Conférence en six parties - IV. Où doit naître l'argent ?

Louis Even le mardi, 15 avril 1941. Dans Formation

On a vu que l'argent vient au monde sous la plume de la banque et que le banquier s'en constitue immédiatement propriétaire, puis loue l'argent en y mettant ses conditions.

On a vu aussi le désordre, les grands désordres qui en résultent.

Comment corriger cela ?

Ça saute aux yeux de tout le monde que ce n'est certainement pas le banquier, ni une compagnie, ni un particulier qui doit régler le niveau de vie d'un pays. Ce sont les gens eux-mêmes qui, par leurs besoins et leur production pour répondre à ces besoins, doivent pouvoir régler leur niveau de vie. L'argent doit être à leur service pour atteindre ce but. Pour cela, l'argent doit être en rapport avec l'état de la production.

C'est aux citoyens eux-mêmes, par leur gouvernement à décréter le volume d'argent d'après les choses du pays.

Il ne s'agit pas de rendre le gouvernement propriétaire de l'argent du pays. Il ne s'agit pas de remplacer des banques par une dictature du gouvernement, puisque ce n'est pas le gouvernement qui crée les faits qui doivent diriger l'argent. Il ne fait que constater et agir en conséquence.

Il ne s'agit pas non pus de changer l'espèce d'argent qu'on a actuellement, ni de supprimer, ni de confisquer l'argent. Mais simplement d'en faire d'autre quand il en manque, de le mettre avec l'autre, par dessus le marché de l'autre. De l'argent pareil, de l'argent de chiffres comme l'argent moderne. Que ceux donc qui ont de l'argent ne craignent pas de le perdre. Ils en auront davantage. Tout le monde davantage, tant qu'il y a des produits qui attendent de l'argent pour pouvoir passer dans les maisons.

Il n'est pas question non plus de supprimer les banques. Que les banques continuent à recevoir les épargnes, à les placer et à faire des profits. Mais elles ne doivent pas avoir le droit de faire et supprimer l'argent. C'est une fonction souveraine à exercer par le gouvernement, au nom de la société et pour la société.

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Et comment le gouvernement pourrait-il et devrait-il faire l'argent ? Comme le banquier aujourd'hui. La méthode est bonne, il n'y a que le but à changer. Donc, le gouvernement n'a qu'à inscrire, lui aussi, des chiffres dans des comptes, au crédit de ceux qui en feront usage. Dans quels comptes et au crédit de qui ? Des citoyens que le gouvernement représente, puisque ce sont les citoyens eux-mêmes qui opèrent par l'entremise de leur gouvernement.

Si tous les Canadiens se réunissaient ensemble aujourd'hui pour discuter leurs problèmes, ils verraient certainement, ensemble, à augmenter l'argent total, puisqu'il en manque. Que leur gouvernement le fasse donc pour eux.

Comment le gouvernement peut-il s'y prendre pour faire l'argent et distribuer l'argent qu'il va faire ? Question de méthodes. On va en montrer une pour mieux comprendre.

Supposons que c'est le fédéral qui décide de faire lui-même l'argent pour le Canada. Comme il s'agit d'argent moderne, de comptabilité, il va nommer un comptable, ou une commission de comptables, pour accomplir le travail. Disons que le gouvernement m'engage.

Vu que les bureaux de poste dépendent du fédéral, je puis me servir de ces agences. Je vais envoyer une circulaire à tous les bureaux de poste du Canada, leur demandant de tenir un livre de comptes, comme le ledger du banquier. Dans ce livre, un compte pour chaque homme, chaque femme et chaque enfant de leur juridiction postale. Avec des dispositions d'ordre, on va voir à ce que chaque personne du Canada ait ainsi un compte, et rien qu'un, dans ces bureaux dépendant du gouvernement. Rien dans les comptes pour le moment, mais tout est prêt.

Nous voici, disons, au 1er juin. Je constate qu'il manque de l'argent dans le Canada. Je le sais parce que je vois les choses attendant les hommes, les hommes attendant les choses, les deux attendant l'argent. À titre de comptable-fonctionnaire du gouvernement, je vais donc faire de l'argent.

Combien en ferai-je en tout ? Voilà ce que je ne puis dire d'avance. Je vais en faire une certaine quantité. Renouveler l'opération le mois prochain, puis le mois suivant, jusqu'à ce qu'il y en ait assez, ce que les résultats diront.

Pour commencer, j'essaie, disons, 60 millions de dollars. Si je constate que la dose est trop faible, que les échanges languissent encore, j'augmenterai la dose le mois prochain. Si, au contraire, je vois qu'il y a tendance à l'inflation, que les produits ne fournissent pas à l'argent, je diminuerai la dose ou je l'interromprai.

Comment vais-je faire pour fabriquer 60 millions ? Comme le banquier. Je vais prendre une plume et écrire 60 millions dans un livre du Crédit National, à Ottawa. En vertu de la loi, ces $60,000,000 seront de l'argent, tout comme ce que le banquier écrit aujourd'hui, en vertu de sa charte de banque, pour un particulier ou un gouvernement qui emprunte.

Cet argent est aussi bon que celui du banquier, puisqu'il vient lui aussi d'un encrier, et qu'il est, comme celui du banquier, honoré par la production du pays. Il a même plus de poids, puisqu'il vient du gouvernement direct, non plus d'une institution par privilège reçu du gouvernement.

Voilà donc 60 millions, d'un trait de plume, dans un livre national à la disposition de la nation.

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Mais à quoi va servir cet argent ?

À rien, tant qu'il restera dans le livre à Ottawa.

Où doit être l'argent pour servir, pour être utile ? Entre les mains des hommes et des femmes, à leur disposition.

Cela veut dire que, pour accomplir efficacement mes fonctions, je dois placer l'argent à la disposition des citoyens, leur distribuer ces 60 millions pour qu'ils les mettent en service.

À qui les distribuer ? Je n'ai pas le choix. Cet argent-là n'est pas à moi, il est au pays, aux Canadiens. Je ne puis le passer aux uns plutôt qu'aux autres, je ne puis en favoriser quelques-uns et délaisser-les autres, puisque ce n'est pas ma propriété.

Mais ne dois-je pas distribuer cet argent à ceux qui l'ont gagné ?

Personne ne l'a gagné, c'est de l'argent tout neuf, qui vient de l'encrier de la nation. Il n'a pas encore été gagné par personne. Il sera gagné lorsque quelqu'un vendra son produit ou son travail pour cet argent. Mais pour qu'ils vendent, il faut d'abord que l'argent soit là, entre les mains du public.

C'est l'argent qui est attendu pour faire marcher les ventes. Que l'argent vienne donc d'abord, les ventes suivront et les travailleurs gagneront l'argent.

Ce qui veut dire qu'il est nécessaire de distribuer l'argent avant qu'il puisse être gagné.

La seule solution que j'ai devant moi est donc de diviser les 60 millions de dollars par les 12 millions de Canadiens et attribuer $5.00 à chacun. C'est pourquoi je vais demander à tous les bureaux de poste du Canada d'inscrire $5.00 dans chacun des comptes qu'ils ont ouverts. Les bureaux de poste vont le faire, totaliser et m'envoyer à Ottawa la somme à débiter sur mon 60 millions. Quand l'opération sera terminée, il ne restera plus rien des 60 millions dans mon livre, ils seront tous débités à Ottawa, mais le crédit sera réparti dans le pays, $5.00 à chaque citoyen.

Chaque personne du Canada aura donc $5.00 de plus qu'auparavant, dans son compte du gouvernement, au bureau de poste, et chacun pourra s'en servir comme bon lui semblera. Le pays tout entier verra ses activités d'échange immédiatement augmentées de 60 millions.

Les achats vont augmenter, les ventes aussi. Les commandes des marchands à la production vont augmenter. La production va être amorcée d'autant. Et l'opération pourra être reprise le mois prochain, et les mois suivants, jusqu'à ce que toute la production possible soit effectuée et utilisée.

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C'est ce qu'on appelle financer la production par la consommation. Ce sont les consommateurs, par leurs achats, qui vont dire ce qu'ils veulent avec cet argent. Et la production va le leur donner. Aujourd'hui, les augmentations d'argent se font entre banquiers et entrepreneurs : ce sont eux qui décident ce qu'ils vont faire et ils tâchent de l'imposer aux consommateurs, à coup de publicité, de pressions de toutes sortes. C'est à l'envers. C'est rendre l'argent maître de la production, puis la production maîtresse de l'homme. L'autre manière, celle qui finance le consommateur le premier, rend l'homme maître de la production, l'argent serviteur.

Ce $5.00 distribué à chaque Canadien, c'est un dividende sur des surplus qui attendaient. Le Canada progresse, les Canadiens obtiennent un dividende avec chaque progrès.

C'est toute justice, parce que le progrès est surtout dû à l'organisation sociale et à la science accumulée et appliquée : ce sont des biens sociaux.

L'argent en naissant est logiquement un bien public. On ne peut s'imaginer une minute que l'argent vienne au monde propriété d'un individu plus que d'un autre. Aujourd'hui, il vient au monde propriété du banquier, mais c'est un vol, le vol d'un bien public par un particulier, et on sait le résultat.

L'argent doit donc, à sa naissance, être reconnu propriété publique. Une fois distribué à chaque personne faisant partie du public, il devient, propriété privée, et chacun en fait l'usage qu'il veut.

C'est faire l'argent servir en naissant, sans créer de dette sur personne.

C'est remettre la production en branle, au service des besoins de ceux qui ont l'argent, donc de tous les hommes, femmes et enfants, au moins pour le montant du dividende.

C'est rétablir la maîtrise de l'homme sur l'argent. C'est reconnaître que chaque membre de la société a droit à quelque chose dans les résultats de l'association.

C'est dégager le gouvernement de l'asservissement vis-à-vis des banques, et lui permettre d'administrer comme véritable représentant de la nation.

C'est éviter l'inflation, puisque l'argent vient du côté, du consommateur, pas par les salaires, donc pas en augmentant les prix.

C'est mettre de l'ordre là où il y a du désordre. C'est faire du bien à tout le monde sans faire de tort à personne.

(À suivre)

Louis Even

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