Voici à peu près une année que nous lancions notre premier appel pour former un organisme d'action politique basée sur l'étude et l'éducation. Les lettres I.A.P. intriguaient un peu le lecteur. Il fallait procéder avec certaines précautions, comme dans tout organisme qui s'écarte des pratiques ordinaires. Et l'I. A. P., l'Institut d'Action Politique, s'écarte considérablement des pratiques ordinaires en organisation politique.
Nous le disions dans le temps, c'est la lecture et la méditation de la page 288 de l'Humanisme Intégral de Jacques Maritain, ou plutôt de tout le chapitre dont cette page fait partie, qui a inspiré la fondation et éclairé le développement de l'Institut d'Action Politique.
Il ne s'agissait pas de former un parti nouveau, car c'est l'ordre que nous voulons dans la politique, et l'ordre n'est pas la division.
Jacques Maritain recommande des formations politiques nouvelles, des fraternités politiques, qui soient comme des ordres profanes d'inspiration chrétienne, poursuivant des buts spécialisés dans le domaine temporel tout comme les Instituts religieux poursuivent des buts spécialisés dans le domaine spirituel.
Tout Institut religieux a un double but : perfectionnement du membre, perfectionnement du prochain. Ce dernier but prend des formes diverses, selon l'Institut : enseignement, prédication, pénitence, service des malades, missions, etc.
De même, l'Institut d'Action Politique poursuit l'éducation politique du membre et l'éducation politique du prochain. Puis il organise, pour réaliser l'objectif qui, à l'étude, paraît bon et désirable.
L'Institut d'Action Politique n'est fait ni de dilettantes ni de rêveurs. D'aucuns ont voulu faire passer les créditistes pour des utopistes. Mais il arrive que les créditistes sont les plus grands réalisateurs de tous les siècles dans le domaine profane.
À ceux qui jugent par des chiffres, nous pourrions étaler les statistiques de l'année : l'abonnement au journal passé de 2,000 à 13,000 par les membres de l'Institut. L'enrôlement dans l'Institut atteignant près de 1,000 en moins de douze mois d'existence. Si l'on sait qu'un membre de l'Institut, c'est, en puissance, un groupe de 24 familles qui liront et étudieront leur journal d'éducation politique, on conviendra qu'un Institut de 1,000 membres dans la province de Québec constitue déjà une force.
Nous concédons que, comme dans tout Institut même religieux, il y a une élite, un corps fervent et des tièdes. Mais l'élite donne des ailes et l'Institut fait des merveilles.
Tout jeune, l'Institut dépasse déjà le mode d'action proposé par les fondateurs. Plus de 150 membres ont atteint leur objectif d'une année en un semestre ou même moins. Plus de 50 membres se sont mis résolument à l'étude et à l'entraînement pour rayonner plus vite et plus loin par des conférences paroissiales.
À ceux qui jugent moins par les chiffres et davantage par les valeurs humaines, l'Institut est fier de montrer ses hommes, ses membres et le public lecteur groupé autour de ses membres.
Jamais, en aucun pays, on n'a vu auparavant une telle proportion d'hommes et de femmes étudiant la chose publique, l'économique, la politique, dans les villages, dans les rangs, chez les journaliers, chez les colons, chez les bûcherons.
Et que l'on compare un de ces lecteurs, un de ces membres de l'Institut, un de ces conférenciers du Crédit Social avec ce qu'il était il y a un an ou deux.
L'Institut d'Action Politique, forme des personnalités, des individus avec la vision de l'ordre et le sens de la responsabilité, qui dépassent de cent coudées bien des diplômés d'université et des parlementaires de carrière.
Organisation d'éducation politique, l'Institut est aussi, avons-nous dit, une organisation politique concrète pour les réalisations.
Pas une organisation à la manière des partis politiques, parce qu'il ne s'agit pas de singer ce qui s'est fait, mais de bâtir là où les partis ont détruit.
Les partis sont organisés par en haut et tiennent leur cadre par l'argent et les récompenses matérielles.
Notre Institut est formé par en bas et développe ses cadres par l'éducation et l'apostolat.
Les partis ne travaillent qu'autour du pouvoir : prendre le pouvoir ou le garder.
Notre Institut travaille sur le peuple, sur la multitude : changer le peuple, au lieu de changer seulement les hommes au gouvernement.
Aucun des grands partis politiques ne s'est efforcé de faire l'éducation politique de la masse : capter les votes est leur seul souci.
Certains troisièmes partis ont dénoncé les deux grands, ont exposé des programmes plutôt élaborés et dit au peuple : Mettez-nous là et on vous donnera cela.
Notre Institut d'Action Politique va plus au fond. Ce ne sont pas des chefs politiques qui vont au peuple et disent : Mettez-nous là et nous ferons mieux que les autres. Ce sont des éducateurs qui disent au peuple : Étudiez votre chose publique et faites-vous servir.
L'Institut d'Action Politique a une hiérarchie. Il organise le peuple pour l'Action politique en même temps qu'il l'instruit ; et dans toute organisation efficace, il faut une hiérarchie. Mais la hiérarchie de l'Institut s'édifie en commençant à la base.
Des gens décident d'étudier la chose publique pour s'en mêler en connaissance de cause. Voilà le premier degré. Ce sont les lecteurs de VERS DEMAIN. Ceux qui ne font pas ce premier pas, ceux qui ne se préoccupent pas d'étudier la chose publique, ne comptent pas pour une organisation qui a pour but de mettre de l'ordre dans la chose publique.
Donc, premier degré : les abonnés à VERS DEMAIN.
Parmi ceux-là qui lisent et étudient leur journal, plusieurs veulent faire un pas de plus : déterminer d'autres, leurs voisins, leurs parents, leurs compagnons d'ouvrage, à étudier, comme eux, la chose publique. Ces prosélytes se forment ainsi, personnellement, à l'action éducatrice dans leur milieu. Ils deviennent les membres de l'Institut d'Action Politique et travaillent de plus en plus activement à atteindre l'objectif précis que leur trace l'Institut : 24 familles sous leur direction ; 24 familles qu'ils abonnent, revoient de temps en temps pour stimuler l'ardeur et garder les contacts.
Aux membres qui ont atteint leur objectif, l'Institut offre de nouvelles activités si leurs énergies ne sont pas épuisées. Or, dans l'ordre intellectuel, plus on donne plus on a ; les valeurs de l'esprit s'enrichissent en se communiquant. Aussi, presque tous les I. A. P. couronnés deviennent des entraîneurs, et c'est le troisième degré dans cette hiérarchie formée par la base.
Point de faveurs achetables par l'argent ou de postes accessibles à la cabale. On n'est pas à l'école de Mammon, où il faut se dégrader pour arriver. On est à l'école de l'ordre, où une personne ne peut embrasser davantage qu'à mesure qu'elle s'élève par son intelligence et son sens social. Et à l'école de l'ordre, on apprend à ne faire confiance qu'à l'abnégation, au dévouement désintéressé.
L'entraîneur, au troisième degré de l'organisation, a lui aussi son programme bien déterminé : conduire trois I. A. P. à leur objectif, former trois hommes à l'action, en leur faisant part de sa propre expérience et en leur communiquant son propre dynanisme. L'entraîneur est une sorte de maître des novices.
Et une fois rendu à ce nouvel objectif, l'entraîneur peut aller plus loin et former, non plus des I. A. P. seulement, mais d'autres entraîneurs. C'est à date le quatrième degré, celui de conducteur, auquel accèdent déjà quelques-uns des plus ardents membres de l'Institut d'Action Politique.
Et peu à peu, vite même, va se bâtir cette organisation qui veut englober toutes les familles de la province de Québec où l'on n'est pas tout à fait démoralisé par la stérilité de la politique du passé. Organisation groupant les familles par 24 autour d'un membre de l'Institut ; par 96 sous l'impulsion d'un entraîneur ; par 300 sous l'orientation d'un conducteur.
Tout cela uni, non pas par l'argent, la boisson, la promesse de positions ; mais par le sens de l'ordre, la poursuite du bien commun, par une doctrine de charité et la pratique du plus pur dévouement.
Combien de temps faudra-t-il pour en arriver à une structure assez puissante pour faire triompher l'ordre dans la province de Québec ?
La question est plutôt vaste. Qu'on se mette bien en tête d'abord que toujours, d'ici la fin du monde, il y aura en présence des forces d'ordre et des forces de désordre. Il ne s'agit donc pas de dire : Nous lutterons jusqu'à tel résultat, puis nous nous reposerons. Il n'y a pas de repos sur la terre pour l'homme de bien. Et les activités de l'homme de bien se continueront même après sa mort. Les anges et les saints participent à l'établissement de l'ordre, comme les démons s'acharnent à mettre le désordre. C'est assez consolant pour ceux qui cherchent l'ordre, même dans des secteurs spéciaux, de songer qu'ils sont du côté des phalanges célestes. Il y a, dans cette pensée, de quoi soutenir ceux qui craindraient de travailler sans atteindre de résultat tangible sur la terre.
Tout de même, dans la poursuite spéciale d'un ordre monétaire, du Crédit Social tel que généralement compris, quand peut-on espérer de l'instaurer dans la province de Québec ?
Nous pouvons nous tromper dans la réponse, vu qu'il ne s'agit pas d'un corps matériel en mouvement, animé d'une puissance uniforme et contrecarré par une résistance uniforme. On est un peu, même beaucoup, dans un mouvement d'esprits.
Cette année, en tout cas, nous cherchons à établir des I.A.P. dans toutes les paroisses de la province de Québec.
L'hiver dernier, nous faisions appel à la formation d'écoles d'entraînement pour avoir des conférenciers qui sortiraient dans les paroisses à l'été. Plusieurs ont répondu. Pas assez pour faire toute la province de Québec en détail ; mais nous allons utiliser ces forces au maximum pour toucher le plus grand nombre possible de paroisses cet été.
Les lecteurs et les I.A.P. ainsi laissés dans les paroisses vont étudier et répandre le journal, en absorber l'esprit, la philosophie, le dynamisme. L'hiver prochain sera consacré à consolider les noyaux, activer les I.A.P., susciter de nouvelles écoles d'entraînement, pas seulement dans les villes, mais aussi, et même surtout, dans des centres ruraux.
Nous allons avoir 80 conférenciers cet été. Il nous en faut au moins 300 l'année prochaine. Avec ces effectifs, nous ne nous contenterons plus de toucher les paroisses, mais nos conférenciers iront dans tous les rangs comme dans tous les villages : quatre, cinq ou six par paroisse chaque dimanche ; non plus après la messe, mais dans l'après-midi ou le soir. Les contacts formés cette année serviront l'année prochaine pour préparer les multiples réunions nécessitées pour ce genre de travail.
Si, comme nous l'espérons, l'exemple des pionniers de cette année décide de nombreux imitateurs pour la saison prochaine, la province de Québec tout entière serait dans l'organisation hiérarchisée, expliquée ci-dessus, pour l'automne 1942.
Cela veut dire que, d'une voix prépondérante et avec une volonté aussi inflexible qu'éclairée, toute la province de Québec réclamerait l'argent au service de l'homme et le dictateur financier au confessionnal ou au pôle nord.
Et alors ?... L'histoire dira le reste.
"Il ne suffit pas de citer avec dévotion les encycliques, en exaltant la vertueuse audace des enseignements pontificaux. Une encyclique n'est pas, et ne doit pas être, un opuscule de droit ; mais elle nous oblige à concrétiser sa doctrine en formules positives — et pratiques." (Paul Chanson.)
"Le régime capitaliste sera réformé par des hommes d'ordre, ou il sera détruit par les autres".