ne peut certainement pas se transmettre. Il ne s’agit pas de la monnaie, mais du droit d’en recevoir, droit qui disparaît nécessairement par la mort ou l’expatriation.
Sur le texte incompris de Tutte, le Père Lamarche, avide de trouver des arguments à l’appui d’une conclusion faite d’avance, se hâte de bâtir la même thèse que sur les textes amputés ou falsifiés de Douglas.
Quel est le mobile qui pousse ainsi le Père Lamarche à vouloir détruire une technique scientifique, équilibrée, gardienne des droits de la personne, opposée à toute enrégimentation et à toute étatisation, doctrine qui a résisté à vingt-cinq ans d’attaques provenant de critiques beaucoup mieux doués que le Père Thomas-Marie Lamarche ?
Nous respectons le caractère religieux et la soutane du Père Lamarche, mais l’habit ne confère certainement pas la science. L’ignorance et la malhonnêteté restent ignorance et malhonnêteté, où qu’elles s’abritent. Ajoutons que le corporatisme dont il a chocolaté ses théories ne rendent ses déformations que plus pernicieuses. C’est un empoisonnement dissimulé contre lequel VERS DEMAIN se devait de mettre ses lecteurs en garde.
Louis Even