"Dieu ou le veau d'or" - IV

Rév. Père Peter Coffey, docteur en Philosophie le jeudi, 15 août 1940. Dans Réflexions

IV

Rappelons à nos lecteurs que cette étude, dont nous présentons la quatrième tranche, est du Révérend Père Coffey, prêtre irlandais et sociologue reconnu, depuis longtemps professeur de métaphysique et de logique au Séminaire de Maynooth.

Le. Père Coffey cite fréquemment le Pape Pie XI (Quadragesimo Anno) pour condamner ce défaut de l'instrument monétaire, le contrôle de l'argent par un petit nombre de profiteurs.

Il rappelle que ceux qui sont en charge, dans l'Église comme dans l'État, ont comme devoir, non seulement de prêcher les principes, mais d'étudier les conditions qui empêchent la concrétisation de ces principes dans la pratique.

La société asservie aux banques

Le Père Coffey relève, entre autres, certains faits qui crèvent les yeux :

"Le système bancaire seul possède et exerce de facto, le pouvoir de "fabriquer et de canceller la monnaie","

C'est ce que saisissent tous ceux qui comprennent la méthode du banquier pour prêter. Le banquier crée dans son livre le compte qu'il prête à l'emprunteur. Ce compte sert d'argent. C'est de l'argent nouveau fait par la plume du banquier. Le remboursement retire de l'argent du pays et le banquier ne place cet argent dans le compte de personne. C'est une cancellation d'argent.

À remarquer que la société, par l'intermédiaire de l'emprunteur qui rembourse, paie, dans l'intérêt, un véritable tribut au banquier, au créateur de l'argent. Chaque dollar que le banquier crée exige 5 sous ou davantage de tribut.

Pourtant, l'argent tire-t-il sa valeur de la banque ou de la société ? L'auteur nous dit :

"La valeur, la validité, le pouvoir d'achat de cet argent ne proviennent pas de l'or, mais du crédit national, c'est-à-dire, de ce que la société est capable de produire des biens pour honorer cet argent.

"La société ne devrait donc pas être forcée de payer des intérêts perpétuels aux créateurs de l'argent. Elle paie tribut à des comptables qui ne font qu'enregistrer une valeur de production qui lui appartient, à elle, la société.

"De plus, la société est forcée de payer ce tribut, non pas en produits qu'elle peut faire, mais en argent qu'elle ne fait pas. Le banquier exige, comme tribut, une chose que lui seul a le droit de faire. Le banquier seul fait l'argent. Or il ne fabrique que le capital, mais il demande de lui rapporter le capital qu'il a créé, plus l'intérêt qu'il n'a pas fait et que personne autre n'a le droit de faire."

Intérêt — Usure

Le Père Coffey établit une différence entre l'intérêt réclamé sur la fabrication de l'argent et l'intérêt demandé par un prêteur sur de l'argent déjà en existence. Le prêteur ordinaire se prive de son argent en faveur d'un autre ; en retour, il demande à cet autre de lui payer un surcroît en retour de la privation. Mais le banquier, lui, ne se prive de rien lorsqu'il prête : il crée le compte qu'il prête. Cette création ne lui coûte rien que les frais d'écriture.

"Ce paiement d'intérêt, par la société, au système bancaire, sur de la monnaie nouvellement créée et qui ne coûte rien, n'est pas du tout semblable ni comparable à l'intérêt qu'un prêteur ordinaire exige sur de l'argent déjà en existence, qu'il a gagné, épargné et prêté à l'industrie."

Le Père Coffey rappelle ici une phrase du Pape Léon XIII, écrite il y a un demi-siècle, alors que l'argent de comptabilité (la création bancaire avec une plume) n'avait pas encore pris le développement d'aujourd'hui. Mais le Pape, attentif et perspicace, décelait déjà le venin. Le sociologue de Maynooth croit que c'est à cet intérêt bancaire sur l'origine de l'argent que Léon XIII faisait allusion dans Rerum Novarum :

"Une usure dévorante est venue encore s'ajouter au mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l'Église, elle n'a cessé d'être pratiquée sous une autre forme par des hommes avides de gain et d'une insatiable cupidité."

Ce n'est plus tant les taux élevés d'intérêt d'autrefois sur de l'argent véritable, mais l'intérêt chargé sur l'argent à sa naissance. Si 25 pour cent est un taux usuraire, 7 pour zéro l'est infiniment davantage.

Injustice criante

D'où le Père Coffey conclut :

"Quelle qu'en soit la forme, il est manifestement injuste que la société soit forcée de payer, à des groupes de citoyens privés, un tribut financier perpétuel pour l'usage de sa propre monnaie. Elle verse ce tribut, partiellement par les prix payés pour la production, partiellement par les impôts directs ou indirects. Les bénéficiaires sont les directeurs de banque qui créent l'argent pour la société sans qu'il leur en coûte un sou à eux-mêmes. Après avoir émis cette monnaie sans privation personnelle, ils la retirent et la cancellent, laissant la société sans argent et avec une dette impayable. Quittes à recommencer l'opération.

"Cette injustice est aggravée du fait que la société, qui produit les biens sur lesquels est basé l'argent, ne peut tout de même pas créer l'intérêt en argent que le banquier réclame périodiquement.

"La société, sous le système en vigueur, ne peut pas créer le $5.00 d'intérêt qu'elle doit payer annuellement pour l'usage du $100.00 créé par les banques. Seules les banques pourraient créer ce $5.00 d'intérêt. Si elles le font, elles ne le livrent à la société débitrice que comme un capital nouveau qu'elles réclament et sur lequel elles chargent encore un nouvel intérêt. La dette grossit ainsi à un point où il devient impossible de payer les seuls intérêts, abstraction faite du capital."

Évidemment, ce tribut de plus en plus gros, soustrait annuellement à la société, diminue de plus en plus le pouvoir d'achat des consommateurs qui composent la société. D'où l'impossibilité d'acheter les produits de l'agriculture et de l'industrie. D'où la paralysie de la production elle-même :

"C'est un fait facile à vérifier, et souvent vérifié, dans les pays capitalistes : Le total du revenu que la société pourrait affecter à l'achat de ses produits diminue constamment.

"La monnaie ne remplit plus dès lors sa fonction essentielle. Les conséquences de cette lacune sont désastreuses et cumulatives."

Conséquences

Le système économique n'atteint plus sa fin : la distribution des biens produits pour être consommés se trouve entravée :

"Le système bancaire s'efforce constamment de retirer le plus tôt possible l'argent émis pour la production, sans se soucier de voir à ce que cet argent ait effectué aussi la distribution."

Le Père Coffey résume ainsi les conséquences désastreuses de l'entrave apportée par un système défectueux :

a) Une concurrence effrénée. On cherche à diminuer le plus possible les prix de revient, en coupant sur les salaires ou en pressurant les ouvriers. Puis on cherche à vendre le plus cher possible. Le tout pour récupérer les frais totaux, y compris l'intérêt sur l'argent créé.

b) Une série continuelle de faillites. Les plus faibles et les moins brutaux tombent devant la concurrence, faute de pouvoir d'achat global suffisant chez les consommateurs.

c) La naissance de monopoles par la disparition des concurrents faibles.

d) Accumulation croissante de produits qui ne se vendent pas, malgré les besoins de consommateurs sans argent.

e) Lutte internationale pour les marchés étrangers, afin d'y écouler ces surplus. D'où conflits économiques engendrant des conflits militaires.

f) Orientation de l'industrie vers la production de biens de capital : machines, outillage, etc., pour essayer d'augmenter entre les mains du public l'argent nécessaire à l'achat des biens de consommation.

g) Faillite graduelle de cette tentative, vu que les machines déplacent l'ouvrier et parce que l'outillage ainsi augmenté est bientôt réduit au repos, les consommateurs n'ayant pas l'argent pour acheter les produits de cet outillage.

Dans la prochaine et dernière tranche de l'étude du Père Coffey, nous verrons quel remède il propose logiquement au mal qu'il vient d'analyser.

Rév. Père Peter Coffey, docteur en Philosophie

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