Quelques personnes nous demandent pourquoi nous nous en prenons toujours au système financier; pourquoi nous dénonçons toujours le système; pourquoi nous remettons tout, ou à peu près tout, sur le dos de la Finance; pourquoi nous n'attaquons pas davantage les gouvernements, les administrations, comme font les partis politiques; pourquoi nous critiquons bien plus le système que les administrateurs de la chose publique.
La réponse est très simple. Elle se trouve contenue dans la remarque du Major Douglas, en conclusion de son livre The Monopoly of Credit:
«L'organisation financière détient un pouvoir immense, presque tout-puissant. Donc, de par la nature même des choses, c'est elle qui doit être tenue responsable de la situation actuelle dans le monde.»
De par la nature même des choses. En effet, il est clair que le puissant peut agir et que l'impuissant ne le peut pas. Le puissant ordonne, et le faible est obligé de se soumettre. Sans doute que le faible peut résister au puissant; mais il ne peut pas dicter au puissant ni se faire servir par lui. Il ne reste au faible qu'une solution, quand elle est possible: s'évader, s'enfuir se soustraire à la juridiction du puissant.
La puissance financière domine les gouvernements eux-mêmes. Ceux qui ne l'ont pas encore vu ont les yeux bouchés par un bandeau d'une incommensurable épaisseur. Ceux qui n'ont pas vu les gouvernements, du haut en bas, paralysés devant un simple manque de chiffres ou de bouts de papier, n'étaient pas de ce monde dans les dix années d'avant la grande guerre. Et l'on pourrait multiplier les constatations.
Ces réflexions n'excusent évidemment pas les gouvernements. Si le système financier est plus fort que les gouvernements, ceux qui gouvernent pourraient au moins se dispenser de se faire les défenseurs, les protecteurs, les avocats du système financier. Ils pourraient, de plus, dénoncer cette puissance et proclamer leur détermination de s'en débarrasser en réorganisant complètement l'économie financière, en se détachant complètement de la tutelle et des règlements des financiers internationaux. Ils pourraient — ce que les individus ne peuvent pas — s'évader, se soustraire à la juridiction de la puissance financière.
Lorsqu'une population et son gouvernement seraient d'accord pour décrocher leur économie du système financier actuel et de ses règlements, ils n'auraient qu'à établir un système financier accroché aux seules réalités et mobilisant la capacité productive du pays, pour la population du pays, sans se soucier de ce que peuvent en penser les têtes de l'oligarchie financière actuelle.
C'est à obtenir cet accord de la population et de ses gouvernants, c'est à faire les uns et les autres convenir des avantages, de la nécessité d'une évasion, que s'appliquent les créditistes. Quand ils dénoncent les gouvernants, ils ne les dénoncent pas comme les auteurs du désordre économique et social, mais comme les complices par omission; comme des chiens muets, alors que leur premier devoir serait d'aboyer, et le deuxième de mordre.
Et ce que nous disons des gouvernants, nous en disons autant de la kyrielle des "contremaîtres" échelonnés entre la dictature financière et le prolétaire dont le pain est lié à l'obéissance aveugle. Ces petits contremaîtres d'esclaves se mettent du côté de la tyrannie financière, soit par leur niaise complaisance, soit par leurs omissions volontaires, soit par leur ignorance, aujourd'hui crasse, parce qu'inexcusable.