Conférence en six parties - V. Résultats d’un système créditiste

Louis Even le jeudi, 01 mai 1941. Dans Formation

Quel serait le résultat d'un système dans lequel tout l'argent nécessaire pour utiliser le travail et les produits serait fait par le gouvernement et distribué aux citoyens, à chacun sa part, sous forme de dividende ?

Supposons que demain, le gouvernement donne à chaque Canadien et à chaque Canadienne un compte de $5.00. Quel effet ça produirait-il ?

Une grande joie générale, d'abord, oui. Une respiration comme on n'en connaît pas aujourd'hui. À la place d'une augmentation de taxe, une distribution d'argent !

Immédiatement, dans chaque famille, on verrait à se procurer ce dont on se prive aujourd'hui, malgré qu'on le désire beaucoup et que ce serait bien utile.

Pour un grand nombre, ce serait une meilleure nourriture, d'abord, et ce ne sont pas les agriculteurs qui s'en plaindraient. Ni les épiciers ni les bouchers non plus. Ni les marchands de fruits non plus. Cela augmenterait immédiatement la demande de produits de la terre. L'agriculture occuperait plus de bras et plus de machines modernes pour fournir la clientèle.

Pour d'autres, ce seraient des vêtements, de meilleurs habits. Des habits de meilleure qualité.

De même pour les chaussures.

Combien aussi ont rêvé toute leur vie d'avoir une maison à eux, avec un enclos, un lopin de terre pour jardiner, prendre de l'exercice, développer leurs enfants !

D'autres se sont privés de combustible ; d'autres, de meubles, de prélarts, de peinture, et s'empresseraient de rendre leur logis plus agréable. Le père, les enfants y resteraient mieux ; la vie de famille y gagnerait.

Tout cela évidemment ferait renaître l'emploi, le travail pour tous ceux qui sont capables de travailler, dans les lignes qui répondent aux demandes des consommateurs.

Ça décongestionnerait les agglomérations de la grosse industrie, sans doute, parce que ce ne sont pas des tonnes de papier, ni des wagons d'amiante, ni des canons, ni des mitrailleuses, que les hommes et les femmes commanderaient, lorsque l'argent naîtrait entre les mains des hommes et des femmes. Là où l'argent commence, là commence sa fonction. En commençant ainsi à la bonne place, il sert immédiatement à orienter la production vers les besoins des hommes, des femmes et des enfants, non plus vers les combines intéressées des trustards.

L'argent apprend à travailler pour le consommateur, parce qu'il vient au monde chez le consommateur. S'il s'éloigne et qu'il s'accumule ou se cache dans des endroits où il ne fait pas bouger les produits, le Crédit Social voit immédiatement à placer de l'argent neuf chez les consommateurs pour remplacer celui qui est mort ou immobilisé.

Ceux qui détournent l'argent de son but s'apercevront qu'ils y perdent leur temps, l'argent sera toujours là, entre les mains du public, tant qu'il y aura des produits devant le public. Le mécanisme créditiste sera là pour ça.

Dans la province de Québec, on sait ce que c'est qu'élever une famille. Demandez à la Canadienne quelle différence ça ferait dans sa maison, lorsque, par dessus le marché des gains de son mari, il y entrerait de temps en temps un dividende par personne.

Les petits enfants seraient mieux soignés, mangeraient plus de fruits, seraient mieux protégés contre les rhumes.

Ceux qui finissent leur école primaire et veulent étudier davantage en auraient plus facilement les moyens, lorsqu'il entre un dividende par personne dans la maison et que les parents et les aînés comprennent l'importance de l'éducation des jeunes.

Les jeunes gens qui veulent se placer, choisir un métier, une carrière, ne se verraient pas refuser toutes les portes. Il y aurait de l'emploi pour ceux qui veulent produire de bonnes choses dans un monde où les gens auraient le moyen d'acheter ces bonnes choses.

Les fils de cultivateurs qui veulent ouvrir une terre s'y prépareraient en accumulant quelques dividendes ; leurs parents pourraient aussi employer quelques-uns de leurs dividendes à cette fin. Et lorsqu'ils seraient sur leur lot, chaque dividende serait d'un grand secours. Ces dividendes sont gagnés par le Canada déjà fait ; il n'y a pas de meilleure utilisation que de les faire servir, par l'intermédiaire du colon, à agrandir le Canada.

Les vieux, les malades, les infirmes, qui ne peuvent travailler à produire des choses matérielles, font pourtant partie de la société. Ils peuvent d'ailleurs enrichir la société par leurs actes de vertu et par leurs souffrances. Le dividende reconnaît qu'ils ne sont pas des membres inutiles.

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L'homme n'a pas rien que son corps. Il a aussi un esprit à développer, une âme immortelle à soigner. Lorsqu'il n'y aura plus de rareté d'argent, la production abondante rendue facile par la machine permettra des loisirs, des loisirs pour s'occuper de sa vie intellectuelle et morale. L'homme n'est pas une bête qui doit passer toute sa journée à chercher de quoi entretenir sa vie animale. Si le progrès lui permet de s'en dégager un peu, mais tant mieux.

S'il n'en est pas ainsi aujourd'hui, c'est parce que le progrès fait des chômeurs, des chômeurs sans le sou. Le Crédit Social fera des loisirs, des loisirs agrémentés de dividendes, de revenus. Aussi la machine sera bienvenue. Elle accomplira son rôle — servir l'homme et le libérer de travaux dirigés à l'entretien de son corps.

Évidemment, tout cela demandera chez l'homme une orientation, une élévation de ses sentiments. S'il y manque, il ne pourra s'en prendre qu'à lui-même. Aujourd'hui, c'est le banquier qui rive l'homme aux soucis constants de la vie matérielle. Le banquier est un obstacle. Le Crédit Social va enlever cet obstacle ; la religion, l'éducation, la raison pourront faire le reste. Mais quand l'obstacle financier est là, l'éducation, la religion, la raison sont entravées.

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En faisant des hommes libres à la place d'esclaves, le Crédit Social et son dividende nettoieront la politique. On n'aura plus besoin de se tourner constamment vers le gouvernement pour chercher une job. Le patronage politique, qui entretient les partis, les chicanes et avilit la dignité, n'aura plus d'importance, parce qu'il y aura des carrières florissantes dans l'agriculture, le commerce, l'industrie.

C'est le pauvre, l'homme aux prises avec le besoin, qu'on fait passer par les conditions les plus déshonorantes, par les pires avilissements. Le dividende, en faisant naître la sécurité, la sécurité aussi constante que la capacité de production du pays, dégagera de ces servitudes. C'est la vertu et la compétence qui pourront conduire les hommes, non plus l'avantage de tenir en main quelques piastres devant une multitude qui n'en a pas.

Les gouvernements eux-mêmes, libérés de leur servitude envers les créateurs-prêteurs d'argent, pourront administrer, gouverner, piloter, redresser les torts, subjuguer les monopoles qui sont justement édifiés par les accapareurs du crédit de la société.

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Pour nous, catholiques, le dividende veut dire plus encore. Notre production est abondante. Plus que pour nos besoins. Les dividendes selon la production nous donneront donc des surplus. Et nous serons heureux de donner ces surplus à des missionnaires, à des pauvres peuplades qui ne bénéficient pas comme nous de la civilisation et du progrès. Ces frères arriérés et les apôtres qui se dévouent pour eux se serviront, par nous, à même les surplus du Canada.

Le dividende, c'est la fonction sociale de la propriété. C'est la fonction sociale de la civilisation. C'est le ciment de la bonne volonté entre ceux qui bénéficient ensemble de l'association. C'est la reconnaissance à chacun de la part d'un bien qui appartient à tous. C'est aussi l'abondance qui retombe sur tous de l'apport de chacun, dans un monde où les talents de chacun fructifient par la vie en société.

Et le dividende s'il fait du bien à tout le monde, en fait surtout au pauvre. Un cinq ou dix dollars a bien plus de valeur dans la main d'un pauvre que dans la main d'un repu.

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Et le dividende ne fera de mal à personne. Il ne viendra pas du pillage des épargnes, mais de la corne d'abondance aujourd'hui mise sous clef. L'argent qui sort de l'encrier du gouvernement pour tout le monde n'enlève rien à personne.

Le dividende protégera la propriété de ceux qui ont quelque chose. Le cultivateur qui vendra enfin ses produits, gardera et améliorera sa ferme, au lieu de l'hypothéquer ou de la laisser aller pour les taxes. Le propriétaire aura plus de chance de recouvrer ses loyers. L'industriel qui produit des choses utiles aura la chance de les vendre sans engager une armée d'agents pour importuner le monde.

L'argent ramené à son rôle permettra enfin à l'homme de remplir le sien.

L'argent pourra naître encore dans un livre, mais en servant chacun, non plus en endettant le pays. L'homme naîtra encore dans une maison, mais non plus avec une dette sur les épaules, — au contraire, avec le droit à un dividende. Il commandera l'argent dès en venant au monde. L'homme maître, l'argent serviteur, serviteur de tous et de chacun.

(À suivre)

Louis Even

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