En lisant les journaux - No. 1

le mercredi, 01 novembre 1939. Dans En lisant les journaux

Guerre bienfaitrice

"Il n'y a pas qu'aux États-Unis où les conditions économiques s'améliorent, car, suivant le rapport de la Banque de Montréal rendu public en fin de semaine, le relèvement industriel serait déjà fort intéressant chez nous et il ne tardera pas même à être encore beaucoup plus prononcé, pour peu que les missions, anglaise et française, présentement au pays, s'empressent de donner leurs commandes d'armements. De plus, l'abondance des récoltes dans l'Ouest cette année, la mise au travail de nombre de chômeurs et enfin les fortes dépenses de toutes sortes que nos autorités gouvernementales seront obligées de faire, vu notre participation à la guerre, sont autant d'autres facteurs de nature à activer notre vie économique et partant à accroître en définitive le revenu national." (Le Canada, 25 septembre 1939).

Allez donc prier pour la paix après cela ! Prier pour la paix, mais ce sera revenir au chômage. En temps de paix, on nous dit que les gouvernements doivent restreindre les dépenses pour rétablir l'économie. La guerre déclarée, on nous dit que les dépenses des gouvernements pour les instruments de destruction vont être un facteur pour activer notre vie économique. De quel charabia ces écrivassiers économiques veulent-ils nourrir les esprits ?

C'est d'ailleurs la note générale dans les journaux, que la guerre va ramener la prospérité au moins pour le temps qu'elle va durer. Prions donc pour que la guerre dure jusqu'à la fin du monde, si l'on veut être logique. La note suivante est du Progrès du Saguenay du 21 septembre :

"La guerre sans doute va donner un coup de fouet à l'industrie et donner du prix aux produits des cultivateurs ; une activité factice va naître... Mais songeons que la crise d'après-guerre sera beaucoup plus dure que la présente."

Félicitons Le Progrès de cette dernière remarque, elle est juste.

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Savoureux

Le Financial News de Vancouver, cité dans l'Edmonton Journal du 19 septembre, prêche le dépouillement héroïque :

"Le Canada, ayant déclaré la guerre à l'Allemagne, ne devrait pas se tenir dans la position d'un neutre qui ne veut rien envoyer à l'Angleterre à moins d'être payé. Ce ne sera qu'un faible sacrifice, après tout, si, au début des hostilités, la principale contribution du Canada consiste en denrées, et notre patriotisme impérial ne sera qu'une moquerie, aux dépens du contribuable anglais, si le Canada veut se faire payer pour tout ce qu'il fournit dans cette guerre contre la tyrannie. Le Canada devrait accompagner ses ventes à la Grande-Bretagne de cadeaux réguliers et substantiels que les Canadiens paieraient au moyen de taxes générales."

Au moyen de taxes générales : ce n'est pas conscrire la richesse, mais prendre dans la poche de tous les Canadiens pour soulager le contribuable d'Angleterre. Qu'on multiplie tant soit peu les articles de ces éméchés-là, les partisans du séparatisme dans notre province auront de bonnes munitions.

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MANGEZ DES POMMES

La désorganisation du service maritime marchand par la guerre a créé un problème pour le pomiculteur de la Nouvelle-Écosse qui écoulait ses fruits surtout en Angleterre. La Gazette de Montréal, du 23 septembre, l'expose à ses lecteurs et fait des suggestions, entre autres :

"Les pommes de la Nouvelle-Écosse sont en danger de se perdre, faute d'acheteurs. Le transport vers l'Europe est devenu plus dispendieux, le service maritime est désorganisé. On suggère que chaque citoyen du Canada achète un ou deux barils de pommes de la Nouvelle-Écosse, ou même davantage. Le bon sens l'inspire, le devoir patriotique le réclame." On demande aussi l'aide du gouvernement pour fournir l'entreposage des surplus qui, autrement, pourriront.

Les citoyens du Canada ne désirent nullement voir pourrir nos bonnes pommes et ils ne demandent pas mieux que d'en acheter chacun deux, et même quatre barils — devoir bien agréable qu'on n'aurait pas besoin de nous rappeler si la multiplication des pommes dans les vergers du Canada multipliait proportionnellement et automatiquement les dollars dans les poches des mères de famille. Le gouvernement pourrait aussi se passer de fournir des entrepôts s'il avait appris à fournir l'argent : ce serait plus facile pour lui, plus efficace et plus satisfaisant pour tous.

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Bien dit, mais...

Paroles de bon sens d'un Américain, M. Ernest T. Weir, président de l'American Iron and Steel Institute, d'après une dépêche de l'United Press, émanée de Pittsburg, le 25 septembre :

"Les États-Unis ne devraient en aucun temps manufacturer des munitions pour les vendre à des pays étrangers, qu'ils soient en paix ou en guerre. Ce n'est pas le genre d'affaires qui doit nous intéresser. J'admets que le présent conflit européen stimule les affaires de la sidérurgie, mais cela ne témoigne pas d'un bon état de santé économique. La guerre ne produit rien de sain ; il y a effondrement quand la guerre se termine et les pertes subies alors sont inimaginables... Les méthodes du vieux continent n'ont produit autre chose que la guerre. Nous pouvons faire beaucoup pour assurer la paix et sauvegarder la démocratie en démontrant au monde que la paix et la démocratie sont possibles en Amérique sans la perte de la sécurité et de la prospérité de notre peuple."

Cependant, nous aimerions que les États-Unis eussent donné ces dix dernières années le spectacle d'une population en sécurité et en prospérité. Ce n'est pas avec douze millions de chômeurs vivant de misère en face du sabotage de la production qu'on présente au monde un exemple bien imposant.

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Quand l'océan s'en mêle

Du Financial News de Montréal (22 septembre) :

"Un bulletin du ministère de l'Agriculture de la Nouvelle-Écosse demande d'activer la production du sol. Il est urgent, dit-il, d'accroître la surface des terrains cultivés, les semences de céréales, important aussi d'augmenter le rendement en légumes et en produits laitiers. C'est ainsi que la Nouvelle-Écosse pourra aider la mère-patrie. L'expérience de la dernière guerre est là ; la guerre sous-marine est déjà en vigueur et la mer prendra certainement son prélèvement de la production."

Tout cela est très bien. Et nous croyons que les autres provinces ne pensent pas autrement. Mais il n'y a pas tant d'années qu'on demandait la restriction des emblavures de l'ouest, et depuis une décade nos cultivateurs de partout réduisaient leur production parce qu'elle ne trouvait pas preneur. Que ne suggérait-on alors d'en jeter une partie au fond de la mer s'il fallait cela pour activer la production et maintenir de bons prix ? Avait-on besoin des sous-marins pour démontrer que la destruction pure et simple est la meilleure alliée d'un régime économique détraqué ?

C'est le même journal qui remarque, comme bien d'autres d'ailleurs, que l'indice économique est monté, grâce à la guerre. Quelle économie, tout de même, dans un monde civilisé !

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Stimulant tardif

Toujours dans le même numéro, 19 septembre, du Financial News de Montréal, nous trouvons ce titre :

"Une nouvelle inflation du crédit stimulerait les affaires."

Il s'agit d'une nouvelle émission de crédit en plus de celle de 55 millions qui a eu lieu par la vente de billets du Trésor aux banques à charte.

Nous expliquons dans notre page économique comment les banques créent du crédit chaque fois qu'elles achètent des obligations du gouvernement, débentures ou billets du Trésor, comme aussi chaque fois qu'elles octroient des prêts aux industries…

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Bienvenus, oisifs !

De l'Évènement-Journal du 25 septembre :

"En vingt-quatre ans, le tourisme a rapporté à la province de Québec la somme énorme de 740 millions... C'est à peine si la crise européenne a éloigné les visiteurs américains de notre territoire... Le gouvernement actuel ne néglige rien pour activer le tourisme... Par les tracts, Ise brochures de toutes sortes, le film et des conférences, bref au moyen de tous les éléments dont dispose la publicité moderne, on a fait à notre province une propagande intense dont les résultats ne font pas de doute."

C'est tout à fait orthodoxe. Mais en termes crus, qu'est-ce que tout cela veut dire ?

Cela signifie que la province a pu fournir 740 millions de biens à des gens qui ne sont bienvenus qu'à condition de dépenser et de ne pas travailler. En échange de ce cadeau à des oisifs, le public travailleur a pu acheter ce qui restait de sa production.

Voilà un bon moyen d'honorer le travail !

Est-ce que, par un système un peu moins idiot, on n'aurait pas pu faire avoir au public de la province le pouvoir d'achat global pour acheter TOUTE la production de la province, ou l'équivalent en importations des produits exportés ? Faut-il, par "une propagande intense", solliciter une invasion de gens qui ne font rien pour avoir le droit à notre propre production ?

Si ces 740 millions de pouvoir d'achat avaient été créés et distribués en dividendes aux familles de la province de Québec, la production aurait connu exactement la même vigueur, mais au lieu de 740 millions mis à la disposition d'étrangers en promenade, on aurait eu 740 millions de produits de plus à la disposition de familles qui fournissent du capital humain à la province.

Ce ne serait plus de la finance orthodoxe, ce serait du crédit social. Ce serait moins bête et plus humain : c'est pour cela sans doute que des prétendus éclairés le critiquent.

Des moralistes nous prêchent d'encourager le travail et de réprouver la paresse ; d'autres nous mettent en garde contre les envahissements de "l'esprit américain". Les uns et les autres pourraient trouver matière à réflexion dans la manière créditiste de financer l'achat de la production d'un pays.

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"L'erreur propre à l'individualisme consiste à tailler dans la vie humaine et la vie sociale trois compartiments imperméables : la vie morale, la vie économique et la vie politique ; elle est à l'antipode de l'erreur propre au socialisme qui est tout au contraire de confondre les trois compartiments. L'individualisme libéral, c'est comme un trio où le violon, la violoncelle et la flûte jouent chacun son morceau sans s'occuper des autres ; le socialisme, c'est un solo ; la doctrine catholique, c'est un concert instrumental."

(Père R. G. Renard, o. p., dans "L'Église et la question sociale")

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