Le texte suivant a été envoyé récemment pour étude à un groupe d’économistes, sociologues et théologiens réunis à Rome. Pour ce texte je suis fortement redevable aux recherches faites par Mme Diane Boucher.
Les idées de Douglas furent d’abord connues sous le nom de démocratie économique, d’après le titre du premier livre qu’il écrivit sur le sujet (Economic Democracy) en 1919. Il écrivit d’autres livres par la suite, les principaux étant The Monopoly of Credit (Le Monopole du Crédit) et Social Credit (Le Crédit Social) – l’expression utilisée le plus souvent aujourd’hui pour désigner sa philosophie.
Le but de cette philosophie est de s’assurer que les consommateurs aient suffisamment de pouvoir d’achat pour acheter les biens finis qui satisfont leurs besoins essentiels. Douglas affirme qu’un défaut dans le système des prix cause un rétrécissement accéléré du pouvoir d’achat et qu’il est impossible de corriger ce défaut dans un système financier où la monnaie est un bien fabriqué et commercé en vue du profit. Selon lui, la correction exige un système financier où le pouvoir d’achat de la monnaie est ajustable par un escompte sur les prix et la distribution générale d’un dividende basé sur la capacité de production nationale.
Le Pape Benoît XVI écrivait au paragraphe 66 de son encyclique Caritas in veritate: «Il est souhaitable que, comme facteur de démocratie économique, les consommateurs aient un rôle plus décisif, à condition qu’ils ne soient pas eux-mêmes manipulés par des associations peu représentatives.» Les consommateurs auraient en effet un rôle décisif à jouer dans un système de Crédit Social, qui applique à merveille le concept de démocratie économique:
L’argent peut être comparé à un bulletin de vote, avec lequel vous pouvez «voter» pour les produits et services de votre choix. Chaque individu devrait avoir assez de ces «bulletins de vote économiques» pour obtenir les biens essentiels. (On essaie aujourd’hui d’atteindre cet objectif par des programmes sociaux financés par les taxes, mais comme on le verra plus loin, Douglas propose quelque chose de différent, un dividende.) Afin de rester en affaires, les producteurs ne fabriqueraient que les biens et services commandés par la population. En votant pour les biens et services qu’ils désirent, les consommateurs décideraient en fin de compte ce qui serait produit, mais évidemment pas de quelle façcon ils seraient produits, ce qui relève de la compétence des producteurs.
Douglas écrivait en 1920 dans Credit-Power and Democracy:
«Le Crédit Social est une philosophie socio-économique dans laquelle les consommateurs, assurés d’un pouvoir d’achat adéquat, décident de ce qui sera produit par l’usage de leur vote monétaire. Vu de cette manière, le terme démocratie économique ne signifie pas le contrôle de l’industrie par les travailleurs (les consommateurs décident le quoi, qu’est-ce qui sera produit, et non pas le comment, la façon de le produire, les techniques à employer, qui est laissée aux producteurs). En enlevant le contrôle de la production des mains des institutions bancaires, du gouvernement et de l’industrie, le Crédit Social envisage une aristocratie de producteurs au service d’une démocratie de consommateurs.»
Le Pape Benoît XVI signant son encyclique Caritas in veritate le 7 juillet 2009 |
En citant les paroles de Jean-Paul II tirées de son message pour la journée mondiale de la paix pour l’an 2000, Benoît XVI parle du besoin d’«une réflexion nouvelle et approfondie sur le sens de l’économie et de ses finalités.» (Caritas in veritate, n. 32.) Il est important de ne pas confondre fins et moyens. Le but, la fin de l’économie, c’est de faire en sorte que les biens joignent les besoins, c’est-à-dire, non seulement de produire les choses nécessaires à la vie, mais aussi de faire en sorte que ces choses atteignent véritablement les humains qui en ont besoin. Il faut s’assurer que les biens, une fois produits, ne demeurent pas sur les tablettes des magasins et que les gens meurent de faim. Il s’agit donc de production, puis de distribution: les biens doivent tout d’abord être produits, et ensuite distribués. La production abonde aujourd’hui, c’est la distribution qui fait défaut. Ce n’est pas le capitalisme en soi (propriété privée, libre entreprise) qui est défectueux, mais le système financier qu’il utilise.
Dans sa première encyclique, Deus caritas est (Dieu est amour, n. 25-26), Benoît XVI écrivait: «L’Église est la famille de Dieu dans le monde. Dans cette famille, personne ne doit souffrir par manque du nécessaire… Le but d’un ordre social juste consiste à garantir à chacun, dans le respect du principe de subsidiarité, sa part du bien commun.»
Le but de l’économie n’est pas de fournir des emplois ou bien les profits ou la croissance économique à tout prix. Tout cela — emplois, profits, croissance économique — ne sont que des moyens; la fin de l’économie est de satisfaire les besoins humains dans le respect de la dignité et de la liberté de la personne humaine. Si les biens peuvent être produits avec moins de labeur humain, grâce aux machines et les nouvelles technologies, tant mieux; cela permet à l’homme de consacrer ses temps libres à d’autres activités, à des activités libres, des activités de son choix. (Mais cela, à condition qu’il reçoive un revenu pour remplacer le salaire qu’il a perdu avec l’introduction de la machine. C’est ce que ferait le dividende du Crédit Social.)
Le profit n’est pas la fin ultime, il est un moyen. La fin ou le but, répétons-le, c’est la satisfaction des besoins humains. Benoît XVI écrit, au paraphe 21 de Caritas in veritate: «Le profit est utile si, en tant que moyen, il est orienté vers un but qui lui donne un sens relatif aussi bien quant à la façon de le créer que de l’utiliser. La visée exclusive du profit, s’il est produit de façon mauvaise ou s’il n’a pas le bien commun pour but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pauvreté.»
Quelques lignes plus loin, au paragraphe 32 de la même encyclique, le Saint-Père mentionne que l’augmentation de la pauvreté dans nos sociétés entraîne «l’érosion progressive du “capital social”, c’est-à-dire de cet ensemble de relations de confiance, de fiabilité, de respect des règles, indispensables à toute coexistence civile.»
Il convient de se rappeler de cette vérité de base, car aucun système économique ne peut fonctionner sans confiance. Cela me rappelle ces paroles de Geoffrey Dobbs mentionnées dans la leçon 1 de mon livre «Les propositions financières du Crédit Social expliquées en 10 leçons»:
«Le mot “crédit” est synonyme de foi, ou confiance… le crédit social, c’est donc la confiance qu’on puisse vivre ensemble en société… Comment pourrions-nous vivre le moindrement en paix si nous ne pouvons pas faire confiance à nos voisins? Comment pourrions-nous utiliser les routes si nous n’avions pas confiance que les autres automobilistes observent le Code de la route?… Et qu’arrive-t-il lorsque le concept de mariage chrétien, de famille chrétienne et d’éducation chrétienne des enfants est abandonné?»
Selon Douglas lui-même, l’ensemble de ses vues économiques repose sur certaines propositions fondamentales dont les trois plus importantes sont les suivantes :
Ces trois propositions se rattachent au «contrôle de la production par le consommateur» et à la «comptabilité intégrale», lesquels sont les pivots de l’organisation douglasienne de l’économie.
Le crédit réel comporte deux aspects. Le premier aspect est la capacité de produire des biens et services de consommation. Le second aspect est la demande effective pour des biens et services de consommation.
La demande effective des consommateurs est une production désirée par les consommateurs, c’est-à-dire une production composée de biens et services de consommation répondant en quantité et en qualité à leurs besoins: nourriture, vêtement, logement et autres besoins moins élémentaires. Pour être une demande effective, la demande pour des biens et services de consommation doit être soutenue par un pouvoir d’achat suffisant parmi la population.
«L’homme, par son travail, hérite d’un double patrimoine: il hérite d’une part de ce qui est donné à tous les hommes, sous forme de ressources naturelles et, d’autre part, de ce que tous les autres ont déjà élaboré à partir de ces ressources.» Jean-Paul II, encyclique |
Le crédit réel d’une communauté productive moderne, sa capacité de produire de la richesse au sens réel du terme, repose non seulement sur des facteurs matériels (la terre, le travail et le capital), mais aussi sur des facteurs intangibles, maintenant prépondérants, qui sont l’héritage culturel et l’augmentation de production due à l’association. Dans Economic Democracy, Douglas écrit que 95 pour cent de la production est due aux procédés et aux outils, qui forment un héritage culturel qui appartient à la communauté en son entier et non pas seulement aux travailleurs.
L’association de personnes dans la production donne lieu à une augmentation de production qui n’est pas gagnée, et cette augmentation «non gagnée» est énormément plus importante que l’augmentation de production gagnée par le travail individuel.
Ces deux principaux facteurs de production (l’héritage culturel et l’augmentation de production due à l’association) sont de propriété commune ou sociale, tant d’un point de vue éthique que d’un point de vue pragmatique, car elles sont l’héritage du travail des générations passées, et que le refus de reconnaître cet héritage entraîne sa destruction.
Karl Marx prétendait que le travail créait toute la richesse, et Adam Smith déclarait que le capital (l’argent investi dans une enterprise) contribuait aussi à la production. Cependant, tous deux ignorent ce que C.H. Douglas appelle «l’héritage culturel», le double héritage des richesses naturelles et des inventions des générations précédentes qui sont responsables de plus de 90% de la production actuelle dans les pays développés. C’est exactement ce que le Pape Jean-Paul II écrivait en 1981 dans son Encyclique Laborem exercens, sur le travail humain (n. 13):
«L’homme, par son travail, hérite d’un double patrimoine: il hérite d’une part de ce qui est donné à tous les hommes, sous forme de ressources naturelles et, d’autre part, de ce que tous les autres ont déjà élaboré à partir de ces ressources, en réalisant un ensemble d’instruments de travail toujours plus parfaits. Tout en travaillant, l’homme hérite du travail d’autrui.»
Benoît XVI parle aussi de la technologie dans sa dernière encyclique Caritas in veritate (n. 69): «La technique permet de dominer la matière, de réduire les risques, d’économiser ses forces et d’améliorer les conditions de vie... La technique s’inscrit donc dans la mission de cultiver et de garder la terre (cf. Gn 2, 15) que Dieu a confiée à l’homme, et elle doit tendre à renforcer l’alliance entre l’être humain et l’environnement appelé à être le reflet de l’amour créateur de Dieu.»
Dans la même encyclique (au n. 27), le Saint-Père écrit que «la faim ne dépend pas tant d’une carence de ressources matérielles, que d’une carence de ressources sociales.» Comme le fait remarquer le Pape, ce n’est pas la production qui manque («pas une carence de ressources matérielles») mais c’est la distribution qui fait défaut; il faut donc avoir recours à la «justice distributive», à la distribution par un dividende:
«La doctrine sociale de l’Église n’a jamais cessé de mettre en évidence l’importance de la justice distributive et de la justice sociale pour l’économie de marché (n. 35) ... La vie économique a sans aucun doute besoin du contrat (les salaires en échange du travail fourni) pour réglementer les relations d’échange entre valeurs équivalentes. Mais elle a tout autant besoin de lois justes et de formes de redistribution guidées par la politique, ainsi que d’œuvres qui soient marquées par l’esprit du don.» (Caritas in veritate, n. 37.)
Ceux qui ont étudié le Crédit Social savent que les salaires ne suffisent pas pour acheter toute la production et, de plus, que ce n’est pas tout le monde qui est employé dans la production (entre autres, grâce aux machines qui remplacent le labeur humain). C’est la raison pour laquelle le Crédit Social propose un dividende à chaque être humain (en plus des salaires à ceux qui sont employés), puisque chaque être humain est véritablement copropriétaire, co-héritier des deux plus grands facteurs de production: les richesses naturelles (le soleil, l’eau, la pluie, le vent, les minéraux, dons de Dieu pour tous les hommes), et le progrès, l’héritage des inventions des générations passées.
Dans Caritas in veritate, Benoît XVI insiste beaucoup sur l’économie de don, l’économie de gratuité, tant au niveau des personnes que des institutions. Tout ne peut être calculé en salaires, beaucoup de bien peut être fait par le bénévolat. Dans un système de Crédit Social, les citoyens ayant la sécurité économique garantie par le dividende, l’entraide et le bénévolat croîtraient tout naturellement. Le vrai bonheur et la sainteté résident dans le don de soi, dans le service du prochain. C’est le véritable amour. On pourrait ainsi voir l’épanouissement de ce que Paul VI appelait la «civilisation de l’amour», avec «l’économie au service de l’homme, le pain quotidien distribué à tous.» (Encyclique Populorum progressio, n. 86.)
Certains économistes, comme Milton Friedman, aiment à répéter qu’on n’a rien pour rien, qu’il n’existe rien de gratuit dans la vie («there is no such thing as a free lunch»). Mais la nature abonde d’exemples qui prouvent le contraire. L’air que nous respirons, le soleil, l’eau, etc., sont tous des dons gratuits de notre Créateur. Dieu Lui-même nous comble de gratuités avec les ressources naturelles et la nourriture qu’Il donne en abondance: le dividende serait le reflet de cette générosité, de ces gratuités de Dieu.
Pour C.H. Douglas, le crédit financier est le moyen de mettre en oeuvre le crédit réel, la capacité de production du pays. Le crédit financier est donc purement un correspondant chiffré ou monétisé du crédit réel et, par similitude avec le crédit réel, il est défini comme un estimé exact de la capacité de livrer la monnaie.
Le véritable rôle du système financier est alors, selon Douglas, d’émettre du crédit financier jusqu’à représenter fidèlement le crédit réel. La limite d’émission du crédit financier est atteinte lorsque la demande effective des consommateurs est comblée ou que la capacité de produire est épuisée, selon la première occurrence.
Cette conception du crédit financier comme reflet du crédit réel s’appuie sur une définition de la monnaie tout à fait moderne et systémique. L’orthodoxie économique définit la monnaie comme un moyen d’échange, comme une unité de compte et comme une réserve de valeur, mais Douglas s’éloigne résolument de ces définitions.
À son avis, la monnaie a cessé depuis plus de 200 ans d’être un moyen d’échange, car la contribution individuelle à la production est de plus en plus faible, étant donnés la mécanisation, l’automation et autres facteurs de productivité caractéristiques de la production moderne. Sous son oeil d’ingénieur, la monnaie est simplement un billet («ticket»), une information qui permet de diriger la production et la distribution des biens et services.
Suivant sa conception particulière de la monnaie, Douglas attribue aussi une polarité aux divers flux de monnaie. Certains flux monétaires sont positifs et d’autres sont négatifs, l’aspect positif étant représenté par l’émission de monnaie, et l’aspect négatif étant représenté par l’échange de cette monnaie en contrepartie de biens et services.
Le concept douglasien du vrai coût de la production est une approche réelle ou physique et non pas une approche monétaire. Selon ce point de vue, le coût véritable d’une production est tout ce qui a été dépensé physiquement (en énergie, labeur humain, usure d’outils, matériaux, repas pour les travailleurs, etc.) pour produire cette chose, c’est-à-dire l’ensemble des coûts de ce qui a été consommé — biens de consommation, biens intermédiaires et biens d’équipement — pendant la période où cette production a été exécutée. En conséquence, le véritable coût de la production n’est pas son coût comptable ou monétaire, mais de beaucoup inférieur au coût monétaire.
Voic ce que Douglas écrivait en 1936, dans The Approach to Reality, au sujet de la déficience de pouvoir d’achat en face des prix: «On nous a souvent répété qu’il est absurde de dire que le système financier ne distribue pas assez de pouvoir d’achat pour pouvoir acheter les biens mis en vente. Nous n’avons jamais dit une telle chose! Ce que nous disons c’est que, dans le système monétaire actuel, afin d‘avoir suffisamment de pouvoir d’achat pour distribuer les biens de consommation, il est nécessaire de produire en quantité disproportionnée des biens de capital et d’exportation... Telle est, en gros, la situation. Dans ce pays, et dans chaque pays moderne, afin que le système monétaire actuel puisse fonctionner, vous devez produire un surplus de choses qui ne sont pas immédiatement achetées afin de distribuer ce qui est déjà disponible.»
On encourage la vente à crédit: achetez maintenant, payez plus tard... |
Sans une autre source de revenu (le dividende), il devrait y avoir théoriquement, dans le système actuel, une montagne de produits invendus. Si les produits se vendent tant bien que mal malgré tout, c’est qu’on a à la place une montagne de dettes! En effet, puisque les gens n’ont pas assez d’argent, les marchands doivent encourager les ventes à crédit pour écouler leur marchandise. Mais cela ne suffit pas pour combler le manque de pouvoir d’achat.
Alors on insistera sur le besoin de travaux qui distribueront des salaires sans augmenter la quantité de biens consommables mis en vente: les travaux publics (construction ou réparation de ponts ou de routes), la production d’armements de guerre (sous-marins, frégates, avions, etc.). Mais tout cela ne suffit pas non plus.
Alors chaque pays cherchera à avoir une «balance commerciale favorable», c’est-à-dire exporter, vendre à l’étranger plus de produits qu’on en reçoit, pour obtenir ainsi de l’étranger de l’argent qui servira à combler notre pouvoir d’achat déficient et acheter nos propres produits. Or, il est impossible pour tous les pays d’avoir une «balance commerciale favorable»: si certains pays réussissent à exporter plus de produits qu’ils en importent, ça prend nécessairement aussi, en contrepartie, des pays qui reçoivent plus de produits qu’ils en envoient. Mais comme tous les pays veulent vendre à l’étranger plus de produits qu’ils en reçoivent, cela cause entre ces pays des conflits commerciaux, qui peuvent même dégénérer en conflits armés.
En raison des défauts du système financier actuel, tout est produit pour durer le moins longtemps possible et être consommé le plus rapidement possible: on obtient de l’activité économique, mais au prix du gaspillage et sabotage de l’environnement, hypothéquant ainsi l’avenir de nos enfants... |
Geoffrey Dobbs |
La société de consommation (en anglais, consumerism), ou la nécessité de créer des besoins artificiels pour vendre des biens qui autrement ne répondent à aucun besoin utile, provient directement de cette déficience chronique de pouvoir d’achat. De là s’ensuit une pression énorme sur l’environnement, avec un sabotage et un gaspillage colossal des richesses naturelles et d’énergie dans l’unique but de fournir du pouvoir d’achat autrement déficient: nous devons hypothéquer notre avenir afin de pouvoir acheter les choses qui ont été produites dans le passé. Le Dr. Geoffrey Dobbs, de Galles, au Royaume-Uni, écrivait à ce sujet les commentaires suivants dans son introduction à la cinquième édition du livre Economic Democracy de Douglas, en 1974:
«Comme le fait remarquer Douglas, la production est une conversion de matière ou d’énergie, faisant passer cette matière d’une forme inutilisable à une forme qui puisse être utilisée par l’humanité. L’efficacité de cette conversion dépend premièrement de l’utilité du produit ainsi obtenu. Utile à qui, qui peut en être le juge? Douglas dit que ces ressources sont une propriété commune, ce qui signifie qu’elles doivent être rendues disponibles pour notre usage, et que nous devons être les juges de cet usage. Cela signifie le contrôle de la production par les consommateurs — la démocratie économique — qui est incompatible avec un système qui distribue des biens et services seulement en produisant davantage de biens et services, créant ainsi la nécessité de produire des choses inutiles, non désirées, mais en essayant tout de même de créer une “demande” pour ces produits.
«On dit que nous vivons dans une “société de consommation”, souffrant d’une trop grande soif de consommation. Mais c’est considérer la réalité d’un mauvais point de vue: notre société souffre plutôt de surproduction, de la maladie de créer des emplois qui ne sont pas vraiment nécessaires. Le contrôle passe de plus en plus des consommateurs aux producteurs, qui se soucient avant tout de créer des emplois et écouler des produits dont les consommateurs n’ont pas vraiment besoin.
«Cet objectif des producteurs est contraire et incompatible avec le véritable but de la production, qui est de satisfaire les besoins humains au moindre coût possible et avec un minimum de perte d’énergie et de ressources. Douglas n’a jamais dit que le système financier actuel n’était pas capable de distribuer l’argent pour acheter les biens désirés, mais qu’il ne pouvait le faire sans produire des biens qui ne sont pas désirés, et en accélérant le gaspillage et le sabotage de l’environnement et des richesses naturelles.
«Si nous devons produire des choses afin de distribuer des salaires pour pouvoir acheter les choses fabriquées précédemment, alors nous avons trouvé la recette pour la création du problème de nos économies modernes: la nécessité d’une “croissance économique” continue, avec un gaspillage sans fin d’énergie et de ressources, alors que les avancées technologiques augmente la production par homme/heure. Sans l’apport de crédits à la consommation qui hypothèquent nos revenus futurs, alors nous pouvons acheter de moins en moins des biens que nous avons déjà produits.»
Dans son livre Social Credit, écrit en 1924, Douglas résume en deux propositions, établies en termes généraux, son diagnostic des défauts du présent système des prix:
Dans le deuxième ouvrage qu’il a publié (en 1920), Credit-Power and Democracy, Douglas cristallise sa pensée relative au double circuit de la monnaie dans l’industrie sous forme d’un énoncé qui sera, à partir de ce moment, connu sous le nom de «théorème A+B»:
«Une usine ou toute autre entreprise de production possède, en plus de sa fonction économique de producteur de biens, un aspect financier, qui peut être considéré, d’un côté, comme mécanisme de distribution de pouvoir d’achat aux individus au moyen de salaires et dividendes et, d’un autre côté, comme une manufacture de prix, ou valeurs financières. Selon cet aspect, les paiements de cette entreprise peuvent être divisés en deux groupes:
«Groupe A: Tous les paiements faits aux individus (salaires, les appointements, dividendes);
«Groupe B: Tous les paiements faits à d’autres organisations (pour de la matière première, des charges bancaires et autres coûts externes.
«Le taux de distribution de pouvoir d’achat aux individus est représenté par A. Mais puisque tous les paiements doivent entrer dans les prix, le taux de formation des prix ne peut pas être moins que A+B. Comme A ne peut acheter A+B, une proportion du produit au moins équivalente à B doit être distributée par une forme de pouvoir d’achat non comprise dans ce qui est classé dans le groupe A.»
La critique que fait Douglas du paradigme économique actuel, qui est un paradigme bancaire eu égard à la définition bancaire de la monnaie, n’est pas d’abord morale bien que les raisons de critique sur ce plan ne lui manquent pas. La critique de Douglas est d’ordre fonctionnel: un système financier basé sur le pouvoir bancaire de création et de destruction de la monnaie ne fonctionne pas.
Le pape Pie XI a eu des paroles très fortes sur le pouvoir discrétionnaire des banques de créer ou de retirer l’argent (par les prêts et le remboursement de prêts). dans son encyclique Quadragesimo anno en 1931, au n. 106.
«Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l’argent et du crédit, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent le sang à l’organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer.» Pie XI, 15 mai 1931 |
Une étude plus approfondie par l’Église de cette question de la création de l’argent et de l’intérêt sur les prêts serait d’actualité, surtout en considérant les sérieux problèmes d’endettement de plusieurs pays, non seulement du tiers-monde, mais aussi des pays industrialisés, y compris le Canada et les États-Unis. Si, comme l’écrivait Jean-Paul II dans son encyclique Centesimus annus (n. 35), «le principe que les dettes doivent être payées est assurément juste», il est certainement injuste de faire rembourser plusieurs fois le capital original emprunté, par l’effet de l’intérêt composé.
C’est en trois propositions que C. H. Douglas a synthétisé les principes de la réforme qu’il préconise en réponse aux défauts du système des prix:
Si C.H. Douglas a formulé plusieurs politiques économiques dont l’application répondrait aux principes généraux d’un système financier qui reflète la réalité de la capacité de production et distribution des biens et services de consommation, il précise que deux de ces politiques sont essentielles et, bien que les méthodes d’application puissent varier, elles doivent être appliquées toutes les deux.
La première de ces politiques essentielles est l’abaissement du niveau des prix de détail sous le coût de production par une remise au consommateur ou un escompte au consommateur compensé au producteur. La seconde politique est la distribution générale de pouvoir d’achat correspondant au gain de productivité sous forme d’un dividende sur le capital réel national. Ces deux politiques ont comme caractéristique de fournir du pouvoir d’achat non inclus dans les coûts de production et donc non inclus dans les prix. Car Douglas a observé les mécanismes correcteurs déjà existants dans le système économique et il propose une adaptation de ces mécanismes en relation avec sa conception du crédit réel et de son reflet, le crédit financier.
Nous n’entrerons pas ici dans les détails techniques pour l’application de ces deux mécanismes (l’escompte compensé et le dividende), ce qui dépasserait les limites de cet article, mais il existe plusieurs livres qui les expliquent. (Celui que nous suggérons aux lecteurs est la brochure de 32 pages de Louis Even, Une finance saine et efficace, qui est disponible à notre bureau au prix de 3 dollars, et aussi disponible gratuitement sur notre site internet.
Pour conclure, la doctrine sociale de l’Église est un véritable trésor, et nous sommes reconnaissants envers notre Saint-Père actuel qui met à jour cet enseignement pour les nouvelles circonstances actuelles.