Curieux de monde !

le dimanche, 15 mars 1942. Dans Réflexions

"Curieux de monde que le nôtre ! Il y a huit ou neuf ans, quand le ciel n'existait que pour l'azur et les astres, quand les champs ne poussaient que des céréales, que les feuilles ne cachaient que des nids d'oiseaux, et que sur les chemins ne roulaient que des automobiles, le monde, dans les pays re­tardataires comme le nôtre du moins, ployait sous le fardeau du chômage et périssait, au milieu de l'abondance, dans les plus indescriptibles misères.

"La guerre est venue. Les avions font concur­rence aux étoiles. Les cimetières envahissent les champs ; les canons et les tanks, les chemins ; pen­dant que les feuilles dissimulent des nids de mi­trailleuses. La prospérité est aussi revenue, appa­remment, mais le malaise subsiste. Les classes ou­vrières et paysannes sentent instinctivement qu'elles touchent le prix du sang. Les jeunes sa­vent que le mariage ne leur est désormais permis que parce que l'on creuse des tombes sur trois continents...

(Mais la fin de la guerre viendra).

"N'ayant plus à débattre la question de la cons­cription, les hommes d'État canadiens-français de­vront étudier le système bancaire canadien, afin d'y apporter les améliorations nécessaires. Ils de­vront voir à faire cesser ce scandale de la faim trô­nant sur des tas de blé ; des pieds nus arrêtés près des pyramides de chaussures neuves invendues ; des corps grelottant près des surplus d'habits en stock. Les politiques devront aider les gens à bri­ser ce cercle vicieux, d'une surproduction causée par le manque de pouvoir d'achat et d'un manque de pouvoir d'achat causé par la surproduction. Ils ne devront se rendormir dans les parlements, si tel est leur désir, que lorsque tous et chacun joui­ront de ce "minimum vital" réclamé par l'huma­nisme intégral, c'est-à-dire chrétien, même par l'humanisme tout court."

Jean-Paul ROBILLARD (Le Devoir du 24 déc. 1941.)

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