Qu’est-ce que la Nouvelle-Zélande?
La Nouvelle-Zélande, composée de deux îles d’Océanie, situées au sud-est de l’Australie, est un dominion britannique d’environ un million et demi d’habitants.
Elle fut fondée en 1838 par un groupe d’hommes riches anglais qui voulaient faire profiter les fonds acquis par des manipulations monétaires à la suite des guerres napoléoniennes. Ils n’allèrent pas coloniser eux-mêmes, mais y envoyèrent 12,000 émigrants auxquels ils vendirent des terres qui ne leur appartenaient aucunement.
Quelques années plus tard, les promoteurs forcèrent les habitants de la colonie à “flotter” à Londres un emprunt de 200,000 livres sterling pour payer des réclamations sans fondement, basées sur la fraude, la tromperie et les fausses présentations, ainsi qu’en atteste un jugement du Commissaire de la Couronne.
Ainsi naquit sur ceux qui, par leurs sueurs et leurs travaux, bâtissaient un pays neuf, une dette publique qui devait être 15,000 fois plus grosse moins de cent ans plus tard: immanquable fruit du travail sous le régime que nous connaissons !
Naturellement les banques entrèrent en scène. On eut une Banque de Nouvelle-Zélande fondée par deux avocats politiciens. Il arriva que l’un de ses fondateurs fût ou premier-ministre ou membre du cabinet. On eut même le spectacle de l’un d’eux premier-ministre et l’autre, membre du même cabinet.
Nous allons nous étendre un peu en détail sur la législation monétaire récente de ce petit dominion; parce que, petit, il jouit tout de même de son indépendance, à la différence d’une simple province comme l’Alberta, et parce que, aussi, l’analyse des faits peut donner lieu à plusieurs leçons utiles.
En décembre 1935, la Nouvelle-Zélande se donnait un nouveau gouvernement. La coalition des politiciens de vieille mentalité, le corps de garde de la livre sterling à la Montagu Norman, décorée du nom de Parti National, sous la direction du premier-ministre sortant de charge, l’honorable Forbes, fut battue par les forces nouvelles commandées par Michael J. Savage.
Les premiers rapports induisirent plusieurs créditistes de chez nous à croire que le gouvernement nouvellement élu était composé majoritairement de partisans de la réforme monétaire, voire même de disciples de Douglas.
C’était une erreur. Les créditistes n’avaient pas formé de parti, ni présenté de candidats comme tels. Les créditistes avaient voté pour le candidat le plus accessible à leurs idées; donc pas pour la vieille clique. Les votes créditistes allèrent sans doute, faute de mieux, aux membres du parti dirigé par Michael J. Savage.
Mais il s’agissait d’un parti travailliste (Labor Party). Parmi les députés composant le groupe vainqueur, se trouvaient un nombre imposant de partisans d’une réforme monétaire, quelques-uns assez renseignés pour préconiser les propositions de Douglas.
D’ailleurs, le manifeste de 1935 du parti travailliste néo-zélandais comprenait onze propositions, la septième ainsi conçue:
(7) Assumer le contrôle du système central de crédit du dominion, pour assurer l’utilisation maxima et la distribution de nos richesses nationales.
C’est l’objectif monétaire du Crédit Social. Reste la question de méthode : méthode créditiste, qui finance la consommation et laisse le champ libre à l’épanouissement de la personne humaine; méthode socialiste, liée à l’idée traditionnelle de ne financer que la production, et cherchant des résultats dans l’enrégimentation, dans les plans d’État. Cette dernière risque de faire plus déprécier qu’apprécier le changement, et nous croyons que la finance cherche par là à maintenir ses positions; elle est heureuse de faire dévier le problème vers une simple répartition de la rareté, seule compatible avec ses méthodes de domination.
Mais, quel que soit le gouvernement au pouvoir, la lutte réelle se fait entre une puissance monopolisante et un peuple de plus en plus conscient qui réclame à la fois sa liberté et sa sécurité.
L’observateur superficiel trouve la situation assez mêlée en Nouvelle-Zélande, avec des mésententes au sein même du parti, sinon au sein du cabinet.
L’analyste plus attentif y décèle le drame d’un peuple — l’homme du sol surtout — qui tient à sa liberté, mais se voit contraint de sacrifier une part de liberté pour ne pas crever de faim; d’un peuple qui, pour avoir un minimum de biens matériels que refusait de garantir l’ancien gouvernement, se tourne vers un gouvernement à tendances socialistes, déplorant les mesures d’enrégimentation qu’il en reçoit, mais ne voulant tout de même pas retomber sous la main froide d’une finance sans coeur comme sans patrie.
Le nouveau premier-ministre de la Nouvelle-Zélande, l’Honorable Michael J. Savage, homme renseigné et sincère, était lui-même partisan déclaré d’une réforme monétaire, au moins de l’émission par le gouvernement d’une monnaie libre de dette et répondant aux faits de la production.
Parmi les élus du parti travailliste, il y avait évidemment des hommes plus âgés, d’autres plus jeunes; quelques-uns comptant plusieurs lustres au service du parti, d’autres ayant moins d’années que d’ardeur à leur crédit.
C’est parmi les jeunes membres que se recrutaient surtout les partisans les plus bouillants d’une réforme monétaire. Mais, comme dans tout parti politique qui n’est pas nouveau-né, les fonctions ministérielles devaient faire la meilleure part à la récompense plutôt qu’à la compétence. Aussi le cabinet choisi par Savage ne reflétait pas tout à fait le même empressement à s’engager dans la lutte contre les maîtres de l’argent.
Le septième point du manifeste de 1935 menaçait de devenir à peu près ce que devinrent les fameuses promesses faites par notre Mackenzie King un mois avant nos élections fédérales de cette même année.
Mais l’influence créditiste au parlement et en dehors du parlement se faisait sentir. Les “money-conscious” du parti travailliste ne manquaient aucune occasion de rappeler le septième point.
Presque à tous les caucus du parti, la question revenait sur le tapis et donnait lieu à des discussions orageuses.
Le Très Honorable Michael Savage favorisait une réforme. Mais les forces cachées avaient eu soin d’exercer la pression voulue pour que le ministère des finances, position-clé, fût confié à un parfait orthodoxe, Walter Nash. Les banquiers devinrent moins nerveux. Le ministre de l’éducation, Peter Fraser, se montrait lui aussi en faveur du statu-quo en matière d’argent.
Dans les discussions de caucus, le premier-ministre semblait toujours finir par céder à ces deux champions, même à l’encontre de la majorité.
On fit bien quelques pas, sans importance considérable, pour calmer plutôt que pour changer: telle la prise de possession de la Banque centrale de Nouvelle-Zélande en 1936. Exactement ce qu’on a fait au Canada, sans pour cela contribuer d’un seul pouce à nous sortir du trou. À quoi bon posséder une banque centrale, si l’on ne s’en sert pas pour placer le crédit de la nation au service de la nation sans l’endetter?
Le taux d’intérêt fut considérablement abaissé. Pour certaines opérations majeures, pour des programmes de construction, pour la finance du beurre, le gouvernement eut l’argent à peu près au prix coûtant. En 1938, il s’affranchit de la tutelle de Londres pour la réglementation des prix de la production néo-zélandaise. Dans les milieux financiers inféodés à la City, on prédit l’effondrement de l’économie du pays. Elle ne s’en porta que mieux.
Le 15 octobre 1938, nouvel appel au peuple. Sollicitation d’un renouvellement de mandat pour trois ans par le gouvernement travailliste, qui reprenait, en le développant, le même manifeste qu’en 1935.
Il n’y avait, comme en 1935, que deux camps en présence. Ni les ruraux ni la classe ouvrière ne tenaient à revenir à la vieille clique conservatrice, gardienne avouée d’un système d’argent absurde.
On dit les créditistes nombreux en Nouvelle-Zélande. On a même voulu les estimer au tiers de la population. Nous croyons le chiffre exagéré. Dans cette proportion, en effet, des créditistes bien éclairés sur ce qu’ils veulent trouveraient certainement moyen de faire prévaloir leur point de vue et contrôleraient la situation chez un peuple qui réclame la distribution de l’abondance mais n’aime point les entraves à sa liberté qu’entraîne la bureaucratie socialiste.
Les élections de 1938 confirmèrent le parti travailliste au pouvoir.
Depuis, le gouvernement a manifesté plus de décision dans la voie d’une réforme monétaire. La guerre et les problèmes financiers qui l’accompagnent ont eu comme effet de justifier les réclamations de l’aile avancée du parti.
Et l’on vit en 1939 ce fait étonnant: Walter Nash, le ministre des finances, si orthodoxe jusque-là, piloter lui-même au parlement un bill pour conférer au gouvernement le droit de dicter son objectif à la banque centrale de Nouvelle-Zélande. En cas de litige entre le gouvernement et le conseil de la banque, le point de vue du gouvernement serait final.
Naturellement, l’opposition (parti National) se débattit furieusement pour défendre les prérogatives de la haute finance, mais le bill fut adopté par les deux chambres, il est maintenant loi.
Au cours des débats, M. Kyle, de l’opposition, lançait cette pointe à l’ex-orthodoxe ministre des finances:
“Comment votre ami Montagu Norman va-t-il prendre cela?”
À quoi M. Nash répondait:
“J’espère qu’il le prendra comme il faut; mais même Montagu Norman ne doit pas gouverner ce pays.”
Les partisans d’une réforme monétaire avaient obtenu des progrès. Même l’Honorable Peter Fraser, l’autre orthodoxe du cabinet, était passé du côté des patriotes en révolte contre le système. C’était d’ailleurs lui qui, à cause de la maladie de l’Hon. Savage, agissait comme premier-ministre suppléant ce jour-là. Fraser ripostait à l’opposition qu’il s’agissait de déterminer une bonne fois à qui appartient la souveraineté, au gouvernement ou à une autre institution.
Depuis, la Nouvelle-Zélande a déjà fait, pour fins de guerre, quelques émissions de monnaie libre de dette.
D’en conclure que la Nouvelle-Zélande fait du Crédit Social, ce serait faux. Elle reconnaît que le gouvernement a le pas sur la banque. C’est un point, parce qu’un gouvernement ne peut opérer aucune réforme monétaire viable sans d’abord prendre en main le pouvoir qu’il n’a que nominalement et qui en réalité est exercé par les puissances d’argent.
Des voix éloquentes et écoutées ont aussi répété maintes fois en plein parlement néo-zélandais qu’il n’y a aucune raison de restreindre la production faute d’argent et que le gouvernement doit lui-même créer l’argent qui manque pour atteindre le niveau maximum de la production et de la consommation.
L’avenir reste incertain. La présence au pouvoir d’un gouvernement qui s’inspire de principes marxistes dans plusieurs mesures législatives n’est pas très rassurante. Nous ne croyons pas qu’il y ait eu encore en Nouvelle-Zélande de finance directe à la consommation par de l’argent créé et émis à ce bout du système économique. Ce serait en contradiction flagrante avec la philosophie socialiste qui ne reconnaît que les droits du travail. Marx et Douglas sont à deux pôles opposés.
Concluons donc que le Crédit Social, s’il influence indirectement des actes du gouvernement, n’est tout de même point le facteur dirigeant des réformes monétaires en Nouvelle-Zélande, encore moins des autres réformes du parti travailliste.
C’est ce qu’admettent sans doute les groupes créditistes néo-zélandais qui, en dépit de la guerre, continuent leur travail d’expansion et d’éducation.
La mort de l’Honorable Michael J. Savage en mars dernier a contristé les partisans d’une réforme monétaire, même dans les autres pays. Ce fut, écrit l’Ottawa Citizen, une des figures politiques les plus intéressantes de son temps dans tout le commonwealth britannique.
De ce que nous avons surtout parlé des manifestations réformistes du gouvernement, il ne faut pas conclure que c’est en cela que nous faisons consister le mouvement créditiste là-bas. Chez eux comme chez nous, c’est l’éducation qui compte. Les étrangers qui jugeraient du thermomètre créditiste de la province de Québec par le seul fait que deux candidats firent la lutte en mars dernier sur ce sujet et qu’ils furent tous les deux défaits se mettraient certainement au moins deux doigts dans les deux yeux.
Une liste datée de juillet dernier énumère onze groupes créditistes néo-zélandais bien organisés ensemble, ainsi que dix-sept groupes détachés, tous poursuivant et propageant l’étude de la pure doctrine du major Douglas. Nous souhaitons leur développement pour supplanter le pro-marxisme actuellement au gouvernail. Depuis deux ans, un petit journal de six pages, le “Social Credit Monthly News”, publié, à Wellington, sert d’organe au mouvement créditiste en Nouvelle-Zélande. Nous avons aussi sous les yeux un numéro de Why?, publié à Auckland, daté du 15 mars 1938. Nous ignorons si ce journal créditiste vit encore.