L'abondance tyranniquement refusée

le dimanche, 01 mai 1938. Dans Mai

Qu'est-ce que la vie économique ? Le Révérend Père Lévesque la définissait ainsi au cours d'une conférence : "La vie économique est l'activité qui consiste à adapter les biens matériels aux besoins humains."

Cette phrase est pleine d'enseignements. L'homme est fait pour son Créateur, mais les biens matériels sont faits pour l'homme. Et il faut adapter les biens matériels aux besoins de l'homme, pas adapter les besoins de l'homme à une restriction factice des biens matériels.

L'homme a des besoins temporels : il lui faut de la nourriture, des vêtements, du chauffage, un abri, etc. Le bon Dieu a mis sur la terre tout ce qu'il faut pour satisfaire les besoins de tous les hommes. Tout ne s'y trouve pas à l'état fini ; mais l'homme a reçu des forces physiques et un cerveau pour cultiver intelligemment, fabriquer intelligemment, transformer intelligemment.

Notre globe est plus peuplé aujourd'hui qu'il y a mille ans et cependant, au lieu d'être épuisé, il place à la disposition des hommes des biens infiniment plus variés et plus abondants qu'il y a mille ans.

Nos ancêtres avaient à craindre les famines, par suite de récoltes manquées dans certaines régions. Ils n'avaient pas les moyens de transport que nous avons.

Aujourd'hui, l'abondance règne, ou peut régner à la condition qu'on s'en serve.

Et ce qu'il y a de remarquable, c'est que, de nos jours, l'abondance naît avec une très modeste dépense de labeur humain. La vapeur travaille pour l'homme, l'électricité travaille pour l'homme, la gazoline travaille pour l'homme, la chimie travaille pour l'homme.

Les forces de la nature, que l'homme a pliées à son service, multiplient les produits tout en éliminant de plus en plus l'homme de la participation directe à la production. Et malgré cela, on continue de faire une loi que celui qui ne prend pas part à la production ne doit pas avoir droit aux fruits de la production.

Le progrès augmente les produits tout en diminuant le nombre de producteurs, et l'on veut que seuls les producteurs aient droit aux produits. Voilà, pour dire le moins, une économie à la fois idiote et barbare.

Il semble que, puisqu'on obtient l'abondance avec peu de travail, les hommes devraient avoir l'abondance tout en ayant plus de loisirs. Or on n'a même pas encore trouvé le moyen de garantir le nécessaire à tout le monde.

On a l'abondance dans la production et la rareté dans la distribution. Pourquoi ?

Dans le système moderne, pour obtenir des biens, marchandises ou services, il faut présenter le titre à ces biens. Le titre, c'est la monnaie. Si vous n'avez pas de monnaie, vous ne pouvez rien obtenir. La monnaie est devenue comme une licence pour avoir le droit de vivre.

Et comment obtient-on la monnaie ? Pour obtenir la monnaie, il faut prendre part à la production. D'où l'absurdité de la situation : le progrès vous élimine de la production, il vous ôte le droit à la monnaie, donc le droit à la production qu'il accumule devant vous. Alors, vous êtes pauvres en face de l'abondance.

Si le monde progressait tellement dans la technique de la production qu'il ne faudrait plus qu'un homme sur cent pour produire l'abondance, cet homme serait seul, sur les cent, à toucher de l'argent  — par son salaire — et les quatre-vingt-dix-neuf autres devraient ou mourir de faim ou vivoter en taxant celui qui seul travaille.

Est-ce là une loi naturelle ?

Pas du tout, ce n'est pas une loi, c'est une convention établie par les hommes, convention qui pouvait les satisfaire dans les siècles de labeur et de rareté, mais qu'ils peuvent et doivent changer, pour adapter leur ordre économique au climat historique actuel.

Cette convention, érigée en loi par les maîtres de la monnaie et les profiteurs du système, va contre le progrès qu'elle décourage. Elle est anti-humaine, parce qu'elle assujettit l'homme à l'argent et le maintient injustifiablement dans la privation. Elle est une cause d'immenses souffrances physiques et morales.

Mais n'est-ce pas tyrannique de maintenir ainsi l'humanité dans la pauvreté au sein de l'abondance possible, dans le mécontentement et la souffrance quand la paix et la joie de vivre pourraient être le fruit de la maîtrise de l'homme sur les forces de la nature ? Certainement, c'est tyrannique, et cette tyrannie est l'œuvre de tyrans. C'est la tyrannie financière, et les tyrans sont les financiers qui tiennent le contrôle.

Comment s'exerce cette tyrannie ? — Par le contrôle de la monnaie dans sa source et dans son orientation.

Le Pape, dans le même encyclique que nous citions tantôt, dénonce ces maîtres de l'argent et du crédit, du "sang économique des nations”, qui ont rendu toute la vie économique "horriblement dure, implacable et cruelle... Sans leur permission nul ne peut plus respirer.”

Cette tyrannie est-elle localisée ?

C'est une tyrannie internationale, qui s'exerce sur tous les pays civilisés — démocraties comme dictatures. Cette tyrannie centralise de plus en plus ses forces pour se mieux protéger contre les revendications de tel ou tel peuple qui voudrait s'en affranchir.

Que faut-il penser des hommes qui conduisent ce système ?

Les hommes qui conduisent ce système, et ceux qui le défendent, sont coupables de vol avec violence, et de meurtre, sur une échelle inconnue jusqu'ici dans les annales de l'humanité. Quelles que puissent être leurs qualités dans la vie privée, ils font, dans l'exercice de leurs fonctions, œuvre de criminels sociaux de la pire espèce.

Comment faut-il les envisager ? — Avec beaucoup de pitié comme hommes. Avec un profond mépris pour les principes qu'ils soutiennent. Avec une haine à mort de leur système. Pour leur bien comme pour le nôtre et celui de toute l'humanité, travailler à les déloger de leurs positions le plus tôt possible.

La suite de cette étude nous montrera où est la forteresse des affameurs de l'humanité et ce qu'il y a à faire pour établir une véritable économie d'abondance, avec la sécurité économique garantie socialement à chaque membre de la société.

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