Question — Le Crédit Social est-il uniquement un système monétaire?
Le Crédit Social est, avant tout, une conviction. Une conviction fondée sur des faits et encore avec des principes. Une philosophie de la vie économique.
Le Crédit Social raisonne en termes de réalités, non pas en termes d'argent. D'une part, les besoins normaux qui sont une réalité; d'autre part, la possibilité de produire et de livrer les biens répondant à ces besoins.
Autre constatation: La vie en société permet une production immensément plus abondante que l'addition de toutes les activités d'hommes qui vivraient isolément, sans relation les uns avec les autres, sans vie sociale organisée. La différence est un enrichissement dû au fait de l'association, un «incrementum» dont doivent bénéficier tous les membres de la société.
D'où la conviction exprimée par le Crédit Social, à savoir: vu l'abondance actuelle de la production réalisée ou potentielle, une société bien organisée peut et doit fournir à tous ses membres le moyen de satisfaire leurs besoins économiques, dans l'ordre de leur urgence. Un certain niveau de sécurité économique à chacun sans condition autre que l'existence de cette possibilité.
Les propositions financières énoncées par Douglas, les modifications qu'elles nécessiteraient dans le système monétaire, ne sont que des moyens pour réaliser cette fin. En posant la fin et en y assujettissant les moyens nécessaires pour l'atteindre, le Crédit Social rejoint bien la conception d'un organisme économique vraiment humain qu'avait le Pape Pie XI en écrivant dans son encyclique Quadragesimo Anno, en 1931:
«L'organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin, alors seulement qu'il procurera à tous et à chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la vie économique ont le moyen de leur procurer. Ces biens doivent être assez abondants pour satisfaire aux besoins d'une honnête subsistance et pour élever les hommes à un degré d'aisance et de culture qui, pourvu qu'on en use sagement, ne met pas obstacle à la vertu mais en facilite au contraire singulièrement l'exercice.»
Le «tous et chacun» des membres de la société est repris par Pie XII, dans son message de Pentecôte du 1er juin 1941:
«Tout homme, en tant qu'être doué de raison, tient en fait de la nature le droit fondamental d'user des biens matériels de la terre... Un tel droit individuel ne saurait en aucune manière être supprimé.»
Ce sont là des principes. Principes qui existaient bien avant que les Papes cités les expriment; bien avant, aussi, que le fondateur du Crédit Social, C. H. Douglas, écrive les premiers mots de ses ouvrages sur le sujet.
Cependant, Douglas a ajouté une autre considération au droit qu'a tout homme d'user des biens de la terre. Parce qu'il est un être doué de raison, dit Pie XII, et cela était vrai dès la création du premier être humain. Mais aussi, dit Douglas, parce que l'homme de la présente génération est l'héritier de toutes les découvertes, inventions, applications de la science, apports de nouvelles sources d'énergie, progrès dans les techniques de production, et autres acquêts des générations passées, accumulés et transmis jusqu'à la nôtre.
Cet héritage, qui n'a point été gagné par un homme plus qu'un autre de la génération actuelle, est un bien communautaire. C'est aussi le plus gros facteur de la production moderne, sans lequel ni les efforts des travailleurs ni les signes financiers des capitalistes ne fourniraient plus qu'une fraction minime de l'immense production actuelle. Héritage commun, capital réel commun, dont tous les cohéritiers ont, de ce fait, un droit à une part de l'usufruit de ce capital producteur.
Le revenu d'un capital s'appelle dividende. Le revenu d'un capital social dont tous sont héritiers s'appelle dividende social. Et c'est cela que signifie le dividende périodique à tous et à chacun, un des points essentiels de l'organisme économique envisagé par le Crédit Social.
Lorsque Pie XII appuyait sur le point fondamental et imprescriptible de tout homme à user des biens matériels de la terre, il ajoutait:
«C'est laissé à la volonté humaine et aux formes juridiques des peuples de régler plus en détail la réalisation pratique de ce droit.»
Est-ce que, dans notre monde moderne, la proposition d'un dividende périodique à chaque personne ne ferait pas cette réalisation d'une façon pratique et efficace? Bien mieux que la complexité des ébauches de sécurité sociale impliquant un régime barbare de taxes, des enquêtes répétées et une armée de fonctionnaires.
Le fait de donner à chaque citoyen, de sa naissance à sa mort, un statut de capitaliste, l'attitrant à un dividende périodique, ne serait-il pas, sur le plan économico-social, la meilleure arme à opposer à la propagande socialiste et communiste?
Un tel revenu, arrivant sous forme de dividende, respecterait la dignité de la personne. Il ne serait pas, comme le salaire, lié à une servitude. Il n'aurait pas le caractère humiliant d'un secours, d'une allocation exigeant enquête et preuve d'indigence. Ce serait la reconnaissance d'un droit de naissance, inhérent à la personne, droit à une part des biens provenant des richesses naturelles créées par Dieu et du patrimoine légué par les générations précédentes.
Cette notion d'héritage des générations, désignée par Douglas sous le nom d'héritage culturel (par nous, héritage communautaire), a été perçue et exprimée par un autre grand esprit, non pas un économiste ou un sociologue de profession, mais un des plus éminents philosophes catholiques de notre siècle, Jacques Maritain. Il écrit dans son livre Humanisme Intégral, pages 205-206, de l'édition 1936:
«C'est un axiome pour l'économie “bourgeoise” et la civilisation mercantile qu'on a rien pour rien... Bien au contraire, du moins et d'abord pour ce qui concerne les besoins premiers, matériels et spirituels, de l'être humain, il convient qu'on ait pour rien le plus de choses possibles... Que la personne humaine soit ainsi servie dans ses nécessités primordiales, ce n'est après tout que la première condition d'une économie qui ne mérite pas le nom de barbare. Les principes d'une telle économie conduiraient à mieux saisir le sens profond et les racines essentiellement humaines de l'idée d'héritage... en telle sorte que tout homme, en entrant en ce monde, puisse effectivement jouir, en quelque façon, de la condition d'héritier des générations précédentes.»
Jacques Maritain revient sur cette idée plus d'une fois dans son livre Principes d'une Économie Humaniste, publié en 1944. Entre autres, à la page 126:
«C'est enfin cette égale condition de cohéritiers à l'effort de tous, qui fait que tous doivent autant que possible avoir pour rien une part dans les biens élémentaires, matériels et spirituels, de l'existence humaine.»