Dans la leçon précédente, nous avons développé le premier des quatre principes de base de la doctrine sociale de l’Église, la primauté de la personne humaine, qui signifie que tous les systèmes existent pour servir la personne humaine.
Donc, le but des systèmes économique et financier, selon l’Église, est aussi le service de l’homme. Le but du système économique, c’est la satisfaction des besoins humains. C’est ce que Pie XI rappelle dans son encyclique Quadragesimo anno (n. 75):
«L’organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin alors seulement qu’il procurera à tous et à chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l’industrie, ainsi que l’organisation vraiment sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer.
«Ces biens doivent être assez abondants pour satisfaire aux besoins d’une honnête subsistance et pour élever les hommes à ce degré d’aisance et de culture qui, pourvu qu’on en use sagement, ne met pas d’obstacle à la vertu, mais en facilite au contraire singulièrement l’exercice.»
Maintenant, développons les trois autres principes mentionnés dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église: le bien commun, la subsidiarité, la solidarité.
164. De la dignité, de l’unité et de l’égalité de toutes les personnes découle avant tout le principe du bien commun, auquel tout aspect de la vie sociale doit se référer pour trouver une plénitude de sens. Selon une première et vaste acception, par bien commun on entend: «cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée». (Gaudium et Spes, 26.)
167. Le bien commun engage tous les membres de la société: aucun n’est exempté de collaborer, selon ses propres capacités, à la réalisation et au développement de ce bien… Tous ont aussi droit de bénéficier des conditions de vie sociale qui résultent de la recherche du bien commun. L’enseignement de Pie XI demeure très actuel: «Il importe donc d’attribuer à chacun ce qui lui revient et de ramener aux exigences du bien commun ou aux normes de la justice sociale la distribution des ressources de ce monde, dont le flagrant contraste entre une poignée de riches et une multitude d’indigents atteste de nos jours, aux yeux de l’homme de cœur, les graves dérèglements». (Encyclique Quadragesimo Anno, 197.)
168. La responsabilité de poursuivre le bien commun revient non seulement aux individus, mais aussi à l’État, car le bien commun est la raison d’être de l’autorité politique. (Cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n. 1910.) A la société civile dont il est l’expression, l’État doit, en effet, garantir la cohésion, l’unité et l’organisation de sorte que le bien commun puisse être poursuivi avec la contribution de tous les citoyens. L’individu, la famille, les corps intermédiaires ne sont pas en mesure de parvenir par eux-mêmes à leur développement plénier; d’où la nécessité d’institutions politiques dont la finalité est de rendre accessible aux personnes les biens nécessaires — matériels, culturels, moraux, spirituels — pour conduire une vie vraiment humaine. Le but de la vie sociale est le bien commun historiquement réalisable.
170. Le bien commun de la société n’est pas une fin en soi; il n’a de valeur qu’en référence à la poursuite des fins dernières et au bien commun universel de la création tout entière. Dieu est la fin dernière de ses créatures et en aucun cas on ne peut priver le bien commun de sa dimension transcendante, qui dépasse mais aussi achève la dimension historique.
171. Parmi les multiples implications du bien commun, le principe de la destination universelle des biens revêt une importance immédiate : «Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité». (Gaudium et Spes, 69.) Ce principe est basé sur le fait que «la première origine de tout bien est l’acte de Dieu lui-même qui a créé la terre et l’homme, et qui a donné la terre à l’homme pour qu’il la maîtrise par son travail et jouisse de ses fruits (cf. Gn 1,28-29).
Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu’elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne. C’est là l’origine de la destination universelle des biens de la terre. En raison de sa fécondité même et de ses possibilités de satisfaire les besoins de l’homme, la terre est le premier don de Dieu pour la subsistance humaine» (Jean-Paul II, Centesimus Annus, 31.) En effet, la personne ne peut pas se passer des biens matériels qui répondent à ses besoins primaires et constituent les conditions de base de son existence; ces biens lui sont absolument indispensables pour se nourrir et croître, pour communiquer, pour s’associer, et pour pouvoir réaliser les plus hautes finalités auxquelles elle est appelée. (Cf. Pie XII, Radio Message du 1er juin 1941.)
172. Le principe de la destination universelle des biens de la terre est à la base du droit universel à l’usage des biens. Chaque homme doit avoir la possibilité de jouir du bien-être nécessaire à son plein développement: le principe de l’usage commun des biens est le «premier principe de tout l’ordre éthico-social» et «principe caractéristique de la doctrine sociale chrétienne». (Jean-Paul II, Encyclique Sollicitudo Rei Socialis, 42.)
C’est la raison pour laquelle l’Église a estimé nécessaire d’en préciser la nature et les caractéristiques. Il s’agit avant tout d’un droit naturel, inscrit dans la nature de l’homme, et non pas simplement d’un droit positif, lié à la contingence historique; en outre, ce droit est «originaire». (Pie XII, Radio Message du 1er juin 1941.) Il est inhérent à l’individu, à chaque personne, et il est prioritaire par rapport à toute intervention humaine sur les biens, à tout ordre juridique de ceux-ci, à toute méthode et tout système économiques et sociaux: «Tous les autres droits, quels qu’ils soient, y compris ceux de propriété et de libre commerce, y sont subordonnés (à la destination universelle des biens): ils n’en doivent donc pas entraver, mais bien au contraire faciliter la réalisation, et c’est un devoir social grave et urgent de les ramener à leur finalité première». (Paul VI, Encyclique Populorum Progressio, 22.)
Jean-Paul II |
176. Par le travail, l’homme, utilisant son intelligence, parvient à dominer la terre et à en faire sa digne demeure: «Il s’approprie ainsi une partie de la terre, celle qu’il s’est acquise par son travail. C’est là l’origine de la propriété individuelle». (Jean-Paul II, Centesimus Annus, 31.)
La propriété privée et les autres formes de possession privée des biens «assurent à chacun une zone indispensable d’autonomie personnelle et familiale; il faut les regarder comme un prolongement de la liberté humaine. Enfin, en stimulant l’exercice de la responsabilité, ils constituent l’une des conditions des libertés civiles». (Gaudium et Spes, 71.) La propriété privée est élément essentiel d’une politique économique authentiquement sociale et démocratique et la garantie d’un ordre social juste. La doctrine sociale exige que la propriété des biens soit équitablement accessible à tous, de sorte que tous en deviennent, au moins dans une certaine mesure, propriétaires, sans pour autant qu’ils puissent les «posséder confusément». (Léon XIII, Rerum Novarum, 11.)
179. En mettant à la disposition de la société des biens nouveaux, tout à fait inconnus jusqu’à une époque récente, la phase historique actuelle impose une relecture du principe de la destination universelle des biens de la terre, en en rendant nécessaire une extension qui comprenne aussi les fruits du récent progrès économique et technologique. La propriété des nouveaux biens, issus de la connaissance, de la technique et du savoir, devient toujours plus décisive, car «la richesse des pays industrialisés se fonde bien plus sur ce type de propriété que sur celui des ressources naturelles». (Jean-Paul II, Centesimus Annus, 32.)
Les nouvelles connaissances techniques et scientifiques doivent être mises au service des besoins primordiaux de l’homme, afin que le patrimoine commun de l’humanité puisse progressivement s’accroître. La pleine mise en pratique du principe de la destination universelle des biens requiert par conséquent des actions au niveau international et des initiatives programmées par tous les pays: «Il faut rompre les barrières et les monopoles qui maintiennent de nombreux peuples en marge du développement, assurer à tous les individus et à toutes les nations les conditions élémentaires qui permettent de participer au développement». (Jean-Paul II, Centesimus Annus, 35.)
Que tous soient réellement «capitalistes» et aient accès aux biens de la terre, cela serait rendu possible par le dividende du Crédit Social. Comme il a été fait mention dans les leçons précédentes, ce dividende est basé sur deux choses : l’héritage des ressources naturelles, et les inventions des générations passées. C’est exactement ce que le Pape Jean-Paul II écrivait en 1981 dans son Encyclique Laborem exercens, sur le travail humain (n. 13):
«L’homme, par son travail, hérite d’un double patrimoine: il hérite d’une part de ce qui est donné à tous les hommes, sous forme de ressources naturelles et, d’autre part, de ce que tous les autres ont déjà élaboré à partir de ces ressources, en réalisant un ensemble d’instruments de travail toujours plus parfaits. Tout en travaillant, l’homme hérite du travail d’autrui.»
Dieu a mis sur la terre tout ce qu’il faut pour nourrir tout le monde. Mais à cause du manque d’argent, les produits ne peuvent plus joindre les gens qui ont faim: des montagnes de produits s’accumulent en face de millions qui meurent de faim. C’est le paradoxe de la misère en face de l’abondance.
Jean-Paul II déclarait aux pêcheurs de Saint-Jean, Terre-Neuve, le 12 septembre 1984:
«Quel cruel paradoxe de vous voir si nombreux ici même en détresse financière, vous qui pourriez travailler pour nourrir vos semblables, alors qu’au même moment la faim, la malnutrition chronique et le spectre de la famine touchent des milliers de gens ailleurs dans le monde.»
Paul VI |
Paul VI déclarait à la Conférence Mondiale de l’Alimentation à Rome, le 9 novembre 1974:
«Jamais, plus jamais la faim! Mesdames et messieurs, cet objectif peut être atteint. La menace de la faim et le poids de la malnutrition ne sont pas une fatalité inéluctable. La nature n’est pas, en cette crise, infidèle à l’homme. Tandis que, selon l’opinion généralement acceptée, 50% des terres cultivables ne sont pas encore mises en valeur, le fait s’impose du scandale d’énormes excédents alimentaires que certains pays détruisent périodiquement faute d’une sage économie qui en aurait assuré une consommation utile.
«Nous touchons ici au paradoxe de la situation présente: L’humanité dispose d’une maîtrise inégalée de l’univers; elle dispose des instruments capables de faire rendre à plein les ressources de celui-ci. Les détenteurs mêmes de ces instruments resteront-ils comme frappés de paralysie devant l’absurde d’une situation où la richesse de quelques-uns tolérerait la persistance de la misère d’un grand nombre?... on ne saurait en arriver là sans avoir commis de graves erreurs d’orientation, ne serait-ce parfois que par négligence ou omission; il est grand temps de découvrir en quoi les mécanismes sont faussés, afin de rectifier, ou plutôt de redresser de bout en bout la situation.»
Jean-Paul II écrivait dans son encyclique Dives in Misericordia du 30 novembre 1980, n. 11:
«De toute évidence, il y a un défaut capital, ou plutôt un ensemble de défauts et même un mécanisme défectueux à la base de l’économie contemporaine et de la civilisation matérialiste, qui ne permettent pas à la famille humaine de se sortir, dirais-je, de situations aussi radicalement injustes.»
Et Jean-Paul II écrivait aussi dans sa première encyclique, Redemptor hominis, n. 15:
La misère en face de l’abondance... «représente en quelque sorte un gigantesque développement de la parabole biblique du riche qui festoie et du pauvre Lazare. L’ampleur du phénomène met en cause les structures et les mécanismes financiers, monétaires, productifs et commerciaux qui, appuyés sur des pressions politiques diverses, régissent l’économie mondiale; ils s’avèrent incapables de résorber les injustices héritées du passé et de faire face aux défis urgents et aux exigences éthiques du présent... Nous sommes ici en face d’un drame dont l’ampleur ne peut laisser personne indifférent.»
Les Papes dénoncent la dictature de l’argent rare et demandent une réforme des systèmes financiers et économiques, l’établissement d’un système économique au service de l’homme:
«Il est nécessaire de dénoncer l’existence de mécanismes économiques, financiers et sociaux qui, bien que menés par la volonté des hommes, fonctionnent souvent d’une manière quasi automatique, rendant plus rigides les situations de richesse des uns et de pauvreté des autres.» (Jean-Paul II, encyclique Sollicitudo rei socialis, n. 16.)
«Je fais appel à tous les chargés de pouvoir afin qu’ensemble ils s’efforcent de trouver les solutions aux problèmes de l’heure, ce qui suppose une restructuration de l’économie de manière à ce que les besoins humains l’emportent toujours sur le gain financier.» (Jean-Paul II aux pêcheurs de Saint-Jean, Terre-Neuve, le 12 septembre 1984.)
«Une condition essentielle est de donner à l’économie un sens humain et une logique humaine. Ce que j’ai dit au sujet du travail est également valable ici. Il importe de libérer les divers champs de l’existence de la domination d’une économie écrasante. Il faut mettre les exigences économiques à la place qui leur revient et créer un tissu social multiforme qui empêche la massification... Chrétiens, en quelque lieu que vous soyez, assumez votre part de responsabilité dans cet immense effort pour la reconstruction humaine de la cité. La foi vous en fait un devoir.» (Jean-Paul II, discours aux ouvriers de Sao Paulo, 3 juillet 1980.)
«Dans sa première Encyclique Deus Caritas Est (Dieu est amour), le Pape Benoît XVI a écrit: «L’Église est la famille de Dieu dans le monde. Dans cette famille, personne ne doit souffrir par manque du nécessaire... Le but d’un ordre social juste consiste à garantir à chacun, dans le respect du principe de subsidiarité, sa part du bien commun.» |
Cela nous amène à l’un des principes les plus intéressants de la doctrine sociale de l’Église, celui de la subsidiarité: les niveaux supérieurs de gouvernements ne doivent pas faire ce que les niveaux inférieurs, plus près de l’individu, peuvent faire. C’est le contraire de la centralisation – et de son application la plus extrême, un gouvernement mondial, où tous les gouvernements nationaux sont abolis. Ce principe de subsidiarité signifie aussi que les gouvernements existent pour aider les parents, non pas pour prendre leur place. On peut lire dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église:
185. Présente dès la première grande encyclique sociale, la subsidiarité figure parmi les directives les plus constantes et les plus caractéristiques de la doctrine sociale de l’Église. (Cf. Léon XIII, Encyclique Rerum Novarum, 11.) Il est impossible de promouvoir la dignité de la personne si ce n’est en prenant soin de la famille, des groupes, des associations, des réalités territoriales locales, bref de toutes les expressions associatives de type économique, social, culturel, sportif, récréatif, professionnel, politique, auxquelles les personnes donnent spontanément vie et qui rendent possible leur croissance sociale effective.
Tel est le cadre de la société civile, conçue comme l’ensemble des rapports entre individus et entre sociétés intermédiaires, les premiers à être instaurés et qui se réalisent grâce à «la personnalité créative du citoyen». Le réseau de ces rapports irrigue le tissu social et constitue la base d’une véritable communauté de personnes, en rendant possible la reconnaissance de formes plus élevées de socialité.
Pie XI |
186. L’exigence de protéger et de promouvoir les expressions originelles de la socialité est soulignée par l’Église dans l’encyclique Quadragesimo anno (n. 203) dans laquelle le principe de subsidiarité est indiqué comme un principe très important de la «philosophie sociale» : «De même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber».
Sur la base de ce principe, toutes les sociétés d’ordre supérieur doivent se mettre en attitude d’aide («subsidium») — donc de soutien, de promotion, de développement — par rapport aux sociétés d’ordre mineur. De la sorte, les corps sociaux intermédiaires peuvent remplir de manière appropriée les fonctions qui leur reviennent, sans devoir les céder injustement à d’autres groupes sociaux de niveau supérieur, lesquels finiraient par les absorber et les remplacer et, à la fin, leur nieraient leur dignité et leur espace vital.
A la subsidiarité comprise dans un sens positif, comme aide économique, institutionnelle, législative offerte aux entités sociales plus petites, correspond une série d’implications dans un sens négatif, qui imposent à l’État de s’abstenir de tout ce qui restreindrait, de fait, l’espace vital des cellules mineures et essentielles de la société. Leur initiative, leur liberté et leur responsabilité ne doivent pas être supplantées.
187. Le principe de subsidiarité protège les personnes des abus des instances supérieures et incite ces dernières à aider les individus et les corps intermédiaires à développer leurs fonctions. Ce principe s’impose parce que toute personne, toute famille et tout corps intermédiaire ont quelque chose d’original à offrir à la communauté. L’expérience atteste que la négation de la subsidiarité ou sa limitation au nom d’une prétendue démocratisation ou égalité de tous dans la société, limite et parfois même annule l’esprit de liberté et d’initiative. Certaines formes de concentration, de bureaucratisation, d’assistance, de présence injustifiée et excessive de l’État et de l’appareil public contrastent avec le principe de subsidiarité.
Comme l’explique M. Louis Even, «pour accomplir ses fonctions propres, César ne doit pas recourir à des moyens qui empêchent les personnes, les familles d’accomplir les leurs ... Parce qu’il n’accomplit pas ce redressement, que lui seul peut accomplir (casser le monopole de la création de l’argent par les banques privées et créer lui-même, pour la nation, son propre argent sans dette), César sort de son rôle, accumule des fonctions, s’en autorise, pour imposer des charges lourdes, parfois ruineuses, aux citoyens et aux familles. Il devient ainsi l’instrument d’une dictature financière qu’il devrait abattre.»
Ces fonctions que l’État accumule, au lieu de corriger le système financier, créent une bureaucratie monstrueuse, avec une armée de fonctionnaires qui embête plus les citoyens qu’elle ne les sert. Dans son encyclique Centesimus annus (n. 48), le Pape Jean-Paul II dénonce ces excès de l’«État-Providence»:
«On a assisté, récemment, à un important élargissement du cadre de ces interventions (de l’État), ce qui a amené à constituer, en quelque sorte, un État de type nouveau, l’«État du bien-être» (ou État-Providence)... Cependant, au cours de ces dernières années en particulier, des excès ou des abus assez nombreux ont provoqué des critiques sévères de l’État du bien-être... (qui) provoque la déperdition des forces humaines, l’hypertrophie des appareils publics, animés par une logique bureaucratique plus que par la préoccupation d’être au service des usagers, avec une croissance énorme des dépenses.» La solution, indique le Saint-Père, est de respecter le principe de subsidiarité, ne pas interférer dans les compétences des familles et des niveaux de gouvernement inférieurs, car «les besoins sont mieux connus par ceux qui en sont plus proches».
La plupart des taxes aujourd’hui sont injustes et inutiles, et pourraient être éliminées dans un système de Crédit Social. La partie la plus injuste de ces taxes, et qui n’a aucune raison d’être, est celle qui sert à payer le «service de la dette» – les intérêts que le pays doit payer chaque année sur sa dette nationale, pour avoir emprunté à intérêt de l’argent que l’État aurait pu créer lui-même, sans intérêt.
Le Compendium de la doctrine sociale de l’Église continue (n. 187):
A l’application du principe de subsidiarité correspondent: le respect et la promotion effective de la primauté de la personne et de la famille; la mise en valeur des associations et des organismes intermédiaires, dans leurs choix fondamentaux et dans tous ceux qui ne peuvent pas être délégués ou assumés par d’autres; l’encouragement offert à l’initiative privée, de sorte que tout organisme social, avec ses spécificités, demeure au service du bien commun; l’articulation pluraliste de la société et la représentation de ses forces vitales; la sauvegarde des droits de l’homme et des minorités; la décentralisation bureaucratique et administrative; l’équilibre entre la sphère publique et la sphère privée, avec la reconnaissance correspondante de la fonction sociale du privé; et une responsabilisation appropriée du citoyen dans son rôle en tant que partie active de la réalité politique et sociale du pays.
188. Diverses circonstances peuvent porter l’État à exercer une fonction de suppléance. Que l’on pense, par exemple, aux situations où il est nécessaire que l’État stimule l’économie, à cause de l’impossibilité pour la société civile d’assumer cette initiative de façon autonome; que l’on pense aussi aux réalités de grave déséquilibre et d’injustice sociale où seule l’intervention publique peut créer des conditions de plus grande égalité, de justice et de paix.
Comme nous l’avons vu dans les leçons précédentes, corriger le système financier est certainement l’un des devoirs de l’État, c’est-à-dire, que l’argent doit être émis par la société, et non par des banquiers privés pour leur profit, tel que l’écrit Pie XI dans son encyclique Quadragesimo anno:
«Il y a certaines catégories de biens pour lesquelles on peut soutenir avec raison qu’ils doivent être réservés à la collectivité lorsqu’ils en viennent à conférer une puissance économique telle qu’elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains de personnes privées.»
La famille, première société
Le principe de subsidiarité implique aussi que les parents ont préséance sur l’État, et que les gouvernements ne doivent pas détruire les familles ni l’autorité des parents. Comme l’Église l’enseigne, les enfants appartiennent aux parents, et non à l’État:
«Aussi bien que la société civile, la famille est une société proprement dite, avec son autorité et son gouvernement propre, l’autorité et le gouvernement paternel... La société domestique a sur la société civile une priorité logique et une priorité réelle... Vouloir donc que le pouvoir civil envahisse arbitrairement jusqu’au sanctuaire de la famille, c’est une erreur grave et funeste... L’autorité paternelle ne saurait être abolie, ni absorbée par l’État... Ainsi, en substituant à la providence paternelle la providence de l’État, les socialistes vont contre la justice naturelle et brisent les liens de la famille.» (Léon XIII, encyclique Rerum novarum, n. 12-14)
Le dividende du Crédit Social permettrait aussi de reconnaître l’importance du travail de la femme au foyer en lui versant un revenu, ce qui est d’ailleurs l’un des points de la doctrine sociale de l’Église:
«L’expérience confirme qu’il est nécessaire de s’employer en faveur de la revalorisation sociale des fonctions maternelles, du labeur qui y est lié, et du besoin que les enfants ont de soins, d’amour et d’affection pour être capables de devenir des personnes responsables, moralement et religieusement adultes, psychologiquement équilibrés. Ce sera l’honneur de la société d’assurer à la mère – sans faire obstacle à sa liberté, sans discrimination psychologique ou pratique, sans qu’elle soit pénalisée par rapport aux autres femmes – la possibilité d’élever ses enfants et de se consacrer à leur éducation selon les différents besoins de leur âge. Qu’elle soit contrainte à abandonner ces tâches pour prendre un emploi rétribué hors de chez elle n’est pas juste du point de vue du bien de la société et de la famille si cela contredit ou rend difficiles les buts premiers de la mission maternelle.» (Jean-Paul II, encyclique Laborem exercens, 15 septembre 1981, n. 19)
«C’est par un abus néfaste, qu’il faut à tout prix faire disparaître, que les mères de famille, à cause de la modicité du salaire paternel, sont contraintes de chercher hors de la maison une occupation rémunératrice, négligeant les devoirs tout particuliers qui leur incombent, — avant tout, l’éducation des enfants.» (Pie XI, Quadragesimo anno, n. 71)
En octobre 1983, le Saint-Siège publiait la «Charte des droits de la famille», dans laquelle il demandait «la rémunération du travail d’un des parents au foyer; elle doit être telle que la mère de famille ne soit pas obligée de travailler hors du foyer, au détriment de la vie familiale, en particulier de l’éducation des enfants.» (Art. 10)
La solidarité est un autre mot pour désigner l’amour du prochain. Comme chrétiens, nous devons nous soucier du sort de tous nos frères et sœurs dans le Christ, car c’est sur cet amour du prochain que nous sera jugés à la fin de notre vie sur cette terre:
«C’est à ce qu’ils auront fait pour les pauvres que Jésus-Christ reconnaîtra ses élus… Entre-temps, les pauvres nous sont confiés et c’est sur cette responsabilité que nous serons jugés à la fin (cf. Mt 25, 31-46): ‘Notre-Seigneur nous avertit que nous serons séparés de lui si nous omettons de rencontrer les besoins graves des pauvres et des petits qui sont ses frères’». (Compendium de la doctrine sociale de l’Église, n. 183)
Le Compendium continue:
192. La solidarité confère un relief particulier à la socialité intrinsèque de la personne humaine, à l’égalité de tous en dignité et en droits, au cheminement commun des hommes et des peuples vers une unité toujours plus convaincue. Jamais autant qu’aujourd’hui il n’a existé une conscience aussi diffuse du lien d’interdépendance entre les hommes et les peuples, qui se manifeste à tous les niveaux. La multiplication très rapide des voies et des moyens de communication «en temps réel», comme le sont les voies et les moyens télématiques, les extraordinaires progrès de l’informatique, le volume croissant des échanges commerciaux et des informations, témoignent de ce que, pour la première fois depuis le début de l’histoire de l’humanité, il est désormais possible, au moins techniquement, d’établir des relations entre personnes très éloignées ou inconnues.
Par ailleurs, face au phénomène de l’interdépendance et de son expansion constante, de très fortes disparités persistent dans le monde entier entre pays développés et pays en voie de développement, lesquelles sont alimentées aussi par différentes formes d’exploitation, d’oppression et de corruption qui influent de manière négative sur la vie interne et internationale de nombreux États. Le processus d’accélération de l’interdépendance entre les personnes et les peuples doit être accompagné d’un engagement sur le plan éthico-social tout aussi intensifié, pour éviter les conséquences néfastes d’une situation d’injustice de dimensions planétaires, destinée à se répercuter très négativement aussi dans les pays actuellement les plus favorisés.
C’est en effet un devoir et une obligation pour tout chrétien de travailler à l’établissement de la justice et d’un meilleur système économique:
«Celui qui voudrait renoncer à la tâche, difficile mais exaltante, d’améliorer le sort de tout l’homme et de tous les hommes, sous prétexte du poids trop lourd de la lutte et de l’effort incessant pour se dépasser, ou même parce qu’on a expérimenté l’échec et le retour au point de départ, celui-là ne répondrait pas à la volonté de Dieu Dieu créateur.» (Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, n. 30.)
«La tâche n’est pas impossible. Le principe de solidarité, au sens large, doit inspirer la recherche efficace d’institutions et de mécanismes appropriés: il s’agit aussi bien de l’ordre des échanges, où il faut se laisser guider par les lois d’une saine compétition, que de l’ordre d’une plus ample et plus immédiate redistribution des richesses.» (Jean-Paul II, Redemptor hominis, n. 16.)
Il existe bien sûr plusieurs façons de venir en aide à nos frères dans le besoin: donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, loger les sans-abri, visiter les malades et les prisonniers, etc. Certains enverront des dons à des organismes de charité, que ce soit pour aider des pauvres d’ici ou du Tiers-Monde. Mais si ces dons peuvent soulager quelques pauvres pendant quelques jours ou quelques semaines, cela ne supprime pas pour autant les causes de la pauvreté.
Ce qui est infiniment mieux, c’est de corriger le problème à sa source, de s’attaquer aux causes mêmes de la pauvreté, et de rétablir chaque être humain dans ses droits et sa dignité de personne créée à l’image de Dieu, ayant droit au moins au nécessaire pour vivre:
«Plus que quiconque, celui qui est animé d’une vraie charité est ingénieux à découvrir les causes de la misère, à trouver les moyens de la combattre, à la vaincre résolument. Faiseur de paix, il poursuivra son chemin, allumant la joie et versant la lumière et la grâce au cœur des hommes sur toute la surface de la terre, leur faisant découvrir, par-delà toutes les frontières, des visages de frères, des visages d’amis.» (Paul VI, encyclique Populorum progressio, 75.)
Ce qu’il faut, ce sont des apôtres pour éduquer la population sur la doctrine sociale de l’Église et sur des moyens, des solutions concrètes pour l’appliquer (comme les propositions financières du Crédit Social). Le Pape Paul VI écrivait, toujours dans Populorum Progressio (n. 86):
«Vous tous qui avez entendu l’appel des peuples souffrants, vous tous qui travaillez à y répondre, vous êtes les apôtres du bon et vrai développement qui n’est pas la richesse égoïste et aimée pour elle-même, mais l’économie au service de l’homme, le pain quotidien distribué à tous, comme source de fraternité et signe de la Providence.»
Et dans son encyclique Sollicitudo rei socialis, le Pape Jean-Paul II écrivait (n. 38.):
«Ces attitudes et ces "structures de péché" (la soif d’argent et de pouvoir) ne peuvent être vaincues — bien entendu avec l’aide de la grâce divine — que par une attitude diamétralement opposée: se dépenser pour le bien du prochain.»
Certains diront que les Papes n’ont jamais approuvé publiquement le Crédit Social. En fait, les Papes n’approuveront jamais publiquement aucun système économique, telle n’est pas leur mission: ils ne donnent pas de solutions techniques, ils ne font qu’établir les principes sur lesquels doit être basé tout système économique véritablement au service de la personne humaine, et ils laissent aux fidèles le soin d’appliquer le système qui appliquerait le mieux ces principes.
Or, à notre connaissance, aucune autre solution n’appliquerait aussi parfaitement la doctrine sociale de l’Église que le Crédit Social. C’est pourquoi Louis Even, grand catholique qui ne manquait pas de logique, ne se gênait pas pour faire ressortir les liens entre le Crédit Social et la doctrine sociale de l’Église.
Un autre qui était convaincu que le Crédit Social est le christianisme appliqué, qu’il appliquerait à merveille l’enseignement de l’Église sur la justice sociale, c’est le Père Peter Coffey, docteur en philosophie et professeur au Collège de Maynooth, en Irlande. Voici ce qu’il écrivait à un jésuite canadien, le Père Richard, en mars 1932:
«Les difficultés posées par vos questions ne peuvent être résolues que par la réforme du système financier du capitalisme, selon les lignes suggérées par le Major Douglas et l’école créditiste du crédit. C’est le système financier actuel qui est à la racine des maux du capitalisme. L’exactitude de l’analyse faite par Douglas n’a jamais été réfutée, et la réforme qu’il propose, avec sa fameuse formule d’ajustement des prix, est la seule réforme qui aille jusqu’à la racine du mal...».
Aussitôt que l’ingénieur écossais Clifford Hugh Douglas publia ses premiers écrits sur le Crédit Social, les Financiers firent tout en leur pouvoir pour faire taire la voix de Douglas, ou déformer sa doctrine, car ils savaient que l’application des principes du Crédit Social mettrait fin à leur contrôle de la création de l’argent. Lorsque Louis Even commença à répandre les principes du Crédit Social au Canada français en 1935, une des accusations colportées par les Financiers était que le Crédit Social était du socialisme, ou du communisme.
Alors en 1939, les évêques catholiques du Québec chargèrent une commission de neuf théologiens d’étudier le Crédit Social en regard de la doctrine sociale de l’Église, pour savoir s’il était entaché de socialisme. Les neuf théologiens conclurent qu’il n’y avait rien dans la doctrine du Crédit Social qui était contraire à l’enseignement de l’Église, et que tout catholique était donc libre d’y adhérer sans danger.
Ce rapport des théologiens n’avait pas fait l’affaire des financiers, et en 1950, un groupe d’hommes d’affaires chargèrent un évêque du Québec (dont nous tairons le nom par respect pour sa mémoire) d’aller à Rome pour obtenir du Pape Pie XII une condamnation du Crédit Social. De retour au Québec, cet évêque fit rapport aux hommes d’affaires: «Pour avoir une condamnation du Crédit Social, ce n’est pas à Rome qu’il faut aller. Pie XII m’a répondu: "Le Crédit Social créerait dans le monde un climat qui permettrait l’épanouissement de la famille et du christianisme."»
Dans ce combat pour l’établissement d’un système financier juste fondé sur des principes chrétiens, l’aide divine est surtout nécessaire quand on sait que le but réel des financiers, c’est l’établissement d’un gouvernement mondial qui comprend la destruction du christianisme et de la famille, et que les promoteurs de ce «nouvel ordre mondial» sont en fait menés par Satan lui-même, dont le seul objectif est la perte des âmes. Déjà C.H. Douglas écrivait ce qui suit en 1946, dans la revue The Social Crediter de Liverpool:
«Nous sommes engagés dans une bataille pour le christianisme. Et il est surprenant de voir de combien de façons cela est vrai en pratique. Une de ces façons passe presque inaperçue, sauf dans ses dérivations — l’emphase placée par l’Église catholique romaine sur la famille, et l’effort implacable et constant des communistes et des socialistes — qui, avec les Financiers internationaux, forment le véritable corps de l’Antichrist — pour détruire l’idée même de la famille et lui substituer l’État.»
Et Louis Even écrivait sur le même sujet, en 1973:
«Patriotes, les Pèlerins de saint Michel, oui, et ils désirent aussi ardemment que quiconque un régime d’ordre et de justice, de paix, de pain et de joie pour toutes les familles de leur pays. Mais, catholiques aussi, ils savent très bien que l’ordre, la paix et la joie sont incompatibles avec le rejet de Dieu, la violation de ses commandements, le reniement de la foi, la paganisation de la vie, le scandale d’enfants dans des écoles où les parents sont, par loi, contraints de les envoyer.
«Les Pèlerins de saint Michel, comptant sur l’aide des puissances célestes, ont juré de mettre en œuvre toutes les forces physiques et morales, tous les instruments de propagande et d’éducation dont ils disposent, pour remplacer le royaume de Satan par le royaume de l’Immaculée et de Jésus-Christ.
«Dans un engagement contre la dictature financière, on n’a pas seulement affaire à des puissances terrestres. Tout comme la dictature communiste, tout comme la puissante organisation de la franc-maçonnerie, la dictature financière est sous les ordres de Satan. Les simples armes humaines n’en viendront pas à bout. Il y faut les armes choisies et recommandées par Celle qui vainc toutes les hérésies, par Celle qui doit écraser définitivement la tête de Satan, par Celle qui a déclaré Elle-même à Fatima que son Cœur Immaculé triomphera finalement. Et ces armes, ce sont la consécration à son Cœur Immaculé marquée par le port de son Scapulaire, le Rosaire et la pénitence.
«Les Pèlerins de saint Michel sont persuadés qu’en embrassant le programme de Marie, chaque acte qu’ils posent, chaque Ave qu’ils adressent à la Reine du monde, chaque sacrifice qu’ils offrent, contribuent non seulement à leur sanctification personnelle, mais aussi à l’avènement d’un ordre social plus sain, plus humain, plus chrétien, comme le Crédit Social. Dans un tel programme reçu de Marie, tout compte et rien n’est perdu.»
En résumé, le combat de Vers Demain est le combat pour le salut des âmes, il ne fait que répéter ce que le Pape et l’Église demandent: une nouvelle évangélisation — rappeler les principes chrétiens de base à des chrétiens qui les ont malheureusement oubliés ou qui ont cessé de les mettre en pratique — et une restructuration des systèmes économiques. Etre un Pèlerin de saint Michel dans l’œuvre de «Vers Demain» est donc l’une des vocations les plus urgentes et nécessaires de l’heure. Qui, parmi ceux qui lisent ou entendent ces paroles, auront la grâce de répondre à cet appel, à cette vocation? Qu’elle est donc grande et importante, l’œuvre de Louis Even! Que tous ceux qui ont soif de justice se mettent donc à étudier et à répandre le Crédit Social, en prenant de l’abonnement à Vers Demain!
Après la lecture des leçons 9 et 10, le lecteur devrait être capable de répondre aux questions suivantes:
1. Quels sont les quatre principes de base de la doctrine sociale de l’Église?
2. D’après l’enseignement de l’Église, le capitalisme vaut-il mieux que le communisme? Précisez.
3. Qu’est-ce qui a été vicié dans le capitalisme?
4. D’après Pie XI dans Quadragesimo Anno, quel est le but de l’organisme économique?
5. Dans vos mots, que signifie «subsidiarité»?