Constatations et prévisions

le mardi, 15 juillet 1941. Dans Réflexions

Montréal, le 28 juin 1941

Monsieur le Directeur,

J'espère pouvoir vous faire parvenir aujourd'hui le prix de deux abonnements à VERS DEMAIN et, à cette occasion, vous dire ce que je pense de la doctrine créditiste.

Force m'est de différer l'envoi, mais je tiens à souligner, tout de suite, que je tiens cette doctrine comme le seul instrument actuel capable, économiquement, socialement, etc., de sauver la situation périlleuse dans laquelle nous agonisons. Doctrine dont on comprend mieux le sens chrétien à mesure qu'on l'approfondit davantage.

N'est-ce pas elle qui, la première, a émis l'idée de disposer du surplus réel de notre production en faveur de pays moins favorisés, de pays sans civilisation ? Cette approche, par le soulagement des misères physiques, ne serait-elle pas de nature à y promouvoir la pénétration du christianisme ? Fruit de l'enseignement créditiste dans la province de Québec, cette innovation affirmerait du coup l'influence canadienne et française, tout en y préparant un fort courant de commerce entre le Canada et ces autres pays à mesure de leur développement.

Puis n'est-ce pas le Crédit Social, avec son organe "Vers Demain", qui a tant fait pour propager, vulgariser les encycliques Rerum Novarum et Quadragesimo Anno, en faisant mieux pénétrer dans le peuple leur riche mœlle de doctrine sociale ? Les créditistes ont appris à plusieurs que les papes savent éminemment s'incliner sur les misères humaines, les consoler, dénoncer les causes et orienter vers les guérisons.

On a trop couramment imputé à l'Église le rôle d'éteignoir, d'endormeuse des masses, de protectrice des puissances en selle. Les encycliques sont pourtant là, pour confondre la calomnie. Encore faut-il qu'elles soient connues, ces encycliques, même lorsqu'elles flagellent la dictature de l'argent. Là, VERS DEMAIN, journal libre et d'inspiration catholique, s'est constamment efforcé de faire tout son devoir... peut-être un peu celui des autres.

Combien peu savent reconnaître dans les positions privilégiées qu'ils occupent des obligations pour seconder la Providence dans le bon gouvernement du monde !

Où sont ceux qui, par leur situation sociale, sembleraient tout désignés, mais qui refusent obstinément — non serviam — d'accomplir leur mission ? Par l'omission de leur devoir social, ne sont-ils pas en grande partie responsables des désordres qui déferlent sur le monde, y semant des guerres, des ruines physiques, des ruines morales, parmi lesquelles germent les pires ferments de haine et d'anarchie ?

Qui, dans le monde des acrobates de la finance, des créchards collés à leur flanc, de la politique de partis, de l'aristocratie de l'argent ; qui, dans la politique derrière l'autel et les autres inviolables de la cabale ; qui, de tous ceux-là, va s'aviser de penser aux problèmes qui tourmentent l'humanité et de les approfondir ? Sont-ce les présidents de banque genre Beaudry-Leman, ou leurs valets à plat-ventre, ou les copains heureux de bénéficier de la caisse des partis pour prendre et garder des sièges où l'on n'a pas beaucoup à suer pour avoir droit à des honoraires ?

Heureusement qu'une armée d'hommes et de femmes se lève à l'appel de VERS DEMAIN, s'organise dans les cadres de l'Institut d'Action Politique, pour claironner la vérité, déchirer les masques et bannir les influences perverses. Œuvre gigantesque entreprise dans des conditions adverses, mais qui se poursuit sans faiblesse, avec des succès dépassant toute prévision, alors que se répand cette doctrine créditiste avec la rapidité d'un "feu de Pentecôte."

Pour le dire ici, je suis de ceux, si nombreux, qui, pour des raisons de dépendance et d'assujettissement, sont forcés de taire leur identité à l'égal d'un crime lorsqu'ils veulent exprimer leurs idées. Dans la province de Québec, province de liberté. Liberté, à condition qu'on y renie sa dignité d'être pensant et intelligent, qu'on relègue la religion à la vie privée et qu'on ne lui permette jamais d'ébranler le trône du veau d'or ou de discréditer ses grands-prêtres.

Mais, si nous voulons, la dictature économique, avec les forces conjuguées des pouvoirs asservis à sa dévotion, à ses intérêts ambitieux, tire à sa fin.

L'état de dégradation des vieux partis politiques tenus en laisse par les puissances d'argent les a rendus suspects, pour le moins, à la totalité des honnêtes gens.

N'avons-nous pas trop fait confiance aveugle à l'efficacité de nos institutions de haut enseignement économico-social ? La classe dirigeante, formée par ces institutions, manifeste un état d'impéritie et d'aberration prononcée — à moins qu'il s'agisse de partie liée avec les puissances d'argent — et regarde, sans plus, le peuple rouler vers l'abîme.

Nous, les baptisés, n'avons pas le droit de transiger, de subir davantage le joug inhumain de la jungle capitaliste, de la juiverie maçonnique possédée du désir impie de domination mondiale, d'effacement du Christianisme dans le monde.

C'est nous les créditistes, et de l'Alberta et du Québec, ou d'ailleurs, nous croisés du vingtième siècle, sortis du commun peuple, ni diplômés ni parcheminés ; c'est nous, forts du sang rouge qui coule dans nos veines et de l'idéal qui inspire nos énergies ; c'est nous qui allons instaurer dans la cité temporelle un ordre qui marquera l'une des époques les plus mémorables dans l'histoire économique et politique du monde.

C'est nous, les créditistes, qui, répondant d'une façon concrète aux pressants appels des encycliques, assureront à tous et à chacun, par un dividende national à chaque individu, le droit aux biens terrestres nécessaires pour procurer une honnête subsistance.

Nous considérerions comme un crime passible du fer rouge, de tolérer plus longtemps le vol légalisé du bien commun, le détournement de ce qui appartient légitimement à tous vers une petite clique d'exploiteurs sans entrailles.

Tant pis pour les maîtres du jour et leurs thuriféraires. Tant pis pour les esprits maladifs qui, consciemment ou inconsciemment, en défendent le statu quo, s'opposent à l'avènement d'un règne de justice sociale, de bien-être honnête et de paix. Ne sont-ils pas, du fait même, réfractaires à l'épuration des mœurs, au relèvement de la morale publique ?

Pardon, cher Monsieur Even, de cette trop longue lettre, de ma trop grande franchise d'expression, coupable peut-être d'indiscrétion ou d'empiètement involontaire.

LYSTERUS


* * *
N.D.L.R. — Nous publions ailleurs, dans ce numéro, les communications d’un jeune. La lettre ci-dessus nous vient d’un citoyen qui a fait sa grande part pour son pays, toujours sur la brèche pour défendre la langue que nous parlons, la foi que nous pratiquons, la nationalité dont nous sommes fiers. Et à 68 ans bien comptés, ce patriote est à peu près réduit à mendier son pain quotidien. Encore les miettes qu’il peut se procurer sont-elles conditionnées par le silence qu’on lui impose. Les traîtres et les gavés de la crèche conduisent, pendant que les lutteurs vivent en parias. Hâtons l’heure de la délivrance... et du nettoyage.

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