Des repus

Gilberte Côté-Mercier le dimanche, 01 mars 1942. Dans Réflexions

"L'abeille qui a trouvé sa fleur cesse de bourdonner."

Monsieur Money est un banquier. C'est un homme très bien. Tout le monde le respecte. Ex­cepté les créditistes, comme de raison. Aussi, c'est bien de la faute à monsieur Money, il est aimable avec tout le monde, excepté avec les créditistes.

À tous les hommes et les femmes d'œuvres qui viennent lui demander de l'aide, monsieur Money donne généreusement. Justement, cette Fédération des œuvres recevra bientôt un beau $1000 de monsieur Money. Les mouvements de jeunesse, les Chambres de Commerce, les coo­pératives, les cercles économiques, les bonnes Sœurs, les aumôniers, les Caisses Populaires — il faut bien faire quelques concessions —, tout ce bon monde reçoit de l'encouragement de monsieur Money.

Quel bon garçon que ce monsieur Money-là ! Et il vous reçoit avec le sourire toujours. Mais, n'allez pas lui parler de Crédit Social, il vous étrangle.

Il va sans dire que vous n'oserez jamais de­mander à monsieur Money de vous aider à finan­cer un mouvement comme le Crédit Social. De la charité pour vous, créditistes, monsieur Money n'en a point. Vous le savez bien d'ailleurs, puisque monsieur Money se nourrit du système actuel. Il ne tient pas à le changer. Même ce système lui permet de sauver son âme, en lui donnant l'occasion de faire la charité qui cou­vre la multitude des péchés. Peut-être que mon­sieur Money se méprend sur le sens de la vraie charité, mais passons ! On ne peut tout de mê­me pas dire que monsieur Money n'est pas un repu. C'en est un de première qualité.

Monsieur Bourgeoys n'est pas de la même es­pèce. C'est un homme qui a réussi, servi par son talent et les circonstances. Il ne sympathise pas avec le système actuel qui lui cause des inquié­tudes. Ce n'est pas à cause de ce système vicieux que monsieur Bourgeoys a réussi, car monsieur Bourgeoys est un homme honnête. On peut dire que monsieur Bourgeoys a réussi malgré le sys­tème actuel.

Monsieur Bourgeoys est un homme juste, on vient de le dire. Il est aussi charitable à ses heu­res, quoique beaucoup moins que monsieur Mo­ney.

Monsieur Bourgeoys n'est pas opposé au Cré­dit Social. Il est même abonné à VERS DE­MAIN. Ça l'intéresse de voir du monde qui se démène comme les créditistes. "Ce sont de bons petits travaillants", dit-il.

Mais, chose curieuse, monsieur Bourgeoys n'a jamais songé une minute à encourager de ses deniers ces "bons petits travaillants" de cré­ditistes.

Sans doute que monsieur Bourgeoys n'est pas pressé de voir venir le Crédit Social. Il va sans dire, monsieur Bourgeoys est une autre sorte de repu.

Monsieur Jaipas se dit un créditiste à cent pour cent. Mais, comme il était chômeur l'an passé, il n'avait pas d'argent pour s'abonner à  VERS DEMAIN. Tout le monde comprend cela. Et les voisins de monsieur Jaipas s'étaient coti­sés pour payer l'abonnement de ce créditiste.

Mais, cette année, tout est changé. Monsieur Jaipas travaille douze, quatorze et seize heures par jour. Monsieur Jaipas gagne beaucoup d'ar­gent. Mais, voilà il n'a plus le temps maintenant, plus le temps du tout de s'occuper de Crédit So­cial. Tout le monde comprend cela aussi.

Pas d'argent pendant la crise. Pas le temps pendant la guerre. Il manque toujours quelque chose à monsieur Jaipas. Mais, comme ses voi­sins qui se sont cotisés pour lui payer un abon­nement, pourquoi monsieur Jaipas ne se taxe-t-il pas pour faire travailler au Crédit Social ceux qui ont le temps, maintenant que lui n'a pas le temps et qu'il a de l'argent ?

Pourquoi ? Apathie ? Égoïsme ? Il serait gênant de dire que monsieur Jaipas est un repu. A moins qu'on dise que c'est un repu temporai­re.

Repu de première qualité, repu de seconde sorte ou repu temporaire, aucun d'eux ne nous donnera le Crédit Social.

Gilberte Côté-Mercier

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