Un créditiste du comté de Frontenac écrivait à M. Oscar Gatineau, ancien rédacteur du Bulletin des Agriculteurs et compétent, paraît-il, en choses agricoles, pour lui demander son opinion sur le Crédit Social.
C'est un autre chapitre. Mais avec sa vitesse de compréhension, il a suffi à M. Gatineau d'une courte visite (c'est son expression) au journal VERS DEMAIN, et le voilà à même de déclarer que le Crédit Social ne lui dit pas grand'chose. Il publie cela dans Le Temps.
Il a parcouru le Syllabaire du Crédit Social et le résume ainsi : 11 pages pour exposer les maux de la société, 4 pour expliquer le remède qu'est le Crédit Social, 4 pour répondre aux objections, 5 pour exposer les résultats attendus et 2 pour l'organisation de la propagande.
Nous croyions que le syllabaire comprenait :
8 pages pour exposer des notions et des faits ; 3 pages pour montrer le vice du système monétaire, 13 pages sur la doctrine créditiste et 2 pages sur le mouvement créditiste.
Mais passons. M. Gatineau présente, en somme, trois objections au Crédit Social :
1 — Il ne sert à rien de demander que le gouvernement fasse l'argent, parce que le gouvernement fait déjà l'argent. S'il en est ainsi, pourquoi donc M. Ilsley se torture-t-il la tête pour trouver de l'argent pour la guerre ? Et pourquoi son prédécesseur n'en pouvait-il trouver pour combattre le chômage ?
2 — L'exemple donné dans le Syllabaire, $5.00 à chacun, qu'il semble prendre pour un chiffre fixe et définitif, n'a rien de pratique : c'est trop pour ceux qui n'en ont pas besoin et trop peu pour ceux qui en manquent. Nous ne savons s'il y a bien des gens de son avis. Nous croyons qu'au contraire, beaucoup de familles seraient fort heureuses de recevoir chaque mois $5.00 par personne dans la maison, en plus de ce que le père apporte par son salaire ou la vente de ses produits.
3 — La monnaie, dit-il, serait basée sur la récolte du pays. (On a dû lui dire sur la capacité de production du pays). Il conclut : on frapperait chaque année un montant de monnaie égal à la récolte, et 12 mois après, la récolte serait détruite et la monnaie resterait garantie par rien. Il n'y voit rien de logique.
Où a-t-il vu le Crédit Social exposé comme une frappe annuelle de monnaie égale à la récolte annuelle du Canada ?
Les sots critiquent avant d'étudier et de comprendre. M. Oscar Gatineau voudrait-il se classer dans cette catégorie ! Il y trouverait des compagnons comme ce député de Prescott qui disait à un de ses électeurs : "La monnaie du Crédit Social serait basée sur le beurre ; mais une fois le beurre mangé, la monnaie resterait là, gagée par rien." L'électeur lui répondit : « On mange le beurre, mais pas la vache ni l'habitant, la base continue !»
Toutefois, M. Gatineau a soin d'ajouter qu'il n'a peut-être pas bien compris.
Puis il renvoie majestueusement son correspondant aux encycliques pour y trouver le meilleur plan d'un ordre nouveau. À condition, sans doute, de ne rien faire pour appliquer les encycliques dont se moquent les contrôleurs de l'argent et du crédit.
M. Oscar Gatineau termine par cette phrase : "Je ne me laisserai pas endormir par l'exposé des maux dont nous souffrons." Nous ignorions que l'exposé des maux de la société avait pour effet d'endormir ; il y a plutôt de quoi réveiller les dormeurs, nous semble.
Le journal bleu, Le Temps, ajoute en note : "Cette réponse de M. Gatineau est intéressante, mais elle ne contient qu'une opinion personnelle, laquelle n'engage pas Le Temps."
L'auteur de cette note pourrait-il nous dire en quoi la réponse de M. Gatineau est intéressante ?
Nos journaux ont publié cette dépêche de la Presse Associée, émanée de Richmond (Pensylvanie) :
Un projet scientifique pour donner de $5.00 à $10.00 par mois à chaque adulte américain, riche ou pauvre, a été proposé à l'Académie des Sciences de Virginie aujourd'hui. Le but serait de mettre un terme à la dépression. La proposition est faite par Allen T. Gwathmery, de l'Université de Virginie.
Le projet est basé sur la différence constatée chaque année entre la production du pays et la consommation. Comme la première est presque toujours supérieure à la seconde, ces allocations gratuites de $5.00 à $10.00 rétabliraient l'équilibre.
"La science, a dit le savant, a atteint le point où elle peut et doit produire plus que le peuple ne peut acheter dans un an. Le peuple ne peut pas acheter à cause de systèmes financiers désuets. Il n'y aura pas d'inflation, parce que l'argent ne sera distribué que quand il y aura de nouveaux produits correspondants."
Il y a vingt-trois ans que le major Douglas a proposé au monde, sous le nom de Crédit Social, une méthode complète et scientifique pour équilibrer parfaitement la consommation avec la production de richesses utiles. Les journaux ne lui ont pas fait de presse.
M. Allen T. Gwathmery n'a rien inventé, mais il occupe un poste de professeur d'université, et ça compte pour les journaux, même si c'est incomplet, même s'il n'y a rien pour mater la hausse des prix, même si le professeur ne propose de dividende que pour les adultes, comme si les enfants ne mangeaient pas ou ne coûtaient rien à leurs parents.
Dans la province de Québec, les gens du peuple comprennent du premier coup la doctrine du Crédit Social, et c'est le Crédit Social, pas les propositions de professeurs en retard, qui va donner des allocations gratuites à TOUT LE MONDE, pour équilibrer consommation et production. Et cela chez nous avant la Virginie, même si la Presse Associée et nos journaux n'ont pas encore vu ce qui se passe sous leur nez.
Par Douglas Jay, rédacteur du Daily Herald, journal d'Angleterre :
"Nos grandes banques créent maintenant du crédit à une allure plutôt rapide, afin de prêter au gouvernement.
« C'est là une des manières de combler la différence entre le total des dépenses et la somme des recettes provenant des taxes ou des emprunts ordinaires.
"La Banque Barclays a augmenté ses prêts au gouvernement, sur bons du Trésor, de 5 millions de livres sterling, à 19,500,000 livres en septembre. Le total des dépôts de cette banque a grossi de 27 millions de livres, atteignant maintenant 498,530,919 (ceci s'écrivait en octobre dernier).
"Les prêts totaux, sur bons du Trésor, par les banques Barclays, Lloyd, Midland, National Provincial and district, furent de 50 millions de livres sterling en septembre. L'augmentation totale des dépôts fut de 84,657,000 livres.
"...Lorsque le total des dépôts en existence est augmenté par les banques pour prêter au gouvernement, vous pouvez être sûrs que c'est du crédit virtuellement gratuit créé par elles."
Virtuellement gratuit... Admettons qu'il coûte une goutte d'encre et les frais d'écriture.
Nos lecteurs s'intéressent à ce qui se passe en Alberta. La sage administration du gouvernement créditiste et l'encouragement donné à l'industrie locale par les bonis (au lieu du découragement par des taxes de vente) produisent des résultats.
Nous avons sous les yeux les gains industriels réalisés, comparant la production des deux premiers mois de cette année avec les deux mois correspondants de l'année dernière.
Fourrures, augmentation de 240 pour cent (donc ventes plus que triplées. Permis de construction de maisons, plus que doublés, l'augmentation étant de 101 pour cent. Revenu de la production de beurre, augmenté de 47 pour cent ; fromage, augmentation de 13 pour cent ; lait concentré, augmentation de 16 pour cent. Ventes des moutons et agneaux, augmentation de 53 pour cent. Porc, augmentation de 32 pour cent ; bétail, augmentation de 17 pour cent. Il y a eu déclin dans les ventes de chevaux. Pétrole, augmentation de 43 pour cent ; charbon, de 5 pour cent ; produits de l'argile, 41 pour cent.
Le commerce de gros enregistre une amélioration de 12 pour cent ; les fabricants de machines, de 17 pour cent ; les ventes d'automobiles neuves, de 2 pour cent.
On conclura comme on voudra.
Le monde est conduit par la grande banque. Pour ceux qui en doutent encore, il n'est rien comme de les renvoyer aux citations, aux aveux des banquiers de la haute... quand ils daignent parler.
Avant de donner deux citations de M. Montagu Norman, expliquons brièvement aux lecteurs ce qu'est la rationalisation de l'industrie. La rationalisation envisage uniquement les profits financiers à tirer de l'industrie, pas du tout la satisfaction des besoins des hommes, ni le droit de vivre des travailleurs.
Brièvement, supprimer les petites entreprises et fusionner la capacité de production des plus grosses ; augmenter le rendement individuel de chaque employé au maximum tout en limitant le total à la capacité de payer du consommateur (non pas à ses besoins) ; jeter l'ouvrier à la ferraille dès qu'il cesse de donner la pleine mesure exigée de lui pour rencontrer la concurrence et payer des dividendes à la finance.
La rationalisation mène donc les industries droit aux monopoles et les familles droit à la misère.
La rationalisation conduit aussi au rationnement. Industries à la ration. Consommateurs à la ration. Tout le monde sait ce que signifie être rationné. On l'est en Europe par des cartes de pain, des cartes de beurre, des cartes de chaussures, et autres. On l'est au Canada par des poches vides.
Par ailleurs, est-il besoin de présenter M. Montagu Norman, directeur de la Banque d'Angleterre depuis 1919 ? La Banque d'Angleterre, banque privée située en Angleterre, qui dirige la finance anglaise — et d'autres. Montagu Norman, l'homme de l'étalon-or ; l'homme de la rareté artificielle en plein âge d'abondance ; l'homme des crises qui dit à l'univers :
« Il est bon pour vous d'être pauvres. »
Avec ces notions sur la rationalisation, sur le rationnement et sur Montagu Norman, il ne nous reste plus qu'à savourer deux citations du maître banquier anglais, reproduites par M. Munson dans "Men First " du 3 mai dernier :
"Généralement parlant, je crois, si je puis m'exprimer ainsi, que le salut de l'industrie en ce pays réside tout d'abord dans le procédé de rationalisation, et ce procédé doit être réalisé par l'unification ou le mariage de la finance et de l'industrie." (Montagu Norman en 1930).
"Ayons une banque de commerce mondiale pour rationner l'industrie, comme nous avons une banque centrale (la Banque des Règlements Internationaux) pour rationner l'argent. Nous mettrons un frein à la surproduction, non pas en augmentant la consommation, mais en restreignant la production, dans tous les pays, aux compagnies en meilleure situation financière qui voudront bien prendre des parts dans la banque." (Montagu Norman à New-York, en 1931).
Ainsi, on sait ce que cherche la grande banque, la finance internationale, et on doit comprendre qui fait pousser les monopoles, qui multiplie les banqueroutes, l'absorption des petits par les gros, et qui met le monde au pain sec.