Mauvais fruits d’un régime de dettes impayables

Louis Even le jeudi, 15 octobre 1953. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Finance sans endettement par le Crédit Social

Quel est, matériellement parlant, le pays le plus riche au monde?

Ce sont, incontestablement, les États-Unis d’Amérique. Les États-Unis sont le pays le mieux équipé, celui qui produit le plus, celui qui a le plus de produits à offrir aux autres, celui qui est le plus capable d’augmenter encore sa production.

Les États-Unis fournissent d’ailleurs aux autres pays plus de produits qu’ils ne reçoivent d’eux. Que ce soit sous la forme de Plan Marshall, ou d’aide à l’organisation de la défense de l’Occident, les États-Unis mettent à la disposition d’autres pays des millions de dollars américains, qui peuvent acheter de la production américaine pour la valeur de ces millions de dollars.

Quel est le pays le plus endetté du monde?

Ce sont aussi les États-Unis d’Amérique. Leur seule dette nationale est aujourd’hui de 273 milliards de dollars (en 1953, et de 8 mille milliards en 2006).

Le jeu d’un système financier faux

N’y a-t-il pas là contradiction? Comment le pays le plus riche peut-il être le pays qui a la plus grosse dette publique?

Logiquement parlant, c’est certainement contradictoire. Mais, avec l’actuel système financier, c’est cela qui doit arriver. Plus un pays augmente son potentiel de production, plus il s’enrichit réellement; mais, en même temps, plus il s’endette financièrement.

Il n’en va pas autrement au Canada. Comparez, d’une part, la richesse actuelle du pays avec ce qu’elle était il y a 300 ans, il y a 200 ans, il y a 100 ans, il y a 50 ans, il y a 25 ans. Vous trouverez que la richesse réelle a toujours été en augmentant. D’autre part, comparez la dette publique nationale avec ce qu’elle était au début, puis il y a 200 ans, puis 100 ans, puis 50 ans, puis 25 ans: vous verrez que la dette, aussi, est allée en augmentant.

La même chose pour les dettes des provinces ou des municipalités.

Mais comment cela peut-il se faire?

C’est parce que, plus il y a de production, plus il faut d’argent pour la représenter et permettre le transfert ou l’écoulement des produits. Or, l’augmentation d’argent ne peut pas se faire sans augmentation de dette, dans un système où tout argent nouveau vient sous forme de prêts constituant une dette.

Emprunts et remboursements

Qu’appelez-vous «argent nouveau»?

Toute augmentation du volume de l’argent en circulation.

Si, dans un pays, il y avait 5 milliards en circulation l’année dernière, et s’il y en a 6 milliards cette année, c’est évidemment parce qu’on y a quelque part ajouté un milliard. Ce milliard, qui n’existait pas l’an dernier et qui existe cette année, est un milliard nouveau.

Ce milliard-là n’est pas venu tout seul. Il n’y a pas d’argent qui naît spontanément.

Il n’est pas tombé du ciel: il n’y a pas d’argent qui tombe comme la pluie ou la neige.

Il n’a pas été fait par le gouvernement: le gouvernement proclame, à qui veut l’entendre, qu’il n’a pas d’autre argent que l’argent provenant des taxes et des emprunts.

Ce milliard n’a pas, non plus, été fabriqué par des cultivateurs, ni par des ouvriers, ni par des industriels. Ces gens-là fabriquent des produits agricoles et industriels, mais ils ne fabriquent pas d’argent.

Le milliard d’augmentation est venu, parce que des emprunteurs (emprunteurs particuliers ou emprunteurs publics) ont obtenu des banques des prêts au montant d'un milliard. (Ces prêts consistent en simples écritures: des montants inscrits par le banquier au crédit, non pas d’un épargnant qui apporte de l’argent, mais d’un emprunteur qui vient en chercher).

Pour être plus exact, il faudrait dire qu’il y a eu pour plus qu’un milliard d’emprunts pendant l’année, parce que, pendant cette période, il y a eu aussi des remboursements.

Les remboursements enlèvent l’argent de la circulation. Les emprunts mettent de l’argent en circulation. Si la somme en circulation a augmenté d’un milliard, c’est parce que la somme des emprunts a dépassé d’un milliard la somme des remboursements.

Les emprunts constituent des dettes à rembourser. Les remboursements acquittent des dettes. Si les emprunts dépassent les remboursements d’un milliard, les dettes contractées dépassent d’un milliard les dettes éteintes.

Et c’est ainsi que toute augmentation d’argent crée une augmentation de dette.

Mais ne peut-il pas arriver que la somme des remboursements dépasse la somme des emprunts?

Oui, pendant un temps limité. C’est ce qui arrive, par exemple, quand les banques, dans leur ensemble, sont plus difficiles pour prêter et plus exigeantes pour faire rembourser. Dans ce temps-là, l’argent en circulation diminue, et ça tourne vite en une dépression. Moins d’argent pour payer les produits. Moins d’argent pour payer les salaires. C’est une crise.

Mais, jamais la somme des dettes ne peut disparaître complètement: il est impossible de les rembourser toutes, même en prenant tout l’argent qui a été mis en circulation par les emprunts. Cela, pour la bonne raison que celui qui emprunte s’endette pour plus que le montant de l’emprunt. On appelle cela l’intérêt sur l’emprunt.

Puisque l’argent entre en circulation par des emprunts, et puisque l’argent disparaît par des remboursements qui doivent être plus gros que les emprunts, cela signifie qu’il faudrait rembourser globalement plus que l’argent total en circulation. C’est une impossibilité mathématique.

C’est pourquoi la somme des dettes est impayable. C’est pourquoi le monde reste endetté, de plus en plus, à mesure que le monde fait plus de développements, nécessitant des emprunts pour les financer.

À ce compte-là, est-ce que la somme des dettes ne devrait pas être encore bien plus grosse qu’elle est?

La somme des dettes serait encore bien plus grosse, en effet, s’il n’y avait pas des dettes qui s’éteignent autrement que par les remboursements.

Il y a des dettes qui s’éteignent par des banqueroutes. La dette alors n’est pas remboursée, ou ne l’est que partiellement, mais les gages de l’emprunteur sont saisis.

Les banqueroutes, les usines fermées, les fermes abandonnées, et toutes les misères qui s’ensuivent pour les possédants dépossédés, pour les employés jetés en chômage, sont des fruits de la stupidité d’un système qui exige de rembourser plus d’argent qu’il en a mis au monde.

Fardeau transféré, mal non supprimé

Mais il y a des industriels qui remboursent leurs emprunts, intérêts y compris. Il y en a d’autres qui développent leur entreprise sans emprunter des banques. Il y a des gouvernements qui, à certaines années, diminuent leur dette publique.

Tout cela est vrai, parce que, comme vous dites, il y a des... Il y en a qui le font; mais tous ensemble ne le peuvent pas. Ceux qui réussissent à trouver 106 là où ils n’ont mis que 100, prennent le 6 additionnel sur les sommes mises en circulation par les emprunts des autres. Ces autres-là n’en auront que plus de difficulté à essayer de faire leurs propres remboursements.

La réussite des uns rend le cas des autres plus désespéré.

Quant aux industriels qui financent leurs développements sans emprunter, ils le font avec de l’argent extrait du public par des prix grossis pour comprendre ces sommes. On appelle cela auto-financement. Mais ce n’est point du tout un financement automatique; c’est un financement aux dépens des acheteurs. Le résultat, c’est que les acheteurs sont obligés de se priver de produits offerts dont ils ont besoin, parce que les prix ainsi grossis dépassent leur pouvoir d’achat. C’est là un des autres mauvais fruits d’un système financier faux et malsain.

Quant aux gouvernements qui réussissent parfois à diminuer leur dette publique, c’est parce que, eux aussi extraient du public, par les taxes, plus d’argent qu’ils ne remettent en circulation par leurs dépenses. Ce qu’ils donnent en remboursement de leur dette, les citoyens ne l’ont plus pour payer les produits qui leur sont offerts. Le résultat est encore le même: achats moindres, produits invendus, chômage total ou partiel pour plusieurs, établissements fermés faute d’écoulement de leurs produits.

Un arbre mauvais ne peut donner que de mauvais fruits. Et le fait de passer le fardeau d’une épaule à l’autre ne supprime pas le fardeau: cela réussit surtout à engendrer des conflits. On sait s’il y en a aujourd’hui.

Ce qui est vrai entre endettés d’un même pays est vrai entre pays endettés. Et les sources de conflits entre individus et entre classes sont aussi des sources de conflits entre nations; ça se termine toujours mal.

Est-il possible d’avoir un système financier qui n’endette pas à mesure qu’on s’enrichit?

Oui; et il y en a un, proposé au monde depuis déjà trente-cinq ans: le Crédit Social.

Le Crédit Social ne créerait pas de dettes impayables, parce qu’il ferait l’argent naître au rythme de la production et disparaître au rythme de la consommation.

S’il est parfois possible, pendant un temps limité, de consommer plus qu’on produit, à cause d’excédents précédents, il est impossible, dans l’ensemble, de consommer plus que ce qui est produit. Personne ne peut faire disparaître un pain, ni une paire de bottes, ni une épingle, qui n’aient pas d’abord été produits.

Si donc l’argent venait selon la production et disparaissait selon la consommation, le système d’endettement progressif serait inconcevable.

Un individu, un groupe d’individus, pourrait certainement encore s’endetter; mais dans l’ensemble, la dette commune n’existerait pas. Au contraire, l’enrichissement réel total s’exprimerait par un enrichissement financier total; et, au lieu de taxes et de prix surchargés, les individus recevraient des dividendes et des escomptes sur les prix.

Le système actuel est un mensonge, une fausse comptabilité. Le Crédit Social serait une comptabilité juste, une expression financière exacte des réalités économiques. Le premier ne peut donner que des fruits pourris; le second produirait des bons fruits, en abondance et pour tous.

Louis Even

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