Ce qu'est le Crédit Social (suite)

Théophile Bertrand le jeudi, 01 janvier 1942. Dans Crédit Social

Nous terminions le dernier article par la défini­tion essentielle du Crédit Social. Nous explicite­rons cette définition dans un prochain numéro, comme il convient.

Cette définition nous donnait quelque chose d'objectif, nous plaçait dans l'univers intentionnel de connaissance.

Définitions culturelles

Nous tentons ici d'autres définitions, prises en pleine vie, en pleine existence en quelque sorte, (sans amorce à l'existentialisme, c'est bien enten­du), et nous appelons ces diverses définitions : dé­finitions culturelles.

Pour pouvoir formuler ces définitions et les jus­tifier, il suffit de comprendre que le Crédit Social, s'il est en soi, (in se), au sens très strict, une tech­nique monétaire, n'est pas que cela dans l'ordre de l'existence. Dans cet ordre de l'existence comme connue, (in « tu signato), il n'est pas un ce je ne sais quoi d'idéaliste parce que matérialisant trop la vie, en l'absorbant dans un plan, celui de la monnaie, qui ne postule qu'un primat fonction­nel ; il se rattache, comme toute doctrine vraie, à tout l'ensemble du savoir et du réel, il communie aux autres secteurs de vie.

Mystique

Ajoutons encore que, au contraire de tous les sys­tèmes issus des vices de la société individualiste sortie de la Réforme et de la Renaissance, tels que le nazisme, le fascisme et le communisme, le Cré­dit Social n'est pas, de soi, une mystique.

Pas de gauchissement des forces de vie, pas d'hy­bridation des termes !

Le Crédit Social, chez nous, se prétend simple­ment vrai à son plan, et comme tel, ses tenants ne peuvent se relever, dans leur vie personnelle, que d'une Mystique, s'ils sont hommes assez complets pour en vivre une : celle du Christ ; car c'est la seu­le qui existe, les autres ne peuvent être que des pa­rodies monstrueuses et sacrilèges, des matérialisa­tions plus ou moins conscientes du spirituel surna­turel.

Ce qui ne signifie point qu'un créditiste adhère plus à la vérité évangélique qu'un autre, ou qu'il doive y adhérer parce que créditiste. Non ! Non ! Pour l'amour de Dieu, apprenons donc à distin­guer ! Le créditiste doit adhérer à la Mystique du Christ, de l'Église, parce qu'il sait que c'est la seule vraie, et qu'elle demeurerait telle même si l'on pou­vait prouver que le Crédit Social est faux.

Attention !

Celui qui, dans sa ferveur de partisan, à un sys­tème social quelconque, serait tenté de renverser l'influx vital des divers plans de vie de haut en bas, comme il va, de bas en haut, indiquerait par cela même qu'il se totalitarise ; et toute totalitari­sation, si ce n'est dans la Charité qui vient nous en­lever, est une déviation désastreuse.

Ce qui n'empêche pas non plus le créditiste de constater dans son cœur que le personnalisme que rayonne le Crédit Social, donne même de l'élan pour vivre l'Évangile et le faire vivre. Mais le cré­ditiste doit veiller à éviter soigneusement la confu­sion des plans, à ne pas tomber dans une théoso­phie aventureuse. Et dans le concret, dans l'ardeur de ses conquêtes, il doit se garder de mêler des questions qui demandent à être bien distinguées.

En un mot : unité psychologique de l'homme dans l'absolu de la Charité ; diversité ontologique des plans doctrinaux, dans la lumière du savoir.

Personnalisme

Donnons donc quelques-unes de ces définitions culturelles mentionnées plus haut. Elles sont toutes dans la ligne d'un personnalisme authentique.

Le Crédit Social :

C'est la philosophie intégrale de l'association ;

C'est la réfraction de la philosophie personnalis­te sur le plan du social, de l'économique ;

C'est la priorité de la personne humaine sur la monnaie ;

C'est le primat tout court, de la personne hu­maine dans le social et l'économique ;

C'est la priorité de la consommation sur la pro­duction, car le consommateur est la fin de tout l'ordre économique ;

C'est enfin le rétablissement de l'ordre dans l'é­conomie, dans la coordination des moyens de l'or­dre économique à l'obtention de la fin du même ordre.

Etc     Etc     

Divers

Toutes ces définitions peuvent servir à souligner les lignes de force du Crédit Social, lignes de force qui sont l'inverse de celles qui dominent l'économie présente. Et pourtant le Crédit Social n'offre à craindre aucune solution de continuité, car ses li­gnes de forces sont l'aboutissement normal de tout ce qu'il y a de sain et de vraiment humain dans la tradition économique. Nous y reviendrons.

Nous parlerons aussi des relations entre le Crédit Social, les coopérations, les corporations, sujets souvent traités par le journal.

Nous le ferons d'un point de vue strictement doctrinal. Nous envisagerons aussi les relations en­tre la doctrine créditiste et le problème national des Canadiens-français.

Craintes

Nous apprenons qu'on craint, dans certains mi­lieux, les progrès du mouvement créditiste québé­cois ; il manquerait de doctrine générale suffisante, de substratum doctrinal adéquat, vu que l'élite in­tellectuel officielle se tient toujours globalement à l'écart. Qu'arriverait-il alors, si un tel mouvement devenait assez fort pour aspirer aux postes de com­mande ?

Nous comprenons ces craintes et nous y répon­dons rapidement pour aujourd'hui. S'il s'en trouve d'autres, qu'on les formule, et nous tâcherons de satisfaire toutes les exigences légitimes.

Pas de totalitarisme !

Tout d'abord, s'il semble y avoir (remarquez bien : "s'il semble", non "s'il y a") peu d'intellec­tuels dans le mouvement, cela ne signifie pas que la direction se désintéresse du point de vue doctri­nal, pour verser dans un empirisme, un opportunis­me grossier, dans une œuvre de vulgarisation ex­clusive. De récentes initiatives de la Direction en donnent des preuves, suffisantes.

Ensuite, si les intellectuels officiels ignorent le Crédit Social, ce n'est pas de notre faute. Il me semble que nous parlons et écrivons en public ; le mouvement n'a rien d'ésotérique. Nous revien­drons aussi sur cette question.

D'ailleurs le groupe créditiste ne prétend pas tout absorber, tout remplacer. Il ne veut rien dé­truire ; il construit simplement ce qu'il croit devoir être construit et tous les matériaux utiles auront à être utilisés. Il n'a rien du totalitarisme, monstruo­sité moderne et fruit des principes qu'il combat.

Éducation d'abord !

Enfin, le Crédit Social n'est présentement, dans Québec, qu'un mouvement d'éducation orgarnisé. Si l'on s'imagine qu'un adepte éclairé du Crédit Social puisse aspirer à un pouvoir quelconque avant que le peuple ne soit instruit de la chose pu­blique, c'est qu'on n'a pas compris ce qu'est le Crédit Social ou qu'on juge témérairement ceux qui le propagent.

Le Crédit Social est le système économique qui répond aux exigences de la seule vraie philosophie, celle qui respecte la personne humaine. Ainsi, il ne peut fleurir qu'au sein d'un peuple éclairé, qui choi­sit en toute liberté, dans la lumière de son savoir, la libération de son âme. Toute autre voie, frisant plus ou moins les méthodes dictatoriales, ne con­duirait qu'à une caricature du créditisme intégral.

Donc, que tous les bons ouvriers de la maison, intellectuels ou autres, dorment en paix vis-à-vis de la puissance que nous pouvons acquérir : même s'ils ne pensent pas toujours comme nous, ils font sans doute œuvre humaine, et nécessaire dans leur secteur propre, et ainsi ils se trouveront mieux eux aussi d'un ordre social plus humain.

Le Crédit Social, bien compris, est assez vrai pour n'être pas contre quoi que ce soit de façon né­gative, mais pour être simplement pour la vérité complète, pour s'intégrer à sa place dans une socié­té bien équilibrée.

Il naît, il grandit, et la haine est "le signe de quelque chose qui finit."

(À suivre)

Théophile Bertrand

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