"Curieux de monde que le nôtre ! Il y a huit ou neuf ans, quand le ciel n'existait que pour l'azur et les astres, quand les champs ne poussaient que des céréales, que les feuilles ne cachaient que des nids d'oiseaux, et que sur les chemins ne roulaient que des automobiles, le monde, dans les pays retardataires comme le nôtre du moins, ployait sous le fardeau du chômage et périssait, au milieu de l'abondance, dans les plus indescriptibles misères.
"La guerre est venue. Les avions font concurrence aux étoiles. Les cimetières envahissent les champs ; les canons et les tanks, les chemins ; pendant que les feuilles dissimulent des nids de mitrailleuses. La prospérité est aussi revenue, apparemment, mais le malaise subsiste. Les classes ouvrières et paysannes sentent instinctivement qu'elles touchent le prix du sang. Les jeunes savent que le mariage ne leur est désormais permis que parce que l'on creuse des tombes sur trois continents...
(Mais la fin de la guerre viendra).
"N'ayant plus à débattre la question de la conscription, les hommes d'État canadiens-français devront étudier le système bancaire canadien, afin d'y apporter les améliorations nécessaires. Ils devront voir à faire cesser ce scandale de la faim trônant sur des tas de blé ; des pieds nus arrêtés près des pyramides de chaussures neuves invendues ; des corps grelottant près des surplus d'habits en stock. Les politiques devront aider les gens à briser ce cercle vicieux, d'une surproduction causée par le manque de pouvoir d'achat et d'un manque de pouvoir d'achat causé par la surproduction. Ils ne devront se rendormir dans les parlements, si tel est leur désir, que lorsque tous et chacun jouiront de ce "minimum vital" réclamé par l'humanisme intégral, c'est-à-dire chrétien, même par l'humanisme tout court."
Jean-Paul ROBILLARD (Le Devoir du 24 déc. 1941.)