Au hasard des lectures

Louis Even le dimanche, 15 décembre 1940. Dans En lisant les journaux

Pas d’estomacs au Canada?

Un brave correspondant de La Terre de Chez Nous, M. Pierre Landry écrit, entre autres, dans le numéro du 16 octobre :

Mon voisin élève des porcs et les envoie à Montréal. Il ne demande pas s'ils vont plus loin. Ces porcs s'en vont en Angleterre, comme le fromage du troisième rang et comme le blé de l'ouest. L'Angleterre tombée, il n'y aurait à peu près plus de marchés pour le surplus de notre production agricole. Le Canadien peut donc dire, sous une forme réaliste, brutale si on aime mieux, qu'il se bat pour vendre du bacon et du fromage à l'Angleterre. Il y a là une raison d'être dans la guerre.

S'il n'y avait pas d'autre pays que le Canada sur la planète, les Canadiens feraient tout de même encore du blé et élèveraient encore des porcs. Qui est-ce qui mangerait le pain et le bacon ? M. Pierre Landry trouve qu'on en a trop, même quand des Canadiens s'en passent. On en a trop ? Pourquoi alors nous prêcher d'ouvrir encore d'autres terres à la colonisation ? Pour nourrir les autres pays ?


Boni à la destruction

Dépêche de la Presse Canadienne, du 15 novembre :

Ottawa, 15 — Le sénat a entendu hier le sénateur John Haig (conservateur, Manitoba), proposer au gouvernement d'accorder un boni aux producteurs de blé pour qu'ils arrêtent leur production. D'après son plan, les producteurs recevraient un boni de $5.00 pour chaque acre non cultivé, jusqu'à concurrence d'un tiers des emblavures normales. Il estime qu'une telle mesure diminuerait la production de 240 millions de boisseaux par année.

Ainsi un fermier qui possède 300 acres de terre à blé pourrait en laisser 100 en jachère improductive. Le gouvernement le paierait $500.00 pour diminuer la production du pays. Beaucoup plus fin sans doute que de distribuer $500.00 aux consommateurs pour leur aider à acheter de la farine dont ils se privent !

La Providence, plus le cerveau et les bras de l'homme ont rendu le Canada trop riche, il faut payer pour nous rapprocher de la rareté.

Et le notaire Naud, de Saint-Marc des Carrières, va encore nous soutenir que c'est le bon Dieu qui fait les crises ! Et il va se choquer encore si on lui dit que les "intellectuels" sont dans les patates !


Faut-il des bombes ?

Dépêche de la Presse Canadienne, du 20 novembre :

Ottawa, 20 — M. Thomas Reid, député libéral de New Westminster (Colombie-Britannique), a recommandé hier au gouvernement de faire cadeau à la Grande-Bretagne de produits agricoles et de poissons canadiens. La Grande-Bretagne a besoin de plus d'aliments qu'elle n'en importe, mais elle conserve ses livres sterling pour acheter les munitions essentielles. Le peuple canadien, dit M. Reid, a toujours été prêt à secourir les peuples affligés par un tremblement de terre ou une inondation. Pourquoi alors n'aiderions-nous pas le peuple anglais dans la bataille de Grande-Bretagne ? Nous avons un grand nombre de produits agricoles pour lesquels nous ne pouvons trouver de débouchés.

L'argument est excellent, et nous jugeons certainement qu'on devrait faire cadeau de produits qu'on ne peut écouler, plutôt que de les laisser détruire. Nous voulons bien encore qu'on songe à l'Angleterre. Mais que diable, n'a-t-on jamais vu au Canada des familles, et en grand nombre, qui se privent de ces mêmes produits, parce qu'elles n'ont ni livres sterling ni dollars pour les acheter ? Le grand nombre de nos familles se privent de choses qu'elles voudraient bien avoir, qui sont chez nous et qu'on ne peut écouler. Et on ne songe ni à les donner, ni à établir un mécanisme d'argent qui leur permette de les obtenir plutôt que de les laisser perdre. Faut-il attendre que nous soyons sous les bombes pour que les députés prennent sens de la situation ? La politique de partis a-t-elle engourdi leurs méninges à tel point qu'elles ne peuvent se remettre en branle qu'à coups de canons ?


Un coup de bourse

On se rappelle que, pendant la première guerre mondiale, une bataille navale d'assez grande envergure, mais de résultats indécis, se déroula à l'ouest du Jutland, entre une escadre allemande commandée par von Hipper et une escadre anglaise commandée par Beatty.

Dès le jour de la rencontre, le 31 mai 1916, les détails en parvinrent secrètement à Londres par les tentacules de l'Intelligence Service. Le reste du monde ignorait encore le résultat de la bataille.

À une assemblée de l'Intelligence Service, un financier d'envergure et d'imagination Sir Ernest Cassel, eut l'idée de tirer parti de cette primeur. Il proposa de câbler à New-York la nouvelle d'un échec britannique d'une gravité extrême. Proposition humiliante pour l'Angleterre. Mais, devant le résultat financier entrevu, les ministres de l'époque donnèrent leur approbation à l'envoi du télégramme.

Il y avait bien eu des pertes de part et d'autre. Mais il existe une sorte de mensonge qui consiste à ne dire qu'une partie de la vérité. C'est ce genre de mensonge qui avait enrichi le juif Nathan Rothschild à millions le lendemain de Waterloo. L'histoire devait se répéter.

Le 1er juin 1916, une dépêche, rédigée dans l'officine de l'Intelligence Service à Downing Street, énumérait les pertes britanniques en les augmentant à dessein, passait sous silence les pertes allemandes, et apprenait ainsi aux Américains que la flotte anglaise avait essuyé une défaite sans précédent.

L'effet attendu fut immédiat. Les valeurs britanniques s'écroulèrent à la Bourse de New-York. L'Intelligence Service fit acheter en masse ces titres à des prix dépréciés.

À peine l'opération d'achat terminée, Downing Street fit envoyer un nouveau télégramme. Des nouvelles complémentaires, disait-on, permettaient d'affirmer que la bataille du Jutland s'était terminée par une écrasante victoire britannique. Le revirement à la Bourse fut aussi violent que le premier, mais cette fois dans un sens inverse. Les acheteurs de la veille revendirent à prix fort et ce fut pour les Anglais au détriment du portefeuille américain, un gain unique dans l'histoire des spéculations boursières.

Véritable complot qui apporta à ses ingénieurs un bénéfice estimé autour de 300 millions de dollars en quelques heures !

Naturellement, l'animateur, Sir Ernest Cassel, en tira un profit personnel qui le plaça au rang des banquiers les plus puissants du monde et lui permit l'acquisition d'une opulente villa à Monte Carlo. Tout en contemplant les flots bleus de la Méditerranée, il y pouvait méditer, avec complaisance sur le coup de bourse si bien réussi du 2 juin 1916.

Nous avons déjà signalé la figure de Sir Ernest Cassel dans notre numéro du 15 mai dernier. Cassel était un banquier juif, né en Allemagne. Il possédait les actions de contrôle dans l'industrie des Vickers, où il avait comme associé le millionnaire des armements Basil Zaharoff. Cassel était depuis de longues années l'ami intime de Jacob Schiff, alors président de Kuhn, Lœb & Cie, de New-York.

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"Quelquefois, on peut être obligé de résister à la loi, bien qu'elle n'impose rien de contraire en soi à la loi de Dieu. La soumission perpétuelle des bons encourage l'audace des législateurs injustes. Une résistance virile et prudente leur donnerait a réfléchir. Il y a des scandales utiles ; il faut savoir sacrifier son intérêt personnel, même très légitime, à l'intérêt général." (A. Molien — Dictionnaire de Théologie Catholique Vacant et Mangenot, p. 908, colonne 2.)

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Qu'est-ce que la politique ? Ce devrait être l'art de gouverner un pays. Mais dans l'opinion de trois quarts et demi de nos gens la politique, comme quelqu'un la définissait récemment, c'est "cette lutte stérile ou funeste de partis ou de factions, ce fiévreux déchaînement d'ambitions personnelles ou de passions idéologues, cette excitation permanente à la division et à la haine où un historien voyait la plus dangereuse épidémie qui puisse s'abattre sur un peuple."

Voilà ce qui intéresse certaines gens chez nous comme dans bien d'autres pays, et voilà ce qu'il faut qu'un journal leur offre pour qu'ils daignent s'y intéresser. Heureusement le nombre de ces gens diminue de jour en jour. — "L'Ordre Social".


"Deux amis ont jasé... Crédit Social"

Qui pourrait dire l'effet que cause une conversation entre deux amis — amis dans l'épreuve, amis dans la souffrance ? Un an, deux ans après, on se retrouve de nouveau, on se rappelle des bribes de ces entretiens, on en est fier, on en a tiré profit.

Un créditiste, par exemple, qui veut gagner un ami à la cause, emploie tout ce qui est en son pouvoir : explications, arguments, un Syllabaire, deux copies de Vers Demain, et v'lan ! ca y est ! Cela peut très bien se faire par correspondance. La poste de Sa Majesté fait magnifiquement la commission. L'ami accuse réception de la littérature, la lit avec intérêt, et tôt ou tard ce sera un créditiste de plus.

Qui sait si ce nouveau converti ne se fera pas l'apôtre de la cause dans son beau pays joliettain (ou autre) ? On ne sait jamais ! Un créditiste qui veut réellement peut faire beaucoup et loin. Voyez plutôt : la lettre suivante, partie du comté de Joliette, est adressée à un ami d'Amos, en Abitibi.

Mon cher Aldéo,

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le Syllabaire du Crédit Social et les deux numéros du journal Vers Demain que tu as bien voulu m'adresser. Si je n'étais pas le capitaliste endurci (sans capitaux pourtant) que je suis, je te demanderais de me mettre sur ta liste d'abonnés. Qui sait ? Ça viendra peut-être, et peut-être plus vite que tu penses...

Je commence à déchanter de jour en jour sur les beautés du système économique actuel. Quand je vois la danse effrénée des millions, accompagnée de la fanfare toujours plus bruyante des taxes, et que cela ne résulte qu'en déficits dans tous les coins, je conclus que ça cloche certainement quelque part et je me prends à raisonner un peu "créditistement" !

D'autant plus que j'ai lu, il y a quelques mois, un petit fait sur lequel les journaux n'ont pas insisté outre mesure, malgré qu'il rompt avec les habitudes de toutes les provinces. Le petit fait se rapportait à l'Alberta et m'a fait entrevoir un tout autre Aberhart que celui que je m'étais figuré. On disait simplement qu'Aberhart avait réussi à faire construire dans sa province 500 milles de routes nouvelles de toute première qualité, sans endetter d'un sou le trésor provincial. Comment a-t-il fait ? Les journaux n'en soufflaient mot. Mais j'aimerais bien qu'il passe sa recette au gouvernement de la province de Québec, parce que ça va nous en prendre des taxes sur l'essence et des ponts de péage avant d'en faire autant !

En attendant que la province trouve la solution de ses problèmes d'argent dans la méthode créditiste, je te souhaite tout le succès possible pour mener à bien l'œuvre que tu as entreprise avec tant d'ardeur.

Ton ami,

ÉLISÉE

★ ★ ★

Et voici la réponse d'Aldéo à Élisée :

Bravo, mon cher ! Si tu n'es pas créditiste de nom, tu l'es tout de même de cœur.

Encore un petit mot pour te convaincre davantage.

Sais-tu que le Trésorier provincial de l'Alberta, Solon Low, annonçait cet été un SURPLUS de $1,592,579 pour le trimestre terminant le 30 juin, sans tenir compte, par dessus le marché, des avantages obtenus par une conversion de dette ?

Sais-tu aussi que chaque consommateur de l'Alberta qui achète des produits de sa province par l'entremise d'une comptabilité provinciale mise à la disposition de tous, reçoit un escompte de 3 pour cent, sans diminuer la recette du marchand et sans endetter qui que ce soit ? Est-ce de la coopération, cela, oui ou non ? Est-ce que ce n'est pas la meilleure manière de promouvoir de "l'achat chez nous" ? À tel point que le ministre des finances d'Ottawa reprochait récemment à l'Alberta de se développer aux dépens des autres provinces !

Je te surprends, n'est-ce pas ? Eh bien, laisse-moi te dire que j'ai encore une bonne réserve de ces petites vérités à te dire, mais ce sera pour une autre fois. Mon dernier mot est celui-ci : Tu dois en avoir assez pour m'envoyer immédiatement ton abonnement au journal Vers Demain.

Ton vieil ami,

J.-Aldéo FOREST, créditiste

Louis Even

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