Colon et bureaucrates

le lundi, 15 juin 1942. Dans La vie créditiste

Les politiciens, surtout les haut-perchés, ont tel­lement prononcé de beaux discours sur la coloni­sation, vanté l'œuvre des colons et promis d'aider sans compter les braves qui vont bûcher loin de la civilisation, qu'ils ont parfois été pris au sérieux. L'heure venue de racheter leurs promesses ou de démontrer leur sincérité, ces mêmes politiciens sortent une formule clichetée, se retranchent der­rière une bureaucratie bête, et le pauvre colon se fait poliment dire que seule la finance a des droits et qu'il faut être bien obtus pour s'imaginer qu'une famille de Canadiens français crevant dans le bois puisse déranger le moindrement les fonc­tions végétatives des phénomènes humains aux­quels la province de Québec a confié ses destinées.

Telle fut l'expérience amère du colon de Mont-Brun (Abitibi) qui, l'automne dernier, osa écrire au premier-ministre pour lui exposer son cas de détresse et prier le gouvernement de solder pour lui une facture de taxe scolaire.

Chez les bureaucrates

Notre homme reçut du premier-ministre la ré­ponse suivante :

Cher Monsieur,

J'ai bien reçu votre lettre du 2 novembre, que je m'empresse de soumettre à mes offi­ciers du ministère de la colonisation, avec prière de considérer les représentations que vous m'adressez.

Veuillez me croire votre tout dévoué,

Adélard Godbout        

Et que firent "les officiers de M. Godbout", du département de la colonisation, à la suite de cet "empressement" de leur maître à les prier de "con­sidérer les représentations" du colon de Mont-Brun ? La lettre suivante, datée six jours plus tard, donne le résultat de leurs considérations :

Monsieur,

L'honorable premier-ministre nous a trans­mis la lettre que vous lui adressiez ainsi que le compte que vous avez reçu de la Corpora­tion Scolaire de Mont-Brun.

Nous regrettons de ne pouvoir solder nous-mêmes ce compte, car il appartient à chaque colon de payer lui-même ses taxes munici­pales et scolaires.

Je vous retourne donc sous ce pli votre compte et avec l'assurance de mes meilleurs sentiments, je vous prie de me croire, Mon­sieur,

Votre bien dévoué,

Le secrétaire,

René Nadeau

Comme tout cela est touchant ! Les regrets, sans doute sincères, des officiers du ministère de la co­lonisation : ils n'ont pas le droit d'empiéter sur le privilège réservé au colon de payer lui-même ses taxes. Aussi le secrétaire est-il obligé de retourner le compte au brave homme, mais il assure au moins celui-ci de ses meilleurs sentiments et le prie de croire à son dévouement !... Vipères !

Chez le colon ?

Et quel dut être l'effet de cette potion sucrée sur l'esprit et le cœur du colon de Mont-Brun ? Plutôt que d'entreprendre une analyse conjectu­rale de l'état d'âme du colon ainsi rebiffé, nous préférons publier une lettre qu'il nous a écrite de­puis. On la trouvera en page 3 du présent numéro.

L'heure des bâtisseurs du pays viendra, celle des ronds-de-cuir a trop duré.

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