Louis Even le samedi, 15 février 1941. Dans Crédit Social, L'économique
Lorsqu'on parle d'économique, on parle des activités de l'homme pour placer les biens de la terre au service de ses besoins.
Il ne suffit pas de trouver les choses, de les produire; il faut aussi les rendre à destination. Autrement l'économique n'atteint pas son but. Il ne faut pas se contenter de sortir du blé de la terre; il faut que le pain entre dans l'estomac qui a faim. Il faut que les chaussures viennent sur les pieds qui sont nus, les vêtements sur les dos qui ont froid, les meubles dans les maisons, le bois dans le poêle.
L'économique est bonne lorsqu'elle fait cela. Elle est mauvaise lorsqu'elle ne le fait pas ou qu'elle le fait pour quelques privilégiés seulement.
Chaque homme a droit à un minimum de biens sur la terre, au moins au nécessaire pour vivre. Un régime qui ne garantit pas ce nécessaire à tous les membres de la société est un régime défectueux. Il y a longtemps que l'Église l'a affirmé.
La nourriture, les habits, les maisons, les meubles, le combustible, les remèdes, l'instruction — voilà la richesse, voilà ce qui soutient ou embellit la vie.
Il est facile aujourd'hui de produire ces choses utiles. Partout on les annonce à vendre. On cherche bien plus des acheteurs que des travailleurs.
Le problème actuel n'est pas de faire sortir du blé de la terre, mais de mettre la farine dans les maisons. Ce n'est pas de fabriquer des chaussures, mais de les placer sur les pieds.
Et pourquoi est-ce difficile?
Les aliments attendent l'affamé. L'affamé attend les aliments. Pourquoi les deux ne se joignent-ils pas?
Le charbon attend la fournaise. La fournaise attend le charbon. Pourquoi les deux ne se joignent-ils pas, pendant que le mineur chôme et que les petits grelottent dans la maison?
Pourquoi le malade et les remèdes ne se joignent-ils pas? Et ainsi pour tout, malgré les annonces intensives, malgré les agents de vente.
La richesse est là, mais la permission de la prendre n'est pas là. La richesse, ce sont les choses utiles. La permission de choisir les choses dont on a besoin, c'est l'argent. La richesse est devant le public. Mais l'argent n'est pas entre les mains du public. Le public n'a donc pas la permission de prendre les choses qui sont faites pour lui.
L'argent n'est que la permission d'obtenir des choses qui attendent. S'il n'y a pas de choses qui attendent, l'argent ne sert à rien, parce qu'il n'y a rien à prendre. Mais si les choses sont là et que c'est l'argent qui manque, on ne peut prendre les choses. On se prive en face de l'abondance qui pourrit.
Qu'est-ce qui est le plus difficile à faire: produire des aliments, des vêtements, des meubles, des maisons, ou donner les permissions de les prendre? Pourtant, ce sont les aliments, les vêtements, les meubles, les maisons qui sont là, et les permissions qui manquent.
Ces permissions sont des signes conventionnels: des pièces rondes en métal, des rectangles de papier imprimé ou de simples comptes dans des livres de banque, qu’on peut utiliser aussi sous forme électronique au moyen de cartes bancaires. Toutes ces permissions sont aussi valables les unes que les autres. L'essentiel est de les avoir.
Qui met la richesse au monde? Les travailleurs.
Qui met les permissions au monde? Les banquiers.
Les travailleurs, aidés des machines, mettent beaucoup de richesses au monde. Mais les banquiers, aidés d'un système diabolique, rendent les permissions excessivement rares.
Les permissions sont rares, parce que le banquier, en les mettant au monde, les laisse aller pour un certain temps seulement, puis oblige à les lui rendre. Il oblige même de lui rendre plus de permissions qu'il en a laissé aller. Elles peuvent donc bien devenir rares. Il en resterait moins que rien, s'il n'y avait pas les dettes publiques, les hypothèques sur les fermes et les maisons, les banqueroutes nombreuses, qui représentent des permissions gardées au-delà de leur terme.
Les fabricants d'argent, les banquiers règlent la quantité de permissions. Ils règlent donc le niveau de vie. On ne mange pas d'après la nourriture du pays. On ne s'habille pas d'après les vêtements du pays. On ne se loge pas d'après le bois et autre matériel de construction du pays. On fait tout cela et les autres choses d'après la quantité d'argent que le système nous permet d'avoir.
Les papes ont dénoncé cela, mais ça continue quand même.
Quand et comment les banques font-elles l'argent? Quand et comment détruisent-elles l'argent, retranchant ainsi les permissions de vivre? Tout cela a été expliqué dans divers articles de Vers Demain, et nous y revenons de temps en temps. Tout le monde devrait le savoir, pour comprendre le remède.
Le gouvernement ne fait pas l'argent.
Il taxe et emprunte pour avoir de l'argent. Mais il n'en met pas au monde. Lorsque les particuliers sont au bout de leurs capacités pour taxes et emprunts, le gouvernement emprunte des banques.
Les banques commerciales ont reçu du gouvernement lui-même la permission de faire l'argent à sa place. Et lorsque le gouvernement veut en avoir d'elles, il les paie, il s'endette envers elles. Beau retour pour le privilège qu'il leur a gracieusement octroyé !
C'est le gouvernement, représentant de la société, qui devrait faire l'argent, d'après la quantité totale de choses utiles à vendre dans le pays. Au lieu de cela, il se soumet à la volonté des banquiers, et tout le peuple, comme le gouvernement lui-même, souffre de manque d'argent.
Cette déchéance du gouvernement fait de lui le valet des intérêts privés. Et tout le peuple est devenu l'esclave de ces intérêts privés.
Les gens qui se donnent la peine d'étudier la question sont stupéfaits d'un tel désordre, et de plus en plus ils réclament que le gouvernement lui-même fasse l'argent selon les besoins et les possibilités du pays.
Cela ne veut pas dire que le gouvernement doive faire l'argent selon le caprice des hommes qui sont au pouvoir, ni qu'il doive se servir de cet argent à sa guise.
Ce sont les producteurs eux-mêmes qui font les biens et les consommateurs eux-mêmes s'en servent. Le gouvernement agit vis-à-vis du volume d'argent comme un comptable de la production et de la consommation totales du pays.
Le comptable n'est pas propriétaire de l'argent qu'il compte. Il tient les livres. Il ne crée pas les faits, il les, relève.
C’est là-dessus, et sur d’autres principes exposés de bien des manières dans de nombreux articles de Vers Demain, que le Crédit Social se base pour réclamer un dividende pour chaque citoyen et un total d'argent en rapport avec le total de la production vendable.
Étudiez le Crédit Social. Vous le comprendrez si vous croyez:
1. Que tout homme a droit aux nécessités de la vie;
2. Que l'argent doit servir l'homme, et non pas l'homme servir l'argent;
3. Que l'argent doit aller d'après la production, et non pas la production d'après l'argent;
4. Que les systèmes sont faits pour l'homme, et non pas l'homme pour les systèmes;
5. Que l’argent ne doit pas limiter la liberté et l'épanouissement de la personne humaine.
Le système économique d'aujourd'hui est basé sur l'argent. Aussi il commence par le mauvais bout: la finance gouverne la production; la production gouverne la consommation; l'homme doit s'accommoder de ce qu'on lui offre et de ce qu'on lui permet d'obtenir.
Le système économique assaini par le Crédit Social commencera par l'autre bout, par l'homme. L'homme, comme consommateur, fera ses commandes à la production; la production obéira aux commandes du consommateur. Quant à la finance, elle sera en service commandé, pour exprimer les désirs du consommateur et permettre de lui donner ce qu'il veut; tout ce qu'il veut dans les limites du possible.
Y a-t-il place pour la morale là-dedans? Oui, à l'endroit où se trouve l'homme agissant en homme, librement. C'est en plaçant ses commandes que le consommateur doit agir en homme, se guider par sa raison. C'est là que l'éducation, la morale, la religion doivent intervenir. C'est la finance qui intervient aujourd'hui. La finance a usurpé la place de la raison pour conduire les demandes des hommes.
Le Crédit Social remet les choses à leur place. C'est pourquoi on trouve beaucoup plus de saine philosophie dans la tête d'un créditiste de Vers Demain que dans le ciboulot d'un banquier de la rue St-Jacques.
Vers Demain, 15 février 1941