Un minimum - - - - in concreto !

le vendredi, 01 mai 1942. Dans Crédit Social

Nous constatons avec plaisir que les universi­taires de demain — ceux de Laval au moins — n'ont pas encore pris la résolution de suivre les sen­tiers battus et de confiner leurs énergies à se bâtir une fortune personnelle sans s'occuper des autres. Sous le titre "Un minimum vital...... in concreto", Le Carabin-Laval du 11 avril publie la page sui­vante que nous reproduisons textuellement à cause de l'ordre et de la clarté qui la distinguent :

Principes

Un minimum vital. Une garantie du nécessaire. Pour tous et chacun... En a-t-on jamais formulé les principes ?

On pourrait croire que non, à ne lire que les pu­blications qu'on entoure de réclame.

Détrompons-nous. Ces principes existent depuis des années.

Mais ce n'est ni dans "Mon Combat", ni dans la Charte de l'Atlantique qu'il faut les chercher.

On les trouvera sous la plume de philosophes catholiques, et d'abord et avant tout sur les lèvres du Saint-Père.

Les textes suivants proclament expressément, et d'un commun accord, le droit de chacun à un mi­nimum vital. Malheureusement, ils sont devenus les victimes d'une conspiration du silence, autour de laquelle des influences maçonniques semblent bien jouer un rôle... de coulisses.

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PIE XI : "L'organisme économique et social se­ra sainement,constitué et atteindra sa fin, alors seulement qu'il procurera à tous et à chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer. Ces biens doivent être as­sez abondants pour satisfaire aux besoins d'une honnête subsistance et pour élever les hommes à ce degré d'aisance et de culture, qui, pourvu qu'on en use sagement, ne met pas obstacle à la vertu, mais en facilite au contraire singulièrement l'exer­cice." ("Quadragesimo Anno").

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Mgr PACELLI (aujourd'hui Pie XII) : "... On est encore fondé à réclamer que l'économie, con­formément à la morale qui lui est assignée, se met­te au service de tous les membres de la société, et fournisse à chacun les moyens de mener une exis­tence honnête et de jouir d'un modeste bien-être, en sa propre demeure, à son propre foyer." (Dé­claré à Dortmund, le 4 septembre 1927).

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R. P. THOMAS LANDRY, O. P. : "De là, l'i­néluctable nécessité, pour toute personne humai­ne, d'obtenir un minimum de biens matériels pour vivre, pour bien vivre, pour exercer son beau mé­tier d'homme qui est de travailler, et pour parve­nir à la fonction des dieux qui est de contempler." (Résumé de causeries sur "L'Ordre social tempo­rel chrétien", publié par "Vers Demain").

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JACQUES MARITAIN : "Nous pensons que, dans un régime où la conception (plus sociale) de la propriété serait en vigueur, cet axiome ("rien pour rien") ne pourrait pas subsister. Bien au con­traire, la loi de l'usus communis porterait à poser que, du moins et d'abord pour ce qui concerne les besoins premiers, matériels et spirituels, de l'être humain, il convient qu'on ait pour rien le plus de choses possibles... Que la personne humaine soit servie dans ses nécessités primordiales, ce n'est après tout que la première condition d'une éco­nomie qui ne mérite pas le nom de barbare." ("Humanisme Intégral").

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DANIEL-ROPS : "On ne pourra prétendre à quelque ordre social que le jour où le droit à l'ex­istence sera égal et absolu pour tous les hommes, où l'homme, par le seul fait de sa naissance, béné­ficiera, sur la société, d'une créance qu'il s'agit de déterminer, mais dont le principe paraît juste, si l'on songe qu'elle ne fera jamais qu'équilibrer l'im­mense effort de millions d'hommes, nos prédéces­seurs sur la terre charnelle, pour conquérir, pour exploiter, pour dominer le monde de la création." ("Ce qui meurt et ce qui naît").

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EMMANUEL MOUNIER : "La zone du né­cessaire vital strict, c'est-à-dire du minimum in­dispensable pour maintenir la vie physique de l'in­dividu... marque le seuil en dessous duquel au­cun homme ne devrait pouvoir tomber. Elle est un droit primaire de la personne... Le premier droit de la personne économique est donc un droit au minimum vital. (Manifeste au service du Person­nalisme").

HENRI GUITTON (chargé de cours à la Fa­culté de Droit de Nancy) : (Sous, un régime per­sonnaliste) "la personne des consommateurs... orientera toute la production... conformément à une classification adéquate des besoins, selon une échelle personnaliste : besoins fondamentaux, afin que tous les hommes reçoivent d'abord le mini­mum vital, besoins superflus plus ou moins élasti­ques, besoins prohibés, parce que contraires à la fin de la personne." (Cours donné aux Semaines Sociales de France, 1937).

Réalisation

Voilà des principes clairs, positifs et formels, que l'on n'a pas inventés pour être éternellement suspendus aux nuages et religieusement contem­plés jusqu'à la fin du monde. Leur réalisation con­crète s'impose.

Leur réalisation concrète, c'est-à-dire non pas une réalisation quelconque, un semblant d'appli­cation, mais bien une rénovation en conformité parfaite avec ces principes, une rénovation qui con­crétisera "le droit à l'existence égal et absolu pour tous les hommes, par le seul fait de leur naissance."

Oh ! Oh ! Voilà qui est nouveau ! On n'entend guère prôner cela dans nos sphères québecoises. Sans doute est-il secondaire le problème de l'exis­tence ? Qui donc, en effet, s'efforce de lui apporter une solution concrète, en parfaite concordance avec les principes susmentionnés ? Personne sauf les créditistes. Un dividende périodique et égal pour tous et chacun est, jusqu'à date, la seule solution proposée qui réponde adéquatement au principe du droit à la vie.

Qu'on ergote autant qu'on voudra, qu'on traite d'aventuriers les directeurs du mouvement crédi­tiste québecois, en vérité, ils savent où ils vont et ce qu'ils veulent. Ce n'est pas le hasard qui oriente leur réforme vers la lumière de ces principes. Leur intention est explicite. Ceux qui étudient "Vers Demain" en savent quelque chose. Qu'on relise, au besoin, les citations précédentes, et qu'on les compare, du point de vue philosophique, avec les suivantes. On y verra une parfaite unité d'ob­jectif :

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LOUIS EVEN : "Le Crédit Social, ce n'est pas seulement de l'argent fait par le gouvernement. Ce n'est pas seulement de l'argent fait en quantité suffisante pour écouler toute la production. C'est aussi de l'argent à tout le monde. Et c'est pour cela qu'il est SOCIAL.

... À tout le monde, parce que tout le monde a droit de vivre. Or, dans notre monde actuel, avec nos règlements actuels d'échange, personne ne peut vivre sans argent. Ceux qui doutent de cela n'ont qu'à essayer.

... Ce droit de vivre n'est pas un droit à payer, à acheter, à gagner. C'est un droit naturel. Chaque personne, de par sa naissance, possède un titre à un minimum de produits : à la quantité nécessai­re pour lui assurer une honnête subsistance.

... Sans doute que chaque personne a des de­voirs sociaux. Le membre de la société a le devoir d'occuper dans la société une place utile. Le de­voir d'entretenir le flot de biens, marchandises ou services, concerne tous ceux qui en sont capables, et il s'impose dans la mesure où se fait sentir le be­soin du travail de l'homme pour alimenter la pro­duction. Pas plus.

... Mais le droit au minimum de biens existe aussi, et ce droit s'étend à tout le monde, à chaque membre de la société, qu'il soit ou non capable de travailler, qu'il soit ou non requis pour alimenter la production.

... À tous et chacun, dit le Pape. À tous et cha­cun, disent les créditistes.

... Le Pape ne dit pas comment. Ce n'est pas à lui de le faire. Les créditistes proposent leur mé­thode, et elle va droit au but :

... De l'argent à tout le monde, pour que cha­cun puisse se procurer cette part qui lui est due des biens de la nature et de l'industrie. Un mini­mum d'argent garanti, pour garantir à chacun le moyen d'exercer son droit de vivre." ("Vers De­main", 1er juin 1941).

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J.-ERNEST GRÉGOIRE : "Les créditistes de­mandent simplement à ce que, dans un monde qui regorge de richesses, les consommateurs, tous les consommateurs, donc tous les humains, du berceau à la tombe, soient assurés d'un mininmum vital, des choses essentielles à l'entretien de la vie.

... Distribution gratuite, comme la chaleur et la lumière du soleil, comme la pluie, la neige et la rosée.

... Le dividende national est justement la re­connaissance de cette priorité du nécessaire pour tous, sur l'agréable ou le superflu pour quelques-uns.

... Telle est la philosophie sociale des créditistes. Le dividende national est le mécanisme qu'ils proposent pour que cette philosophie tout huma­niste, et parfaitement chrétienne, descende du fir­mament où personne ne lui nie le droit de briller, dans la pratique où les pauvres et les véritables amis des pauvres l'appellent à grands cris." ("Vers Demain", 1er mars 1942).

Conclusion

D'un côté, des principes sûrs et fondés, qui ap­pellent une réalisation concrète. De l'autre, une méthode proposée — et une seule — capable de concrétiser l'objectif.

Le problème change donc, d'aspect. Il n'est plus question de rechercher une solution au principe du droit à la vie. Elle existe, cette solution, et c'est le Crédit Social qui la propose. Il s'agit de savoir si, oui ou non, nous mettrons de côté nos préjugés ri­dicules, et si nous nous appliquerons, une fois pour toutes, à mettre en acte la solution proposée.

Sans doute, est-il vain de parler d'actes posi­tifs à certains esprits en perpétuel équilibre insta­ble, qui fuient la certitude comme un hibou la lu­mière, ou à d'autres, de tournure essentiellement négative, qui sont opposés à tout, et favorables à rien.

Mais ceux dont la charité n'est pas entièrement tarie, au point de se désintéresser de la vie même de leurs frères, ceux-là consacreront des efforts ef­ficaces à la réalisation pacifique du dividende in­dividuel, et leur action se fera d'autant plus con­crète qu'ils vibreront eux-mêmes d'un plus grand amour.

Jean LECOMTE

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