De la rosée au dividende

Maître J.-Ernest Grégoire le dimanche, 01 mars 1942. Dans Crédit Social

Lorsque le bon Dieu créa la terre, il envisagea certainement la demeure de l'homme.

Dans sa sagesse, il fit une terre et l'abandonna à des forces qui en ont façonné la planète que nous connaissons.

Si un socialiste fût entré dans les conseils du Créateur, il eût probablement demandé une terre unie, sans trous et sans bosses, sans abîmes et sans sommets, sans mers et sans montagnes ; afin que tous les hommes fussent sur le même niveau, ni habitants des hauteurs ni habitants des pro­fondeurs.

Et si le conseil de notre socialiste avait prévalu, nous n'aurions eu que des habitants des eaux. Des eaux couvrant uniformément une boule sans aspérités. Ni courants, ni vagues, afin de ne pas briser l'égalité universelle. Adieu la faune et la flore qui ne peuvent s'accommoder de la vie dans l'élément liquide. Il serait beau, n'est-ce pas, le grand lac socialiste !

Si un financier international eût été le conseiller suprême, la planète aurait eu des chances de pré­senter à peu près la configuration actuelle. Et les yeux de notre financier auraient couvé de convoi­tise ces quatre-cinquièmes du globe où s'amassent toutes les eaux avec les richesses dérobées à la terre au cours des grandes érosions.

Le trustard aurait placé sous clef ces immenses océans et expédié le reste de l'humanité sur des buttes arides, refusant implacablement la moin­dre goutte d'eau sans imposer l'impossible condi­tion de rendre à la mer plus d'eau qu'il en serait sorti.

Si un créditiste eût été admis aux conseils du Créateur, il aurait dit humblement : Seigneur, je n'ai jamais douté ni de votre sagesse ni de votre infinie charité. Je devine que vous tenez autre chose dans vos desseins et que, sans supprimer ces inégalités qui agrémentent votre création, vous aller trouver moyen de fournir périodique­ment et gratuitement un minimum vital d'eau à ces montagnes, ces plateaux et ces plaines ; par votre économie divine, la terre arrosée de quelque façon va se couvrir de forêts et de végétation va­riée, se peupler de vie et chanter vos louanges.

Et le Créateur eût souri au créditiste qui com­prenait si bien le cœur de son Souverain. Et le créditiste eût vu se lever le chaud et lumineux soleil, s'incliner doucement l'axe de la terre, et eût assisté à l'origine des saisons, des rosées et des pluies.

L'action de l'astre qui resplendit dans les cieux pompe continuellement des mers une eau qui s'é­lève, purifiée, sous forme de vapeurs, est trans­portée par les vents au-dessus des terres, des plus hautes montagnes, se condense et retombe, en pluie, en neige qui fondra, ou en rosée matinale bienfaisante, sans qu'il en coûte une once de tra­vail ou un sou d'impôt aux innombrables créa­tures qui bénéficient de ce transport merveilleux.

Le soleil ne vide point la mer. Il ne redivise pas continuellement la masse liquide entière pour fournir à chaque mille carré de surface terrestre un nombre égal de tonnes d'eau. L'utopie socialiste causerait un beau gâchis : ruine à la fois des terres et des océans.

Sans épuiser la mer, mais sans lui signer des obligations à intérêt, le soleil en retire un montant suffisant pour arroser les terres, avec tous les ac­cidents qu'elles comportent. Ces accidents nous donnent les rivières, les chutes d'eau, cette diver­sité remarquable adaptée à des milliers de formes différentes de vie. Et l'homme, sublime par son intelligence créée à l'image de Dieu, maîtrise ter­res et mers, forêts et déserts, franchit les monta­gnes et explore les entrailles durcies du globe.

Mais, n'est-elle pas admirable entre toutes, cette action continuelle du soleil qui répand pluies et rosées sur la terre, sans appauvrir les océans ? La mer elle-même y gagne, puisque les cours d'eau lui rendent ses dons, chargés de minéraux et de débris de vie. C'est le paiement de la terre à la mer qui l'a aidée, paiement en production, en choses que la terre donne, non pas en choses que seule la mer peut fournir.

Dividende national

N'est-ce pas là l'image du dividende national que les créditistes réclament dans les relations économiques entre les hommes ?

Ils ne cherchent point une distribution égale des biens du globe. Ils ne demandent point d'ôter la propriété à ceux qui possèdent. Ils ne s'oppo­sent même point à ce que des producteurs, des en­trepreneurs, par leur initiative, leur application, leur habileté administrative, réussissent à détenir et à gérer plus de biens qu'il ne leur en faut pour une vie très confortable.

Les créditistes demandent simplement à ce que, dans un monde qui regorge de richesses, les con­sommateurs, tous les consommateurs, donc tous les humains, du berceau à la tombe, soient assu­rés d'un minimum vital, des choses essentielles à l'entretien de la vie.

Que, comme une rosée bienfaisante apportée pé­riodiquement à tous, aux méchants comme aux bons, aux inaptes comme aux mieux doués, aux malades comme au bien portants, aux faibles comme aux forts, sans enquête et sans restric­tions, le dividende distribue au moins une part in­dispensable de nourriture, de vêtement, de loge­ment, aussi longtemps que "les ressources de la nature et de l'industrie et une organisation vrai­ment sociale de la vie économique permettent de les procurer."

Distribution liée au seul fait pour la personne d'être venue au monde.

Pas une récompense au travail, le salaire et les produits de la vente existent déjà pour cela. Pas une récompense à l'épargne, le profit existe déjà pour cela.

Distribution gratuite, comme la chaleur et la lumière du soleil, comme la pluie, la neige et la rosée.

Quelle que soit la légitimité de la propriété, quelle que soit l'honnêteté des acquisitions indivi­duelles du travail ou du talent, quelles que soient les vues adorables de la Providence dans les cir­constances qui s'avèrent favorables aux uns et contraires aux autres, il reste que les biens de la terre furent créés pour tous les hommes et que chaque personne venant en ce monde détient, du seul fait de sa naissance, une créance sur au moins le minimum de biens nécessaires à l'entretien de son existence.

Les hommes se groupent en société, non pas pour contester, conditionner ou restreindre cette créance, mais au contraire pour faciliter son exé­cution.

Le dividende national est justement la recon­naissance de cette priorité du nécessaire pour tous, sur l'agréable ou le superflu pour quelques-uns.

Le dividende national est l'allocation de la pre­mière tranche de la capacité productive du pays à tous les habitants du pays sans distinction. Le reste ne doit venir qu'après. Les différences entre les niveaux de vie sont inévitables et tout à fait dans l'ordre, mais ces différences ne doivent com­mencer qu'après l'assurance du nécessaire à tous et à chacun.

Telle est la philosophie sociale des créditistes. Le dividende national est le mécanisme qu'ils pro­posent pour que cette philosophie tout humaniste, et parfaitement chrétienne, descende du firmament où personne ne lui nie le droit de briller, dans la pratique où les pauvres et les véritables amis des pauvres l'appellent à grands cris.

Les modalités de l'institution d'un dividende national sont affaire secondaire. Une fois l'objec­tif posé et passé en loi, la technique exécutoire est facilement résolue.

Le banquier qui prête à un industriel ou au gouvernement commande l'objectif ; il exige l'in­térêt. Il ne se tracasse pas de dicter au gouverne­ment ou à l'emprunteur privé la manière dont il devra s'y prendre pour trouver l'intérêt. Et le gouvernement et l'industriel s'exécutent, parce qu'ils ont accepté l'objectif.

Il n'en va pas autrement de la réclamation d'un minimum vital pour tous. Qu'on s'unisse pour le faire devenir législation, et ce ne sera pas plus difficile de servir un dividende à tous que d'ar­racher le pain du pauvre pour servir des intérêts à des repus ; pas plus difficile que de condamner à la stérilité des terres productives, ou d'armer des masses d'hommes pour qu'elles se ruent les unes contre les autres.

Maître J.-Ernest Grégoire

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