C.H. Douglas a déjà dit que le Crédit Social pouvait être défini en deux mots: christianisme appliqué. En effet, une étude comparative du Crédit Social et de la doctrine sociale de l’Église montre jusqu’à quel point l’établissement des propositions financières du Crédit Social appliquerait à merveille l’enseignement de l’Église sur la justice sociale.
C’est en septembre 1939 que paraissait le premier numéro de «Vers Demain», fondé par Louis Even et Gilberte Côté (suivi par le journal en langue anglaise en 1953, en polonais en 1999, et en espagnol en 2003). Il y a donc 69 ans que les «Bérets Blancs» parcourent les routes du Canada et du monde entier pour aller porter à la population le message de «Vers Demain».
Mais justement, quel est le message de «Vers Demain»? Dans quel but ce journal a-t-il été fondé, quels étaient les intentions, les objectifs de ses fondateurs? Ce message, cet objectif, c’est encore le même en 2008 qu’au tout début, en 1939: promouvoir le développement d’un monde meilleur, une société chrétienne, par la diffusion et l’application de l’enseignement de l’Église catholique romaine — et cela dans tous les domaines de la vie en société. La poursuite d’un monde meilleur: c’est précisément pour cette raison que les fondateurs du journal l’appelèrent «Vers Demain»; ils voulaient travailler à bâtir un demain meilleur qu’aujourd’hui.
Louis Even était lui-même un grand catholique, et il était convaincu qu’un monde meilleur ne pourrait être bâti autrement que sur les principes éternels de l’Évangile du Christ et sur les enseignements de Son Église — l’Église catholique romaine — avec en tête son chef visible sur la terre, le Souverain Pontife, qui est aujourd’hui Benoît XVI.
Les objectifs de «Vers Demain» sont d’ailleurs clairement affichés en première page à chaque numéro, tout juste en bas du titre. On y lit, à gauche: «Journal de patriotes catholiques, pour le règne des Cœurs de Jésus et de Marie, dans les âmes, les familles et les pays.» Et à droite: «Pour la réforme économique du Crédit Social, en accord avec la doctrine sociale de l’Église, par l’action vigilante des pères de famille, et non par les partis politiques» (ce qui signifie, entre autres, que le «Crédit Social» dont il est question ici n’est pas un parti politique, mais une réforme économique qui pourrait être appliquée par n’importe quel parti au pouvoir).
«Vers Demain» est donc un journal de patriotes catholiques, où il est aussi question de réforme économique, de «Crédit Social». Pourquoi? «Qu’est-ce que cela a affaire avec la religion?», diront certains. Le système dit du «Crédit social» n’est rien d’autre qu’une méthode, un moyen de mettre en application la doctrine sociale de l’Église, qui fait partie intégrante de l’enseignement de l’Église. En cela, «Vers Demain» ne s’éloigne donc pas de son but premier, qui est de «promouvoir le développement d’une société plus chrétienne par la diffusion de l’enseignement de l’Église catholique romaine.»
Si l’Église intervient dans les questions sociales, et a développé un ensemble de principes connus sous le nom de «doctrine sociale de l’Église», c’est essentiellement parce que, comme le disait le Pape Benoît XV, «c’est sur le terrain économique que le salut des âmes est en danger». Son successeur immédiat, le Pape Pie XI, écrivait aussi:
«Il est exact de dire que telles sont, actuellement, les conditions de la vie économique et sociale qu’un nombre très considérable d’hommes y trouvent les plus grandes difficultés pour opérer l’œuvre, seule nécessaire, de leur salut.» (Encyclique Quadragesimo anno, 15 mai 1931).
Pie XII s’exprimait aussi de manière semblable: «Comment pourrait-il être permis à l’Eglise, Mère si aimante et soucieuse du bien de ses fils, de rester indifférente à la vue de leurs dangers, de se taire ou de feindre de ne pas voir et de ne pas comprendre des conditions sociales qui, volontairement ou non, rendent ardue et pratiquement impossible une conduite chrétienne conforme aux commandements du souverain législateur?» (Radio-message du 1er juin 1941). Et ainsi parlent tous les Papes, y compris Benoît XVI aujourd’hui.
Le 25 octobre 2004, le Conseil Pontifical Justice et Paix publiait le «Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église», attendu depuis plusieurs années. Ce livre présente, de façon systématique (330 pages de texte plus un index de 200 pages), les principes de la doctrine sociale de l’Église s’appliquant aux divers secteurs de la vie publique. La rédaction de ce volume avait débuté cinq ans plus tôt sous la présidence de feu le Cardinal François-Xavier Nguyen Van Thuan, décédé en septembre 2002.
Le livre est dédié au Pape Jean-Paul II, «maître de doctrine sociale et témoin évangélique de justice et de paix», qui dans son exhortation apostolique Ecclesia in America en 1999, mentionnait qu’il «serait très utile d’avoir un compendium ou une synthèse approuvée de la doctrine sociale catholique, y compris un catéchisme qui montrerait le lien entre la doctrine sociale et la nouvelle évangélisation.» On peut lire dans ce Compendium:
«La doctrine sociale de l’Église fait partie intégrante du ministère d’évangélisation de l’Eglise. Tout ce qui concerne la communauté des hommes — situations et problèmes relatifs à la justice, à la libération, au développement, aux relations entre les peuples, à la paix — n’est pas étranger à l’évangélisation, et celle-ci ne serait pas complète si elle ne tenait pas compte de l’appel réciproque que se lancent continuellement L’Évangile et la vie concrète, personnelle et sociale, de l’homme. (n. 66). L’Église a le droit d’être pour l’homme maîtresse de vérité de la foi: de la vérité non seulement du dogme, mais aussi de la morale qui découle de la nature humaine et de l’Évangile. (n. 70)
«D’un côté, il faut éviter ‘l’erreur qui consiste à réduire le fait religieux au domaine purement privé’; de l’autre côté, on ne peut pas orienter le message chrétien vers un salut purement ultra-terrestre (de l’autre monde), incapable d’illuminer la présence sur la terre.’ En raison de la valeur publique de l’Évangile et de la foi et à cause des effets pervers de l’injustice, c’est-à-dire du péché, l’Église ne peut pas demeurer indifférente aux affaires sociales. ‘Il appartient à l’Église d’annoncer en tout temps et en tout lieu les principes de la morale, même en ce qui concerne l’ordre social, ainsi que de porter un jugement sur toute réalité humaine, dans la mesure où l’exigent les droits fondamentaux de la personne humaine ou le salut des âmes’.» (Canon 747, n. 2.) (71).
L’Église ne peut rester indifférente à des situations telles que la faim dans le monde et l’endettement, qui mettent en péril le salut des âmes, et c’est pourquoi elle demande une réforme des systèmes financiers et économiques, afin qu’ils soient mis au service de l’homme. L’Église présente donc les principes moraux sur lesquels doit être jugé tout système économique et financier. Et afin que ces principes soient appliqués de manière concrète, l’Église fait appel aux fidèles laïcs — dont le rôle propre, selon le Concile Vatican Il, est justement de renouveler l’ordre temporel et de l’ordonner selon le plan de Dieu — pour travailler à la recherche de solutions concrètes et l’établissement d’un système économique conforme à l’enseignement de l’Évangile et aux principes de la doctrine sociale de l’Église.
C’est pour cette raison que Louis Even décida de propager la doctrine du Crédit Social — un ensemble de principes et de propositions financières énoncés pour la première fois par l’ingénieur écossais Clifford Hugh Douglas, en 1918 (les mots «Crédit Social» signifient «argent social» — un argent émis par la société, en opposition à l’argent actuel qui est un «crédit bancaire» — un argent émis par les banques).
Lorsque Louis Even découvrit la grande lumière du Crédit Social en 1935, il comprit immédiatement jusqu’à quel point cette solution appliquerait à merveille l’enseignement de l’Église sur la justice sociale — surtout en ce qui concerne le droit de tous aux biens matériels, la distribution du pain quotidien à tous, par l’attribution d’un dividende social à chaque être humain. C’est pourquoi, dès qu’il connut cette lumière, Louis Even se fit un devoir de la faire connaître à tous.
Quatre principes de base
La doctrine sociale de l'Église peut se résumer en quatre principes, ou quatre «colonnes», sur lesquels tout système dans la société doit être basé. On peut lire aux paragraphes 160 et 161 du Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église le texte suivant:
«Les principes permanents de la doctrine sociale de l’Église constituent les véritables fondements de l’enseignement social catholique : à savoir
«Ces principes ont un caractère général et fondamental, car ils concernent la réalité sociale dans son ensemble… En raison de leur durée dans le temps et de leur universalité de sens, l’Église les désigne comme le paramètre de référence premier et fondamental pour l’interprétation et l’évaluation des phénomènes sociaux, dans lequel puiser les critères de discernement et de conduite de l’action sociale, en tout domaine.»
La doctrine sociale de l'Église peut se résumer dans ce principe de base: la primauté de la personne humaine:
«La doctrine sociale chrétienne a pour lumière la Vérité, pour objectif la Justice et pour force dynamique l’Amour... Son principe de base est que les êtres humains sont et doivent être fondement, but et sujets de toutes les institutions où se manifeste la vie sociale.» (Jean XXIII, encyclique Mater et Magistra, 15 mai 1961, nn. 219 et 226.)
Il est écrit dans le Compendium: «L’Église voit dans l’homme, dans chaque homme, l’image vivante de Dieu lui-même; image qui trouve et est appelée à retrouver toujours plus profondément sa pleine explication dans le mystère du Christ, Image parfaite de Dieu, Révélateur de Dieu à l’homme et de l’homme à lui-même.» (n. 105)
«Toute la vie sociale est l’expression de son unique protagoniste: la personne humaine. ‘L’homme est, et doit être et demeurer le sujet, le fondement et la fin de la vie sociale.’» (Pie XII, Radio-message du 24 décembre 1944.) (n. 106)
«Une société juste ne peut être réalisée que dans le respect de la dignité transcendante de la personne humaine. Celle-ci représente la fin dernière de la société, qui lui est ordonnée: ‘Aussi l’ordre social et son progrès doivent-ils toujours tourner au bien des personnes, puisque l’ordre des choses doit être subordonné à l’ordre des personnes et non l’inverse’.» (Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et Spes, 26.)
«Le respect de la dignité humaine ne peut en aucune façon ne pas tenir compte de ce principe: il faut ‘que chacun considère son prochain, sans aucune exception, comme un autre lui-même, qu’il tienne compte avant tout de son existence et des moyens qui lui sont nécessaires pour vivre dignement’. Il faut que tous les programmes sociaux, scientifiques et culturels, soient guidés par la conscience de la primauté de chaque être humain.» (132)
Le Crédit Social partage la même philosophie. C.H. Douglas écrivait au début de son tout premier livre, Economic Democracy: «Les systèmes sont faits pour l’homme, et non pas l’homme pour les systèmes, et l’intérêt de l’homme, qui est son propre développement, est au-dessus de tous les systèmes.»
Jean-Paul II |
Et Jean-Paul II écrivait dans sa première encyclique, Redemptor hominis (4 mars 1979, n. 15): «les indispensables transformations des structures économiques... la misère en face de l’abondance qui met en cause les structures et mécanismes financiers… L’homme ne peut renoncer à lui-même ni à la place qui lui est propre dans le monde visible, il ne peut devenir esclave des choses, esclave des systèmes économiques, esclave de ses propres produits.»
Tous les systèmes doivent être au service de l’homme, y compris les systèmes financiers et économiques:
«Je tiens à aborder une question délicate et douloureuse. Je veux parler du tourment des responsables de plusieurs pays, qui ne savent plus comment faire face à l’angoissant problème de l’endettement... Une réforme structurelle du système financier mondial est sans nul doute une des initiatives les plus urgentes et nécessaires.» (Message du Pape Jean-Paul II à la 6e Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, Genève, 26 septembre 1985.)
«En tant que société démocratique, veillez attentivement à tout ce qui se passe dans le puissant monde de l’argent! Le monde de la finance est aussi un monde humain, notre monde, soumis à la conscience de nous tous; pour lui aussi il y a des principes éthiques. Veillez donc surtout à ce que vous apportiez une contribution au service du monde avec votre économie et vos banques, et non une contribution — peut-être indirecte — à la guerre et à l’injustice!» (Jean-Paul II, Fluëli, Suisse, 14 juin 1984.)
Dans son Encyclique Centesimus annus (publiée en 1991 pour le 100ème anniversaire de l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII), Jean-Paul II dresse une liste des principaux droits de l’homme (n. 47):
«Parmi les principaux droits, il faut rappeler le droit à la vie dont fait partie intégrante le droit de grandir dans le sein de sa mère après la conception; puis le droit de vivre dans une famille unie et dans un climat moral favorable au développement de sa personnalité; le droit d’épanouir son intelligence et sa liberté par la recherche et la connaissance de la vérité; le droit de participer au travail de mise en valeur des biens de la terre et d’en tirer sa subsistance et celle de ses proches; le droit de fonder librement une famille, d’accueillir et d’élever des enfants, en exerçant de manière responsable sa sexualité. En un sens, la source et la synthèse de ces droits, c’est la liberté religieuse, entendue comme le droit de vivre dans la vérité de sa foi et conformément à la dignité transcendante de sa personne.»
La doctrine sociale de l'Église se situe au-dessus des systèmes économiques existants, puisqu’elle se confine au niveau des principes. Un système économique sera bon ou non dans la mesure où il applique ces principes de justice enseignés par l’Église. C’est la raison pour laquelle le Pape Jean-Paul II écrivait en 1987, dans son encyclique Solicitudo rei socialis, que l’Église «adopte une attitude critique vis-à-vis du capitalisme libéral et du collectivisme marxiste... deux conceptions du développement imparfaites et ayant besoin d’être radicalement corrigées.»
Il est facile à comprendre pourquoi l’Église condamne le communisme, ou collectivisme marxiste qui, comme le rappelait le Pape Pie XI, est «intrinsèquement pervers» et anti-chrétien, puisque son but avoué est la destruction complète de la propriété privée, de la famille, et de la religion. Mais pourquoi l’Église condamnerait-elle le capitalisme? Le capitalisme ne vaudrait pas mieux que le communisme?
Dans le second chapitre de l’Encyclique Centesimus annus, Jean-Paul II rappelle les différents événements qui ont eu lieu à travers le monde depuis l’encyclique de Léon XIII jusqu’à aujourd’hui, en passant par les deux guerres mondiales et l’établissement du communisme en Europe de l’Est, et souligne combien Léon XIII avait eu raison de dénoncer le socialisme qui, loin de régler la question sociale, allait s’avérer une faillite monumentale, causant la souffrance de millions d’innocentes victimes:
Leon XIII |
«En effet, écrit Jean-Paul II, le Pape Léon XIII prévoyait les conséquences négatives — sous tous les aspects: politique, social et économique — d’une organisation de la société telle que la proposait le «socialisme »... Il faut souligner ici la clarté avec laquelle est saisi ce qu’il y a de mauvais dans une solution qui, sous l’apparence d’un renversement des situations des pauvres et des riches, portait en réalité préjudice à ceux-là mêmes qu’on se promettait d’aider. Le remède se serait ainsi révélé pire que le mal. En caractérisant la nature du socialisme de son époque, qui supprimait la propriété privée, Léon XIII allait au cœur du problème.»
L’erreur fondamentale du socialisme, dit Jean-Paul II, est l’athéisme, car en niant l’existence de Dieu, d’un être supérieur qui a créé l’homme, on nie aussi l’existence de toute loi morale, de toute dignité et de tous droits de la personne; cela mène aux dictatures — où c’est l’État qui décide ce qui est bon pour l’individu, ou au désordre social et à l’anarchie — où chaque individu se fabrique sa propre conception de ce qui est bien ou mal.
Même si le marxisme s’est écroulé, cela ne signifie pas pour autant le triomphe du capitalisme, car même après la chute du communisme, il existe encore des millions de pauvres et de situations d’injustice sur la planète. Jean-Paul II écrit:
«La solution marxiste a échoué, mais des phénomènes de marginalisation et d’exploitation demeurent dans le monde, spécialement dans le Tiers-Monde, de même que des phénomènes d’aliénation humaine, spécialement dans les pays les plus avancés, contre lesquels la voix de l’Église s’élève avec fermeté. Des foules importantes vivent encore dans des conditions de profonde misère matérielle et Morale. Certes, la chute du système communiste élimine dans de nombreux pays un obstacle pour le traitement approprié et réaliste de ces problèmes, mais cela ne suffit pas à les résoudre.» (Encyclique Centesimus annus, 42.)
Par ailleurs, toujours dans son Encyclique Centesimus annus, Jean-Paul II reconnaît aussi les mérites de la libre entreprise, de l’initiative privée et du profit: «Il semble que, à l’intérieur de chaque pays comme dans les rapports internationaux, le marché libre soit l’instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins. Toutefois, cela ne vaut que pour les besoins ‘solvables’, parce que l’on dispose d’un pouvoir d’achat, et pour les ressources qui sont ‘vendables’, susceptibles d’être payées à un juste prix. Mais il y a de nombreux besoins humains qui ne peuvent être satisfaits par le marché. C’est un strict devoir de justice et de vérité de faire en sorte que les besoins humains fondamentaux ne restent pas insatisfaits et que ne périssent pas les hommes qui souffrent de ces carences.»
Ce que l’Église reproche au capitalisme actuel n’est donc pas la propriété privée ni la libre entreprise. Au contraire, loin de souhaiter la disparition de la propriété privée, l’Eglise souhaite plutôt sa diffusion la plus large possible pour tous, que tous soient propriétaires d’un capital, soient réellement «capitalistes»:
Jean XXIII |
«La dignité de la personne humaine exige normalement, comme fondement naturel pour vivre, le droit à l’usage des biens de la terre; à ce droit correspond l’obligation fondamentale d’accorder une propriété privée autant que possible à tous.... (Il faut) mettre en branle une politique économique qui encourage et facilite une plus ample accession à la propriété privée des biens durables: une maison, une terre, un outillage artisanal, l’équipement d’une ferme familiale, quelques actions d’entreprises moyennes ou grandes.» (Jean XXIII, Mater et Magistra, nn. 114-115.)
Le Crédit Social, avec son dividende à chaque individu, reconnaîtrait chaque être humain comme étant un véritable capitaliste, propriétaire d’un capital, co-héritier des richesses naturelles et du progrès (les inventions humaines, la technologie).
Ce que l’Église reproche au système capitaliste, c’est que, précisément, tous et chacun des êtres humains vivant sur la planète n’ont pas accès à un minimum de biens matériels, permettant une vie décente, et que même dans les pays les plus avancés, il existe des milliers de personnes qui ne mangent pas à leur faim. C’est le principe de la destination universelle des biens qui n’est pas atteint: la production existe en abondance, mais c’est la distribution qui est défectueuse.
Et dans le système actuel, l’instrument qui permet la distribution des biens et des services, le signe qui permet d’obtenir les produits, c’est l’argent. C’est donc le système d’argent, le système financier qui fait défaut dans le capitalisme.
Les maux du système capitaliste ne proviennent donc pas de sa nature (propriété privée, libre entreprise), mais du système financier qu’il utilise, un système financier qui domine au lieu de servir, qui vicie le capitalisme. Le Pape Pie XI écrivait dans son encyclique Quadragesimo anno, en 1931: «Le capitalisme n’est pas à condamner en lui-même, ce n’est pas sa constitution qui est mauvaise, mais il a été vicié.»
Paul VI |
Ce que l’Église condamne, ce n’est pas le capitalisme en tant que système producteur, mais, selon les mots du Pape Paul VI, le «néfaste système qui l’accompagne», le système financier:
«Ce libéralisme sans frein conduit à la dictature à bon droit dénoncée par Pie XI comme génératrice de ‘l’impérialisme de l’argent’. On ne saurait trop réprouver de tels abus, en rappelant encore une fois solennellement que l’économie est au service de l’homme. Mais s’il est vrai qu’un certain capitalisme a été la source de trop de souffrances, d’injustices et de luttes fratricides aux effets durables, c’est à tort qu’on attribuerait à l’industrialisation elle-même des maux qui sont dus au néfaste système qui l’accompagnait. Il faut au contraire en toute justice reconnaître l’apport irremplaçable de l’organisation du travail et du progrès industriel à l’œuvre du développement.» (Encyclique Populorum progressio, sur le développement des peuples, 26 mars 1967, n. 26.)
C’est le système financier qui n’accomplit pas son rôle, il a été détourné de sa fin. (Faire les biens joindre les besoins.) L’argent ne devrait être qu’un instrument de distribution, un signe qui donne droit aux produits, une simple comptabilité.
L’argent devrait être un instrument de service, mais les banquiers, en se réservant le contrôle de la création de l’argent, en ont fait un instrument de domination: Puisque le monde ne peut vivre sans argent, tous —gouvernements, compagnies, individus — doivent se soumettre aux conditions imposées par les banquiers pour obtenir de l’argent, qui est le droit de vivre dans notre société actuelle. Cela établit une véritable dictature sur la vie économique: Les banquiers sont devenus les maîtres de nos vies, tel que le rapportait très justement encore Pie XI dans Quadragesimo anno (n. 106):
Pie XI |
«Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l’argent et du crédit, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent le sang à l’organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer.»
Aucun pays ne peut rembourser sa dette dans le système actuel, puisque tout argent est créé sous forme de dette: tout l’argent qui existe vient en circulation seulement lorsqu’il est prêté par les banques, à intérêt. Et chaque fois qu’un prêt est remboursé, cette somme d’argent cesse d’exister, est retirée de la circulation.
Le défaut fondamental dans ce système est que lorsque les banques créent de l’argent nouveau sous forme de prêts, elles demandent aux emprunteurs de ramener à la banque plus d’argent que ce que la banque a créé. (Les banques créent le capital qu’elles prêtent, mais pas l’intérêt qu’elles exigent en retour.) Puisqu’il est impossible de rembourser de l’argent qui n’existe pas, la seule solution est d’emprunter de nouveau pour pouvoir payer cet intérêt, et d’accumuler ainsi des dettes impayables.
Cette création d’argent sous forme de dette par les banquiers est leur moyen d’imposer leur volonté sur les individus et de contrôler le monde:
«Parmi les actes et les attitudes contraires à la volonté de Dieu et au bien du prochain et les ‘structures’ qu’ils introduisent, deux éléments paraissent aujourd’hui les plus caractéristiques: d’une part le désir exclusif du profit et, d’autre part, la soif du pouvoir dans le but d’imposer aux autres sa propre volonté.» (Jean-Paul II, encyclique Solicitudo rei socialis, n. 37.)
Puisque l’argent est un instrument essentiellement social, la doctrine du Crédit Social propose que l’argent soit émis par la société, et non par des banquiers privés pour leur profit:
«Il y a certaines catégories de biens pour lesquelles on peut soutenir avec raison qu’ils doivent être réservés à la collectivité lorsqu’ils en viennent à conférer une puissance économique telle qu’elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains de personnes privées.» (Pie XI, encyclique Quadragesimo anno.)
Les institutions comme le FMI (Fonds Monétaire International) et la Banque Mondiale prétendent venir en aide aux pays en difficultés financières avec leurs prêts, mais à cause des intérêts que ces pays doivent payer, ces prêts les appauvrissent encore davantage. En voici quelques exemples frappants:
En dix ans, de 1980 à 1990, les pays d’Amérique latine ont payé 418 milliards $ d’intérêt sur un emprunt original de 80 milliards $... et ils doivent encore le capital, même s’ils l’ont remboursé plus de cinq fois!
Au Canada, la situation est encore pire! 93% de la dette nationale de 562 milliards de dollars (en 2002) était attribuable aux intérêts composés: le montant original emprunté (39 milliards $) ne représente que 7% de la dette. Le reste, 523 milliards $, représente ce qu’il en a coûté pour emprunter ce 39 milliards$!
Selon la Coalition pour le Jubilé 2000, pour chaque dollar versé en aide aux pays pauvres, 8 dollars sont remboursés par ces mêmes pays en intérêts.
Ce sont des exemples semblables qui ont amené Saint Léon à écrire: «C’est une avarice injuste et insolente que celle qui se flatte de rendre service au prochain alors qu’elle le trompe... Celui-là jouira du repos éternel qui entre autres règles d’une conduite pieuse n`aura pas prêté son argent à usure... tandis que celui qui s’enrichit au détriment d’autrui, mérite en retour la peine éternelle.» Saint Jean Chrysostome écrivait aussi: «Rien n’est plus honteux, ni plus cruel que l’usure.»
Toute personne la moindrement sensée réalisera qu’il est criminel et immoral d’exiger des pays de continuer à payer des intérêts sur des dettes dont le capital a déjà été remboursé plusieurs fois par l’intérêt. On peut donc comprendre pourquoi l’Église condamne si fortement l’usure (le prêt d’argent à intérêt), et demande l’effacement des dettes. Lorsqu’on comprend que l’argent prêté par les banques est littéralement créé à partir de rien, d’un simple trait de plume, alors il est facile de comprendre que les dettes peuvent être effacées de la même manière, sans que personne ne soit pénalisé.
Le 27 décembre 1986, la Commission Pontificale Justice et Paix publiait un document intitulé «Une approche éthique de l’endettement international»; dont voici des extraits:
«Les pays débiteurs, en effet, se trouvent placés dans une sorte de cercle vicieux: ils sont condamnés, pour pouvoir rembourser leurs dettes, à transférer à l’extérieur, dans une mesure toujours plus grande, des ressources qui devraient être disponibles pour leur consommation et leurs investissements internes, donc pour leur développement.
«Le service de la dette ne peut être acquitté au prix d’une asphyxie de l’économie d’un pays et aucun gouvernement ne peut moralement exiger d’un peuple des privations incompatibles avec la dignité des personnes... S’inspirant de l’Évangile, d’autres comportements seraient à envisager, comme consentir des délais, remettre partiellement ou même totalement les dettes... En certains cas, les pays créanciers pourront convertir les prêts en dons.
«L’Église rappelle la priorité à accorder aux hommes et à leurs besoins, par-delà les contraintes et les techniques financières souvent présentées comme seules impératives.»
Le Pape Jean-Paul II écrivait dans son Encyclique Centesimus annus (n. 35.): «Le principe que les dettes doivent être payées est assurément juste. (Note de Vers Demain: rembourser le capital est juste, mais pas rembourser un intérêt en plus.) Il n’est pas licite de demander et d’exiger un paiement quand cela reviendrait à imposer en fait des choix politiques de nature à pousser à la faim et au désespoir des populations entières. On ne saurait prétendre au paiement des dettes contractées si c’est au prix de sacrifices insupportables. Dans ce cas, il est nécessaire — comme du reste cela est en train d’être partiellement fait — de trouver des modalités d’allégement de report ou même d’extinction de la dette, compatibles avec le droit fondamental des peuples à leur subsistance et à leur progrès.»
En préparation du Grand Jubilé de l’an 2000, le Pape Jean-Paul II avait mentionné en plusieurs occasions la nécessité d’effacer toutes les dettes. Voici des extraits de son audience du mercredi 3 novembre 1999:
«En ce qui concerne la possession des biens immobiliers, la règle du jubilé biblique reposait sur le principe selon lequel la ‘terre appartient à Dieu’ et est donc donnée au bénéfice de toute la communauté. C’est pourquoi, si un Israélite avait aliéné son terrain, l’année jubilaire lui permettait d’en retrouver la possession. ‘La terre ne sera pas vendue avec perte de tout droit, car la terre m’appartient et vous n’êtes pour moi que des étrangers et des hôtes. Pour toute propriété foncière vous laisserez un droit de rachat sur le fonds’ (Lv 25, 23-24).
«Le jubilé chrétien se réfère avec une conscience toujours plus grande aux valeurs sociales du jubilé biblique qu’il désire interpréter et reproposer dans le contexte contemporain, en réfléchissant sur les exigences du bien commun et sur la destination universelle des biens de la terre. C’est précisément dans cette perspective que j’ai proposé dans Tertio millennio adveniente (n. 51) que le Jubilé soit vécu comme ‘un moment favorable pour penser, entre autres, à une réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations’.»
Une fois les dettes effacées, la seule façon d’empêcher les pays de s’endetter de nouveau est de créer eux-mêmes leur propre argent, sans intérêt et sans dette, car si vous laissez aux banques le pouvoir de créer l’argent, les dettes s’accumuleront de nouveau. C’est ce qui faisait dire à Sir Josiah Stamp, alors qu’il était gouverneur de la Banque d’Angleterre:
«Le système bancaire fut conçu dans l’iniquité et né dans le péché... Les banquiers possèdent la planète. Enlevez-leur, mais laissez-leur le pouvoir de créer l’argent, et d’un trait de plume, ils créeront assez d’argent pour racheter la planète et en devenir les propriétaires... Si vous voulez continuer d’être les esclaves des banquiers et de payer le prix de votre propre esclavage, alors laissez les banquiers continuer de créer l’argent et de contrôler le crédit.»
Pour ceux qui ne comprennent pas que les banques créent l’argent qu’elles prêtent (et que lorsqu’elles prêtent, elles ne se départissent absolument de rien), la seule manière d’«effacer» une dette est de la faire payer par quelqu’un, quelque part. Mais quand nous, du journal Vers Demain, demandons d’effacer les dettes publiques, c’est exactement ce que cela veut dire: les effacer, et non pas les rembourser... et encore moins imprimer de l’argent pour les rembourser!
Ce que nous demandons, c’est que le gouvernement cesse d’emprunter des banques et qu’il crée lui-même l’argent pour la nation, sans intérêt et sans dette, tel que prescrit dans la Constitution du pays. C’est la seule solution qui va à la racine du problème, et qui le règle une fois pour toute. Cela mettrait finalement l’argent au service de la personne humaine.