Les théologiens de l'école Leman

le dimanche, 01 décembre 1940. Dans Crédit Social

Une discussion s'est engagée dans les colonnes de "L'Éclaireur" de Beauceville, entre Banco et J. E. Deleau d'Ars. Ce dernier nom est bizarre, mais sa plume ressemble à celle d'un de nos collaborateurs connus.

Quant à Banco, avouons que c'est un malin, mais il se bat pour une cause perdue. Il a bien fallu qu'il ramène l'accusation de communisme contre le Crédit Social, et il se présente flanqué de grands noms, de noms qui font autorité selon lui : Beaudry Leman, Jean-François Pouliot, Édouard Lacroix, Léonard Tremblay, Patterson.

Deleau D'Ars lui rabat le caquet, et nous ne pouvons résister au plaisir de citer la réplique.

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Mon cher Banco,

J'ai lu et relu votre dernier article, et j'en tire une triple conclusion. La première, c'est que vous éprouvez à notre égard une tendresse qui arrache des larmes. Je ne savais pas que nous étions tant admirés et tant aimés. Ce n'était pas trop d'une déclaration d'amour pour racheter l'amertume qui se mêlait à votre première offre de collaboration. J'apprécie à leur juste valeur vos marques d'amitiés. Habitué que vous êtes à payer cher vos collaborateurs, vous seriez heureux d'obtenir le concours d'hommes qui travaillent pour la gloire et les prunes.

La deuxième conclusion, c'est que vous faites un habile effort d'imagination pour tenter de m'émouvoir, afin de me convertir. Réellement, pour peu que je sois faible, je tomberais à genoux et j'implorerais l'absolution de Beaudry-Leman afin d'entrer dans le sein d'Édouard Lacroix et Léonard Tremblay. Toute la gamme y passe. À partir de la menace de faire fausse route, en passant par Douglas, le communisme et le fascisme, jusqu'aux encycliques de Leman, Patterson et leurs inconscients interprètes sur le plancher politique.

Beaudry Leman, théologien nouveau

Monsieur Banco, je suis un réprouvé et je mourrai dans l'impénitence finale, à moins que vous me citiez d'autres théologiens que ceux-là, Beaudry-Leman dont la théologie s'oppose à toute limitation du taux d'intérêt. Écoutez le pontife Leman à la mitre d'or : "Limiter l'intérêt c'est, aujourd'hui, une anomalie ; c'est une intervention indésirable avec la liberté de contrat, et la loi bornant à 7% le taux d'intérêt devrait être abrogée".

Voilà des mots qui ne laissent point de doute sur le libéralisme doctrinaire de Leman.

Vous dites que de Karl Marx et Rosenberg à Douglas, il n'y a qu'un pas à franchir. Alors, vous reconnaissez que Douglas n'est ni de l'une ou l'autre de ces deux écoles.

Entre la doctrine catholique et certains arguments du communisme et du libéralisme économique, il n'y a aussi que la distance d'un pas. Cependant, les Papes ont condamné, avec la même vigueur, le libéralisme et le communisme. Vous ne pouvez nier que Leman professe le libéralisme doctrinaire et que, par conséquent, il tombe sous l'anathème des encycliques. Quant à ses interprètes, Pouliot, Lacroix et Tremblay, dans ce domaine, ils sont simplement des irresponsables.

Troisième conclusion à tirer de votre article, c'est que vous êtes complètement à côté de la question.

Le Crédit Social est une doctrine monétaire.

Crédit Social, doctrine jamais condamnée

La doctrine créditiste est-elle condamnée par l'Église ? Voyons un peu.

Le major Douglas a écrit et enseigné sa doctrine de 1918 à nos jours. Or, depuis ce temps, Pie XI a écrit Quadragesimo Anno et autres encycliques, sans dire un mot du Crédit Social. (Soit dit, entre parenthèses, qu'il a eu soin de condamner avec violence notre système de crédit : Ceux qui contrôlent la monnaie et le crédit sont les maîtres de nos vies et sans leur permission, nul ne peut respirer.).

De plus, nous lisons dans la Semaine Religieuse du 7 décembre 1936 que Son Éminence le Cardinal Villeneuve considère le Crédit Social comme étranger au jugement de l'Église, sauf quant à ses rapports avec la morale chrétienne, individuelle et sociale ; enfin, elle reconnaît ceci d'appréciable, à savoir que : selon la pensée de l'Église, le Crédit Social reconnaît la fonction sociale de la propriété privée. On est loin du communisme.

De plus, en 1939, à la suite d'une contradiction entre deux sociologues religieux, Son Éminence demanda l'opinion d'une commission composée des meilleurs théologiens (Beaudry-Leman, Patterson, Pouliot, Lacroix et Tremblay n'étaient point du nombre).

L'opinion des théologiens a été cent pour cent favorable au Crédit Social. La presse a étouffé l'affaire, car c'était un coup de masse formidable contre nos adversaires.

Quelques jours après, le grand pape Leman se lève et tente de ridiculiser la commission de théologiens. Sa conférence, à la Chambre de Commerce Junior de Montréal, est un monument d'hypocrisie, de mauvaise foi et d'erreurs les plus criantes. Tout de suite, la presse accorde ses instruments et monte aux nues le grand menteur. On conseille à la jeunesse de se pencher sur ce monument d'infamie afin d'oublier l'opinion des théologiens.

Une cochonnerie dans nos unions catholiques

Bien plus, et ceci est odieux et à la honte de L'Union Catholique des Cultivateurs, on permet en hauts lieux, la diffusion du document Leman dans tous les groupements d'Union Catholique. La direction de l'Union Catholique des Cultivateurs en a-t-elle fait autant pour la déclaration des théologiens ? Qui doit inspirer les groupements catholiques ? Le libéralisme doctrinaire ou l'Église ? On a droit de se le demander. Jusqu'à ce qu'on m'ait donné des explications, je me permettrai d'entretenir des doutes sérieux sur la droiture d'esprit de ceux qui ont permis cette cochonnerie.

Continuons, pour finir le tableau. Peu de temps après la sortie injurieuse de Leman pour nos théologiens et ses suites scandaleuses pour nos "Unions Catholiques", Son Éminence précise sa pensée au sujet de la conduite du clergé vis-à-vis le Crédit Social. Comme pour toute doctrine qui tend à se régler sur le plan politique, Son Éminence recommande aux prêtres la discrétion. Elle leur demande d'éviter, comme à toute assemblée politique, d'assister aux assemblées créditistes. Tout de suite, vous voyez les maudits déformateurs de l'esprit et de la conscience populaires déformer aussi la pensée de Son Éminence et lui faire lancer une condamnation de la doctrine créditiste.

Et on me dira qu'il n'y a là qu'ignorance et inconscience. Assez de naïveté. Ceux qui font ce jeu infernal sont en conscience et ne méritent pas le nom de chrétien. Ce sont des sépulcres blanchis et les pires ennemis de l'Église et de la patrie.

Continuons le tableau, monsieur Banco, cela vous intéresse et vous explique, peut-être, le secret de mon audace.

Le 11 février 1940, le docteur Philippe Hamel entreprend de mettre au grand jour la perfidie de Leman. Il veut parler à la radio. On l'empêche. Il faut à tout prix étouffer une voix aussi autorisée. Le docteur donne sa conférence au Palais Montcalm. Au pays des libertés, pour lesquelles nos fils versent leur sang, on doit s'enfermer pour dire la vérité. On s'étonne ensuite qu'il faille abrutir nos soldats dans l'alcool pour éveiller en eux le désir de défendre un pareil esclavage.

Après tout cela, vous vous étonnez, Banco, que je prenne avec une poignée de sel et un glaive vos offres de coopération pour sauver la société.

Allons-y, Banco, coopérons, mais le poignard en main avec les traîtres. Et, si vous tenez à ma coopération, je vous avertis qu'il faudra vous en tenir à la question. Je ne veux plus revenir sur ces fourberies cent fois démasquées et dénoncées,

À votre prochaine sortie, veuillez me prouver que les banques ne créent ni ne détruisent l'argent et je vous prouverai le contraire.

J. E. Deleau D'ARS

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