Ce qu'est le Crédit Social

Théophile Bertrand le lundi, 15 décembre 1941. Dans Crédit Social

Il appert que beaucoup de gens ignorent encore, dans notre province, ce qu'est le Crédit Social. Ce ne sont pas sans doute les lecteurs habituels du journal.

Nous ne prétendons certes point que tous les articles doctrinaux parus dans Vers Demain depuis deux ans, aient pu répondre aux exigences de toutes les catégories d'esprit ; mais qu'on n'oublie pas que le journal est rédigé d'abord pour l'ensemble de ses lecteurs, et non en vue de satisfaire la rigueur dialectique de quelque groupe particulier.

D'ailleurs, pour qui est à ce point spécialisé qu'il lui faille toujours l'objet formalissime, la lumière propre de son savoir pour aboutir à quelque conclusion, à ce point que le bon sens, tout seul, sans apprêt, n'ait plus d'emprise sur son esprit, que faudrait-il apporter ? Il convient tout juste de souhaiter à ces esprits géométriques, de posséder assez leurs instruments et leurs moyens de savoir, pour n'en pas dépendre étroitement, pour pouvoir s'en libérer à l'occasion. Un moyen n'est que moyen.

Nous osons ajouter que les créditistes québécois possèdent un bagage doctrinal suffisant pour répondre à bien des objections qui se croient définitives, Et puis, les objections, il s'en répète de moins en moins d'officielles ; quand on attaque le Crédit Social, on se contente en général d'insinuations, d'une boutade en passant, et on retourne surtout l'accusation devenue presque classique : le vague du Crédit Social. Heureusement, le classicisme, tout comme le romantisme, n'est pas la vie.

Les "objecteurs" habituels

Nous constatons en outre trop souvent que les objections courantes nous viennent de gens qui n'ont même pas pris la peine de lire sérieusement (entendez bien : sérieusement !) l'organe officiel du Crédit Social dans Québec. Pourquoi ne pas lire et étudier, (non seulement lire et étudier les adversaires), avant de multiplier des questions qui, la plupart du temps, tomberaient d'elles-mêmes. On perd ainsi son temps et le temps des autres.

De plus, en matière si controversée, en un domaine où, pour tant de gens, "le cœur fait mal à la tête", n'est-il pas d'élémentaire prudence d'aller aux sources, au lieu de se renseigner par procuration, en quelque sorte ? Le procédé est-il même honnête ? Pourtant, que de gens, qui portent des responsabilités, nous jugent à travers le prisme déformateur d'esprits qui, s'ils n'ont pas d'intérêts à ne pas nous comprendre, peuvent tout de même errer. Peut-être que ces "lumières" où l'on puise, ces paravents involontaires des grands financiers, ont aussi étudié le Crédit Social surtout chez ses adversaires ? Et ils exposent leurs conclusions pas dans une œuvre écrite encore, car il n'y en a guère ; ils rayonnent par consultations, je suppose, ou dans cette atmosphère d'intimité innocemment complice que crée un colloque amical.

Mais quelle déchéance que de lire un folliculaire créditiste !

Indéfinissable ? Évanescent ?

Qu'est-ce enfin que le Crédit Social ? Vers Demain l'a dit souvent, de façon explicite comme de façon implicite. Et il n'y a pas que des "Simples", des gens du peuple, qui savent ce que c'est. Les neuf théologiens, dans leur rapport, n'ont-ils point porté un jugement sur la base morale de la doctrine créditiste ? Pour ce faire, ils devaient avoir au moins une définition descriptive. Ils indiquent en effet le but visé par le Crédit Social et les quatre principaux moyens que propose le même Crédit Social, pour atteindre ce but.

Il ne s'agit pas d'exploiter malhonnêtement ce rapport : les théologiens ont simplement déclaré que le Crédit Social n'est pas du socialisme et personne n'a à tirer autre chose de leur déclaration. Leur témoignage ne promeut en rien la valeur technique du système, comme ils le disent eux-mêmes très clairement.

Il reste que, lorsqu'on juge, même si c'est sous un angle particulier, on juge quelque chose ; et qu'on juge sérieusement une chose qu'on a pu concevoir.

De même, M. Beaudry-Leman et bien des hommes d'affaires (sens courant) savent sûrement, au moins quo ad eos, selon leur point de vue, ce qu'est le Crédit Social, puisqu'ils le condamnent ! À moins qu'ils le condamnent seulement parce qu'ils ne le comprennent point.

Définitions

Définissons donc le Crédit Social.

1. — Quant au nom :

a) Étymologiquement : "Crédit" (credere veut dire "confiance" ; "Social" : basée sur la société, fruit de l'association.

Tous connaissent bien le mot "crédit" et le mot "social" ; mais, par le jeu de je ne sais quel réflexe, l'association des deux mots en estomaque un grand nombre.

b) Explicativement : Crédit Social — confiance mutuelle, basée sur les possibilités de l'association ; et plus précisément : valeur particulière des actes économiques (et de leurs produits), du fait qu'ils sont posés au sein d'une collectivité organisée.

Des exemples, que la longueur de cet article ne me permet pas d'apporter, éclaireraient cette définition. Ce sera pour un prochain numéro.

2. — Définition quant à la chose :

a)     Descriptive :

"Le but de la doctrine monétaire du Crédit Social est de donner à tous et à chacun des membres de la société la liberté et la sécurité économique que doit leur procurer l'organisme économique et social. Pour cela, au lieu d'abaisser la production vers le niveau du pouvoir d'achat par la destruction des biens utiles ou la restriction du travail, le Crédit Social veut hausser le pouvoir d'achat au niveau de la capacité de production des biens utiles."

Je cite toujours :

"Le Crédit Social propose à cette fin :

1.— L'état doit reprendre le contrôle de l'émission et du volume de la monnaie et du crédit.

2.— Les ressources matérielles de la nation représentées par la production constituent la base de la monnaie et du crédit.

3.— En tout temps l'émission de la monnaie et du crédit devrait se mesurer sur le mouvement de la production de façon qu'un sain équilibre se maintienne constamment entre celle-ci et la consommation.

4.— Le système économique actuel, grâce aux progrès de la science, produit une abondance insoupçonnée de biens en même temps qu'il réduit la main-d'œuvre et engendre un chômage permanent. Pour que tous puissent avoir une part de l'héritage culturel légué par leurs prédécesseurs, le Crédit Social propose un dividende dont la quantité sera déterminée par la masse des biens à consommer."

b) Essentielle :

le Crédit Social, c'est l'organisation scientifique et rationnelle du système monétaire, au moyen du cœfficient de prix (escompte compensé) et du dividende individuel.

Genre prochain : organisation scientifique et rationnelle du système monétaire.

Différence spécifique : cœfficient de prix et dividende individuel.

Dans des articles subséquents, nous expliquerons cette définition et nous en tirerons les conséquences logiques.

(à suivre)

Théophile Bertrand

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