La sortie d'un banquier

le lundi, 15 janvier 1940. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

On remarquera, dans le présent numéro de VERS DEMAIN, un certain écart de la physionomie ordinaire de ses rubriques. On a même sacrifié l'excursion périodique à travers les journaux.

C'est que nous avons cru devoir faire les honneurs de l'édition à Monsieur Beaudry Leman Nous aurions pu nous contenter de la réplique de notre collaborateur, M. Théophile Bertrand, puisque – c'est sa juste remarque – dès lors que l'économie défendue par le banquier est philosophiquement condamnée dans ses premiers principes et dans ses idées-forces, il devient superflu de se préoccuper du reste.

Mais, à cause du snobisme qui attache au nom et à la fonction de M. Leman une sorte de privilège d'infaillibilité, à cause de l'abject empressement des journaux à étaler et exalter son texte, il convenait, pour n'avoir pas l'air d'enregistrer une défaite aux yeux des faibles, de faire ressortir le creux d'une logique apparente, de relever aussi la perfidie de l'auteur à dénaturer une doctrine pour essayer de la démolir.

Surtout, croyons-nous, il fallait abattre cette morgue avec laquelle il harcèle la déclaration de la commission de théologiens qui a rendu jugement sur le Crédit Social au point de vue doctrinal catholique. Car, bien qu'il prétende aborder le sujet au seul point de vue économique, M. Leman blâme ostensiblement les théologiens de tirer leurs conclusions de textes nuageux ; il les nargue pour oser soupçonner dans le Crédit Social une technique plus humaine que la dispensation actuelle de la monnaie et du crédit au gré de ceux qui les contrôlent ; il les ridiculise de s'être occupés des fadaises et des inanités d'un dividende national ; il les raille de trouver que la question prend de l'importance et de souhaiter une étude bel et bien faite depuis longtemps !

Notre sous-pape va plus loin encore. La question capitale pour les théologiens était de décider sur la présence ou l'absence des caractères du communisme ou du socialisme dans les propositions du Crédit Social. Leur conclusion unanime exonère la doctrine créditiste de ces accusations auxquelles les adversaires tenaient tant. Beaudry Leman juge le contraire. Il l'insinue en plus d'un endroit et finit par le déclarer expressément : "le résultat inévitable serait la confiscation... de tout ce qu'on est convenu d'appeler la propriété privée. "

Nous nous sommes tus en attendant la promulgation du jugement des théologiens. Mais ce n'est pas à un vulgaire banquier que nous reconnaîtrons le droit d'annuler ou de déprécier le verdict d'hommes non seulement sincères, mais sérieux et autrement mieux éclairés que lui.

Quant aux journaux hypnotisés ou soûlés qui trouvent que le texte de Leman mérite plus de méditation que la déclaration de nos théologiens, ils ne font que demeurer fidèles à leur bourbier. Ce n'est pas en se vautrant qu'on s'élève.

D'ailleurs, politiciens, banquiers et publicistes, pour la plupart, s'apparentent par l'absence complète d'un objectif véritablement social. Ce qui explique leurs divagations en économique autant qu'en philosophie. Le religieux, économiste et sociologue de marque, qui fonda et dirige encore l'École de Sciences Sociales, Économiques et Politiques de l'Université Laval, les toisait de pied en cap lorsqu'il écrivait, il y a bientôt quatre ans :

"Défiez-vous d'eux, même lorsqu'ils abordent le Crédit Social sous son aspect économique. Les politiciens régnants pressentent dans ce nouveau mouvement une force qui monte et les menace ; les banquiers y voient l'ennemi acharné de leur précieux monopole. Ne vous étonnez donc pas si leurs publicistes, d'un commun accord, entreprennent de réfuter sa doctrine ou de la ridiculiser : ce qui est beaucoup plus facile et demande moins d'intelligence." (Rév. Père G.-H. Lévesque, o p., dans "Crédit Social et Catholicisme".)

LOUIS EVEN

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