Formation de la personne

le mercredi, 15 juillet 1942. Dans Réflexions

On nous recommande souvent de lire les vies des grands hommes, pour y puiser des exemples. C'est très bien, ces lectures stimulent, en effet.

Mais ces hommes furent grands pendant leur vie. Ce n'est pas leur disparition, ni la succession des années sur leur cercueil qui les a rendus ad­mirables. Il faut donc croire qu'il y a sur la terre, à notre époque, autour de nous, des hommes su­périeurs, sur lesquels nous pouvons nous modeler.

De fait, il y en a, et c'est déjà une marque de jugement de savoir les reconnaître au milieu du jeu des passions de la foule, dans la routine de la vie courante, dans un monde où les fleurs vont surtout aux grands vendus.

Tout de même, il nous arrive de sentir le rayonnement de leur personne. Quelque chose s'échappe d'eux qui frappe et qui retient ceux qui les coudoient et qui ne sont pas tout à fait abrutis.

Pas plus que les grands disparus, les grands vivants ne sont un produit spontané. Ils se sont faits ce qu'ils sont. La force qui émane d'eux et s'impose est la résultante d'énergies cultivées et dirigées.

La formation de la personne repose sur la for­mation de l'intelligence et de la volonté. L'in­telligence qui éclaire, la volonté qui décide. Le physique est secondaire chez les grands hommes. Ils dominent, parce que, chez eux, l'esprit domine la matière. La domination de la matière par l'es­prit commence chez eux et se continue autour d'eux. On n'est bien maître des choses et des hommes que lorsqu'on est d'abord maître de soi-même.

Nous sommes les plus grands esclaves si, chez nous, la matière domine l'esprit. La vraie liberté commence lorsque l'esprit est maître des impul­sions, recteur des actes.

Le monde est plein d'hommes qui occupent de la place, certains occupent même beaucoup de place. Mais ils ne sont pas pour cela grands. Leur taille physique, leur force musculaire, leurs habits impeccables, leur fortune, le pinnacle politique où conduisent parfois les trahisons moyennant une bonne couche d'hypocrisie, le prestige cultivé par une presse stipendiée et enjuivée — tout cela peut retenir en passant, mais ça sonne le creux. Pareils hommes ne rayonnent pas, ils aveuglent ; ils n'attirent pas, ils abasourdissent.

Ces surfaits ne sont même pas maîtres de leurs passions. Leurs objectifs s'arrêtent à des intérêts immédiats, égoïstes jusque sous le couvert d'une pellicule d'altruisme.

Grands, ces hommes ? Dites grands somnam­bules, qui traversent la vie en attroupant des ba­deaux. Leur intelligence n'est guère plus qu'un instinct qui sait apprécier, calculer en vue de la satisfaction personnelle. L'effort chez eux est pro­voqué, soutenu, par la perspective d'un intérêt immédiat ou prochain. C'est un appât, pas un idéal, qui les guide. Les grandes visions leur sont interdites, justement à cause de leur égocentrisme. Ils voudraient rapetisser le monde à la contenance de leur propre écaille. Leurs facultés sont au ser­vice de leur poche ou de leur gloriole. Beaux par­leurs, peut-être, mais qui profanent le verbe. S'ils se penchent vers le peuple, c'est pour le prendre dans leur lasso. Derrière leur masque est embus­quée une bête qui renifle sa proie.

Nous, créditistes, nous qui voulons racheter notre pays, nous qui sommes dans l'action pour grouper les forces de bonne volonté, si nous ai­mons véritablement notre cause, si nous voulons la servir dignement, si nous voulons faire œuvre constructive et durable, commençons donc par nous former, par nous dominer.

Cette formation-là ne s'achète pas avec de l'ar­gent, elle ne se bâtit pas avec du prestige plus ou moins volé. Elle est le fruit de l'effort constant, de l'étude, de la méditation, de fréquents examens de ses propres actes, mais surtout du désintéres­sement, du dévouement simple, animé et soutenu par des vues surnaturelles.

Nous sommes des petits et des faibles, luttant contre des forces puissantes et brutales. Mais, si nous soignons cette formation de notre personne, nous sortirons victorieux du combat, soit tôt soit tard, nous aurons le mot de la fin, parce que la matière ne saura jamais détruire l'esprit.

Nous ne voulons pas dire que le fait de nous former nous-mêmes donnera le Crédit Social. Mais cette formation fera de nous des hommes mieux préparés, plus capables, plus dynamiques et persévérants. Les contradictions ne nous affais­seront pas. Nous saurons examiner les obstacles avec sang-froid, étudier objectivement les situa­tions, juger sainement des hommes et des choses.

Nous voulons sincèrement le Crédit Social. Même nos adversaires reconnaissent notre sincé­rité. Joignons-y une formation personnelle de plus en plus complète, notre cause y gagnera, notre pays en profitera.

Alphonse ROBERT

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