Ainsi, dans le cas qui nous occupe, loin de donner surtout libre cours à sa juste indignation, le créditiste se dira :
"Tout créditiste est un amant de la personne humaine, parce qu'elle est l'image de Dieu. Mon but premier est d'assurer à cette personne humaine le minimum vital. Mais j'ai un but, une fin plus immédiate à moi-même, plus profonde, plus mystérieuse et d'un singulier dynamisme : j'agis d'abord par amour du Vrai, Primat de la Charité.
Ma première fin, temporelle, est soumise à la seconde, qui est supra-temporelle ; je puis manquer ma première fin, mais jamais la seconde, car "l'amour se suffit à lui-même."
J'élimine ici tout le langage philosophico-théologique, bien à regret, car il faut le vocabulaire adéquat pour faire comprendre ces splendeurs ; oh ! le jour heureux où l'on pourra parler de ces problèmes primordiaux, théologiquement et philosophiquement, dans des revues vraiment libres !
Voilà un peu ce qu'est agir socialement "en chrétien". L'espace me manque pour expliquer davantage. Et puis vous devez faire cette méditation face à la Crèche ; à vous de la poursuivre autant que nécessaire pour saisir. J'ajoute seulement que là niche la différence entre l'esprit d'un créditiste à philosophie protestante et celui d'un créditiste à philosophie catholique. Le protestant veut le Crédit Social par humanitarisme, par philanthropie, par amitié, par amour du juste, etc. Les motifs du catholique s'incarnent, en plus, dans la notion de personnalité et surtout dans une Personne, le Christ, qui incarne la Vérité, la Justice, l'Amour. Cette notion de personne joue partout.
Résumons : ma fin principale, c'est d'aimer le vrai, et cela davantage même sous l'assaut des incompréhensions, des turpitudes, de l'ignorance, des préjugés, de la mauvaise foi, des trahisons ; et, dans cet amour, d'aimer, par amour de la Personne du Christ, la personne humaine, pour laquelle je veux le minimum vital que permet l'abondance.
Passons à la mentalité, à l'esprit ; il est le corollaire, le rayonnement de ma fin : être ouvert à la Vérité, d'où qu'elle vienne ; en un mot un esprit-pro, un esprit pour tout le vrai, non esprit d'abord contre quelque chose ou pour un seul plan du vrai. Un esprit vraiment constructif. L'opposé de ce que vit le monde intellectuel présent, et l'autre donc !
Un exemple par le contraire. Je crois que cet exemple en est un de totalitarisme sur lequel le Père Ledit, S. J. a si bien écrit dans L'Ordre Nouveau, et dont il a donné de si typiques illustrations.
Je lisais, dans le dernier numéro de Le Trait d'Union, organe d'un de nos collèges classiques, page 3, sous le titre Des Hommes de Caractère sur le Front National de l'Économie, les lignes suivantes :
"Avant de parler d'application de doctrines sociales modernes, prouvez-moi que nous sommes maîtres de nos destinées, et je vous dirai si la rénovation a des chances de succès chez nous. La logique nous défend d'émettre des théories nouvelles et de tenter des efforts dans ce sens, aussi longtemps que nous ferons le jeu d'une domination étrangère."
On touche du doigt les multiples sophismes qui nichent dans ces quelques lignes, par ailleurs sincères. Il serait intéressant de réduire cette charge à quelques syllogismes en forme, pour les disséquer selon les règles d'une stricte logique. Tel n'est pas mon but.
1. Il suffit d'abord de constater que nous sommes de moins en moins maîtres de nos destinées, pour être tentés de lorgner de nouvelles doctrines économiques. Et si, en outre, il arrive que nous nous apercevons que telle de ces nouvelles doctrines est précisément le moyen le plus efficace de "ressaisir au plus tôt les leviers de commande de notre vie économique"', il devient au moins logique de promouvoir une telle doctrine.
2. La logique nous ordonne d'appuyer une théorie nouvelle qui, précisément, s'attaque aux erreurs fondamentales qui ont permis et assurent la domination étrangère.
Libérez économiquement, par une monnaie saine, la personne humaine, et vous ouvrez la voie essentielle — sans laquelle on gaspillera en vain, comme dans le passé, beaucoup de forces précieuses — à toute véritable réforme humaniste, nationale ou autre.
Enfin, je citais ce texte pour montrer comment un créditiste ne doit pas argumenter. Il doit veiller à ne pas être spirituellement "totalitarisé" par son objectif proprement monétaire. Le texte cité plus haut prouve une totalitarisation de l'activité intellectuelle par le national ; même si c'est un national légitime, il ne légitime pas la "totalitarisation".
Ainsi, au lieu de s'attaquer de front à la doctrine de l'Achat Chez Nous, s'il trouve qu'on la prêche de façon illogique, le créditiste s'efforce de montrer tout ce qu'il y a de juste dans les positions de l'apôtre de l'Achat Chez Nous, tout en soulignant combien il serait plus efficace, plus sûr et plus complet, d'enlever d'abord à la dictature économique son principal moyen d'oppression : la domination du crédit.
Le créditiste soulignera encore comment des doctrines que certains voudraient à tout prix opposer, sont complémentaires ; que le missionnaire canadien-français qui peine en Chine, loin de nuire au progrès concret du sain nationalisme canadien-français, l'aide de façon surabondante, façon bien supérieure à celle de celui qui, par inadvertance, voudrait tout absorber dans le national ; et que celui qui fait œuvre d'Action Catholique ou œuvre proprement sociale, aide du même coup le national, par surabondance d'en-haut encore.
Ce qui ne signifie point, comme certains voudraient me le faire dire, qu'il ne faille point d'ouvriers sur le plan proprement national, surtout dans la position exceptionnelle du peuple canadien-français en Amérique.
Voir tous les plans, tout le réel !
Voilà quelques-unes des pensées que je livre à votre réflexion.
J'aurais bien aimé vous parler du Crédit Social dans ses rapports avec la philosophie, ou même de technique monétaire. Mais je constate que, si les intelligences sont bien malades, les cœurs le sont fort aussi. Si bien que ce qui manque souvent à plusieurs, pour aborder le Crédit Social avec des chances de le comprendre, c'est un minimum nécessaire de générosité d'esprit et de générosité de cœur. Pourtant, nous, catholiques, professons la théologie de la surabondance de la Charité et la philosophie de la surabondance de l'être ; pourquoi aurions-nous peur de la simple abondance économique ?
Devant la Crèche, prions les uns pour les autres, pour tous les chefs, pour tant de bergers qui ont tellement besoin de Force et de Lumière.