Chez les hommes et chez les bêtes

Gilberte Côté-Mercier le vendredi, 15 août 1941. Dans Crédit Social

Un magasin rempli de bonnes choses. L'abondance.

En face du magasin un homme affamé. La privation.

Les bonnes choses sont faites pour être consommées. Le marchand les étale pour les vendre. Le consommateur voudrait les acheter. Mais, la permission de les acheter lui manque. Il n'a pas d'argent.

Résultat : les bonnes choses ne seront pas consommées, mais pourriront à l'étalage. Pourtant, tout le monde serait content s'il en était autrement. Le marchand serait content de vendre. Le consommateur serait content d'acheter.

Pourquoi donc une chose qui ferait le bonheur de tous ne se réalise-t-elle pas chez les hommes ?

* * *

Chez les bêtes, il n'en va pas ainsi.

Regardons plutôt les singes. Ils voient l'abondance dans les arbres. Ils ont besoin de ces choses pour vivre. Ils s'en servent tout simplement.

Et pourtant les singes n'ont jamais élaboré, dans leurs universités, de savants systèmes économiques. Dans leurs têtes de singes, ils n'ont jamais raisonné sur la loi de l'offre et de la demande, ni sur la différence entre le communisme et le nazisme. Ils se sont vus en face de bonnes choses pour eux, et ont trouvé la raison suffisante pour ne pas crever de faim.

Mais un singe, est un singe, et un homme est un homme. Le premier n'a pas d'esprit. Le second peut abuser de l'esprit qu'il a.

Le singe se dirige par son instinct, qui ne le trompe pas. L'homme se dirige par son esprit, souvent désaxé par l'orgueil. Alors, l'homme ergote, fait de la dialectique, mais oublie le raisonnement pur et simple basé sur le bon sens.

Certes, cette grande sottise de multitudes affamées, au milieu de l'abondance de richesses, est causée par la cupidité de ceux qui établissent le pouvoir sur l'esclavage des masses. Mais, on peut dire aussi que cette sottise est défendue et maintenue en place par des soi-disant savants en économie qui conduisent les esprits aux conclusions les plus bêtes en ayant l'air de raisonner avec science et sagesse. Quelle mauvaise cause un habile avocat ne peut-il pas défendre, lorsqu'il a réussi à se convaincre lui-même qu'il a raison ?

Mais, pour l'homme qui ne s'embarrasse pas de longues thèses, comme pour les bêtes, la même question insoluble se pose :

Comment les auteurs et les gardiens des règlements qui empêchent l'homme de manger en face de l'abondance peuvent-ils justifier ces règlements ?

L'instinct simple des bêtes est souvent une leçon d'humilité à l'orgueilleuse intelligence des hommes.

Gilberte Côté-Mercier

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