Une distribution d’abondance

Louis Even le mercredi, 01 janvier 1941. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Du chapitre XIV de l’Évangile selon saint Mathieu :

Une grande foule avait suivi Jésus. On ne se lassait pas de l’entendre : il parlait si bien ! On ne pensait même pas à le quitter pour aller dîner.

Cependant le soir approchait. Les apôtres dirent à Jésus: Maître, la brunante s’en vient. Ces gens viennent de loin. Il faut les renvoyer chez eux avant qu’il fasse complètement noir.

Jésus répondit: Vous dites bien. Mais justement parce qu’ils viennent de loin et qu’ils n’ont pas mangé de la journée, je ne puis souffrir de les voir partir sans manger. Ils vont tomber de faiblesse en chemin. Donnez-leur donc d’abord à manger, vous les congédierez ensuite.

— Leur donner à manger? Mais, Maître, ce lieu est désert et nous sommes sans provisions. Qu’ils s’en aillent plutôt dans les villages voisins et qu’ils s’achètent eux-mêmes des vivres.

Sans doute un grand nombre d’entre eux n’avaient pas d’argent sur eux, et le Maître le savait bien. Il dit donc à ses apôtres: Ils n’ont pas besoin de s’en aller chez les marchands; donnez-leur vous-mêmes à manger. N’avez-vous rien?

Eux : Nous avons bien ici cinq pains et deux poissons. Mais qu’est-ce que cela pour tant de monde?

Lui: Faites-les asseoir sur l’herbe, comme on fait en pique-nique. Vous allez m’apporter les pains et les poissons. Je vais produire l’abondance; et vous, mes ministres, vous allez faire la distribution.

Jésus leva les yeux au ciel, bénit la nourriture et les apôtres distribuèrent à chacun selon son appétit.

Tous se rassasièrent et il resta douze corbeilles pleines de provisions. Or il y avait là cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.

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Voilà un souper gratuit. La facture ne fut envoyée à personne. Les dons gratuits appauvrissent leurs auteurs, prétend le Père Thomas-Marie Lamarche ; pourtant, nous ne voyons pas bien comment Notre-Seigneur ou les apôtres furent plus pauvres après cela, puisqu’on emporta douze corbeilles pleines!

Voilà du quelque chose pour rien. Et il y a des esprits puritains qui se scandalisent quand on réclame un dividende social à tout le monde. Donner quelque chose pour rien, c’est du communisme, disent-ils. Notre-Seigneur était-il communiste?

Disons-le, ce fut une soirée créditiste.

Tout le monde fut mieux, personne pire. On donna à tout le monde sans rien enlever à personne.

Le Crédit Social croit que la même chose peut se faire plus qu’une fois en vingt siècles.

Dans la scène évangélique, le bon Maître fit l’abondance par sa toute-puissance, et les apôtres distribuèrent à tous gratuitement.

Dans l’industrie moderne, l’abondance se fait sans miracle. Les ressources naturelles immenses dont la Providence a gratifié notre pays, plus le cerveau des hommes qui l’habitent, plus les bras des travailleurs, plus la science acquise, transmise et accumulée, tout cela fait qu’aujourd’hui, plus on prend dans la production offerte, plus il en vient d’autre pour la remplacer.

Demandez au marchand qu’est-ce qui est le plus difficile à faire, vider ses étagères ou les remplir. Demandez à l’industriel si le meilleur moyen de stimuler et accroître sa production, ce n’est pas de recevoir des commandes. Demandez à l’agriculteur si sa production augmente et s’améliore lorsqu’il accumule ses produits ou lorsqu’il les écoule.

Et c’est ainsi que, comme le soir de la multiplication des pains, l’abondance naît au régime de la distribution. Ce n’est que lorsque la distribution arrête que la production cesse et demeure stable avec ses douze corbeilles d’inventaires.

Distribuer l’abondance, c’est tout le problème d’aujourd’hui.

On ne peut pas, comme faisaient les apôtres, prendre simplement au producteur et donner aux consommateurs. Parce que la production actuelle, si abondante soit-elle, n’est pas l’oeuvre d’un thaumaturge et le producteur veut sa récompense.

Le Crédit Social possède la formule. Une fois l’argent entre les mains des consommateurs, par les dividendes fournissant ce qui manque aux salaires, il n’y aura pas besoin d’apôtres pour faire la distribution. Personne ne sera lésé. Le consommateur sera heureux d’acheter, le producteur heureux de vendre, le gouvernement heureux d’être débarrassé d’une multitude de cauchemars.

“J’ai compassion de cette foule... donnez-leur donc à manger.”

Louis Even

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