Tout ce qui brille...

Louis Even le dimanche, 15 juin 1941. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Lorsque vous parlez Crédit Social, vous est-il arrivé de vous entendre poser la question : "Qu'est-ce qu'un tel pense de cela ?" Un tel, tel personnage qui occupe une fonction importante, qui enseigne dans une université, ou qui a la réputation d'être bien savant — qu'est-ce que lui pense du Crédit Social ?

Une réponse appropriée serait celle que nous faisons presque invariablement en pareil cas : "Je n'en sais rien et je ne m'en préoccupe pas. J'ai étudié le Crédit Social et je le trouve logique. Que monsieur Untel l'ait ou non étudié, qu'il l'approuve ou le réprouve, cela ne change pas un iota à la valeur du Crédit Social, cela ne le rend ni plus ni moins conforme à la raison."

S'il s'agissait d'un sujet inaccessible à notre degré d'intelligence, nous serions prêts à nous en remettre au jugement d'un autre. Mais lorsqu'il suffit d'ouvrir les yeux et de constater des faits, nous ne voyons pas bien qu'il faille recourir au jugement de monsieur Untel. D'autant moins qu'il y a tant de réputations surfaites de nos jours.

— Mais monsieur Untel est instruit, et il dit qu'il n'a jamais rencontré le Crédit Social dans toute sa carrière !

— Possible. Si Monsieur Untel est un homme de livres, qui ne sait rien que ce qu'il trouve dans les livres, il est fort possible qu'il ne se soit pas encore aperçu qu'il y a plus de produits que d'argent, parce que ce n'est pas écrit dans les livres de sa bibliothèque. Mais si monsieur Untel observait les réalités, il aurait peut-être trouvé une différence entre ce que disent ses livres et ce que proclament, d'un commun accord, les vitrines et nos poches.

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Tout de même, il y a si peu de fond et tant de surface un peu partout dans le monde, qu'il est devenu coutumier d'oublier le fond et de ne juger que par la surface.

Le brillant attire, même si l'éblouissement est aussi fatal que l'obscuration.

Un mouvement fait-il du bruit : ça vaut la peine qu'on s'en occupe. Ne fait-il que de l'éducation, n'avance-t-il qu'à coup de sacrifices et sans fanfare : on hausse les épaules, ou on ignore simplement.

Et ça prend beaucoup de développement du caractère, beaucoup d'esprit de méditation, pour se défaire de cette déformation du jugement.

Ne trouve-t-on pas parfois même des créditistes qui s'y laissent encore prendre ? Moins grossièrement, il est vrai, parce qu'ils ont appris à renverser des idoles. Mais il leur arrivera, par exemple, de manifester leur admiration lorsqu'un personnage de marque condescend, en passant, à dire un bon mot du Crédit Social. Il a dit cela... il mérite notre reconnaissance... on pourrait lui baiser les pieds !

Pourquoi ? Pourquoi, plutôt, ne pas garder son admiration pour tel ouvrier, tel cultivateur, tel colon qui, lui, explique et répand le Crédit Social à cœur d'année ?

Après tout, le personnage important ne proclame pas le centième de vérité que l'autre crie à tout venant.

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"Mais, disent quelques-uns, vous n'avez que des gens ordinaires dans votre mouvement. Ça ne prendra pas, tant que vous n'aurez pas des hommes de prestige à la tête".

C'est à voir.

Si l'on avait dit cela à l'Ouvrier de Nazareth qui annonçait une nouvelle doctrine au monde ?

Oh ! la réflexion a dû se faire : "Oui, il dit cela, lui ! Il y a des disciples qui le croient, qui le suivent, qui l'admirent. Mais qu'est-ce que le scribe Untel, le docteur de la loi Untel, le prêtre Untel, pensent de cela ? Il n'a que des gens ordinaires, des ignorants avec lui ; ça n'aboutira jamais tant qu'il ne pourra placer des hommes bien connus en tête ! Il ne sait pas s'y prendre. Il n'a pas l'expérience de l'organisation !..."

La même chose avec les apôtres, après le départ du Maître. C'étaient les esclaves qui prenaient les devants, les pauvres, les ignorants selon le monde...

Pourtant, à qui sait se servir de son jugement, le fait que la doctrine chrétienne ait gagné des gens sans instruction prouve au moins que sa vérité éclatait.

D'une manière analogue, on peut dire que la vérité du Crédit Social éclate d'autant plus que les moins instruits le comprennent.

À premier exposé, la multitude accepte spontanément. C'est une preuve bien plus forte de la lucidité de la doctrine que si les convictions devaient reposer sur l'opinion des savants.

Le Crédit Social est tellement clair que l'esprit le moins subtil le saisit facilement.

Un avocat, qui est en même temps député, nous disait un jour, sans doute pour s'excuser de ne rien faire pour éclairer le peuple : "C'est une perte de temps de parler de Crédit Social au peuple des campagnes, il n'est jamais capable de comprendre la question de l'argent."

On lui répondit immédiatement : "Les gens des campagnes sont très capables de comprendre, puisqu'ils comprennent." La personne qui fit cette réponse savait par expérience de quoi elle parlait.

Et de fait, des colons, propres électeurs de ce député, non seulement comprennent le Crédit Social, mais ils sortent actuellement dans les paroisses de leur comté pour l'expliquer aux autres.

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Ce sera la punition des grands, des hommes qui cultivent leur renommée, des infatués, épris de leur propre érudition ou égoïstement retranchés dans leur souverain mépris des petits et des ignorants, ce sera leur punition, avant longtemps, de ne plus se reconnaître là où les petits et les humbles voient clair comme cristal.

Les prestiges volés sont en train de sombrer. Cette punition au moins ne sera pas volée. Trop longtemps le peuple a fait aveuglément confiance à des vers-luisants qui se faisaient passer pour des étoiles.

Louis Even

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