4e ARTICLE
Dans notre dernier article, nous avons développé la première partie de la définition essentielle du Crédit Social, i.e. son genre prochain : "Organisation scientifique et rationnelle du système monétaire."
Aucun lecteur qui ne comprenne combien notre texte est dense, substantiel, et qu'ainsi il appelle bien des développements subséquents. On ne peut tout livrer en de courts articles et les annexes viendront dans un ordre normal, lorsque nous aurons traité le principal de notre sujet. Nous allons au plus pressé, tâchant d'expliciter pour ceux qui viennent à l'économique avec des préoccupations humanistes, en hommes et non en "affairistes" ou en "physicistes", une définition qui peut leur dire, grosso modo, ce qu'est le Crédit Social.
Nous sommes donc arrivés à la différence spécifique du Crédit Social, à ce qui le caractérise : le cœfficient de prix et le dividende. C'est ce qui le distingue de tous les autres systèmes, ce qui le constitue dans son essence complète.
Il est donc tout à fait normal que le dividende, par exemple, soit comme le signe de contradiction qui divise les citoyens autour du Crédit Social, l'obstacle sur lequel viennent échopper les passants distraits, ou mal renseignés, ou préjugés, ou incurablement empêtrés dans les filets du classicisme, ou encore physico-mathématiciens de l'économique, même avec des airs de réformateurs.
Tout d'abord, situons bien le problème, découvrons-en le point central, le nœud. Dans ce but, dressons des cadres complets, toujours avec l'idée bien arrêtée de comprendre le cœfficient de prix et le dividende.
Aujourd'hui, deux Économies se trouvent en présence :
1° L'Économie Classique ou Orthodoxe ;
2° L'Économie Nouvelle.
Et, comme nous parlons d'un nouveau système monétaire, voyons en quoi diffèrent ces deux Économies au point de vue monnaie. L'Économie Classique s'en tient au statu quo : laisser la création de l'argent nouveau, par l'émission de crédits nouveaux, aux mains des banquiers, de particuliers. Certains prétendent que les banques ne créent pas d'argent nouveau, mais sans nous dire où naît l'argent nouveau. Nous sommes absolument et scientifiquement certains du contraire, mais ce n'est pas le point que nous traitons dans ces articles et nous nous contentons, en ce moment, de témoignages comme les suivants :
"La Banque bénéficie de l'intérêt sur tout l'argent qu'elle crée de rien." — (William Patterson, fondateur de la Banque d'Angleterre.)
M. Eccles, gouverneur du Conseil de la Federal Reserve Board, aux Etats-Unis, dit à son tour :
"Nous avons finalement reconnu qu'il n'y a pas besoin de papier éligible, ni d'or, ni même de débentures du gouvernement pour endosser notre argent." — (Témoignages devant le Comité de la Banque et du Numéraire, H.R. 5357, 1935, page 194.)
M. King, en 1935 : "Tant que le contrôle de l'émission de la monnaie et du crédit n'aura pas été restitué au gouvernement et reconnu comme son devoir le plus remarquable et le plus sacré, il est oiseux et futile de parler de souveraineté du parlement et de démocratie."
M. Graham Towers, gouverneur de la Banque du Canada :
"Chaque prêt d'argent par une banque à charte est une création de monnaie nouvelle." — (Rapport anglais, pp. 113, 238.)
"C'est une erreur, commune de croire que les banques prêtent l'argent de leurs déposants. Elles ne font rien de tel. (pp. 398, 455, 590.) • Elles'prêtent de l'argent tout neuf, qu'elles créent exprès pour l'occasion. Le procédé de fabrication consiste à faire une entrée dans leurs livres." (pp.76, 238, 665.)
Et M. Towers faisait ces dépositions sous serment.
Ces quelques témoignages, que nous pourrions continuer longtemps, sont suffisants.
L'Économie Nouvelle prétend que l'émission d'argent nouveau est une fonction souveraine et qu'ainsi, elle appartient à l'État. Le gouvernement doit donc reprendre cette prérogative, qu'il n'aurait dû jamais céder. C'est ce que souligne si fortement M. King, dans les paroles citées plus haut.
Mais les partisans de l'Économie Nouvelle, d'accord sur cette réforme fondamentale, peuvent se diviser en deux groupes, pour ce qui est de la façon de la réaliser :
1° Les tenants du Crédit-Travail qui, d'après nous, tombent dans deux erreurs doctrinales flagrantes : l'économie dirigée — même lorsqu'ils s'en défendent — et la primauté de la production, parce que non seulement ils veulent, que le gouvernement ou ses représentants "contrôlent" le volume de l'argent nouveau, mais son emploi, par des crédits à la production. Nous prétendons que cela mène au socialisme monétaire et ne favorise guère, de fait, la déCentralisation économique qui s'impose.
2° Les tenants du Crédit Social, qui sont pour une économie organisée et pour la primauté de la consommation. Aussi veulent-ils que le gouvernement "contrôle", par une commission indépendante dans la mesure du possible, seulement le volume de l'argent nouveau ; l'emploi de cet argent nouveau dépendrait de la consommation, fin de toute l'économie, du côté de laquelle l'argent naîtrait.
Dans ces perspectives générales ; après ces préliminaires, on peut maintenant mieux comprendre la technique propre du Crédit Social qui, dans un sens très strict, n'est qu'une technique monétaire. On peut mieux comprendre le cœfficient de prix et le dividende individuel.
Et nous arrivons donc au troisièmement de notre définition essentielle du Crédit Social :
3° Au moyen du cœfficient de prix.
Le cœfficient de prix est le moyen technique, comptable, d'incliner naturellement la production à s'adapter aux besoins de la consommation.
Il s'agit des besoins quantitatifs et qualitatifs de la consommation et le propre de ce moyen technique est d'éviter radicalement l'inflation et la déflation.
Le cœfficient de prix présente l'aspect proprement technique du Crédit Social.
Tous les mots de cette définition ont une grande importance et on le verra dans la suite de ces articles.
4° Et du dividende individuel._
Le dividende individuel, dans l'état actuel de l'économique, est le moyen technique, comptable, d'ajuster le pouvoir d'achat aux possibilités de la production, par le financement direct de la consommation.
Selon nous, le dividende demeure justifiable, même si le théorême A + B était indémontrable. Ceux qui doutent du théorême A + B auront réponse à leurs soucis dès que le cours de cette série d'articles le permettra. D'ailleurs, encore une fois, nous ne croyons pas que, même si l'on pouvait mettre à terre le théorême A 4- B, le Crédit Social en fût atteint, dans son essence, surtout dans son esprit. Nous reviendrons sur ce point.
Le dividende présente l'aspect proprement social du Crédit Social. Il garantit, autant qu'une technique comptable le permet, la primauté du social sur l'économique.
Pour bien comprendre ces définitions, que nous développerons maintenant, il faut bien se rappeler les lignes de force de L'Économie Nouvelle, qui sont inverses de celles de L'Économie Classique. Nous y insisterons dans le prochain article et, au fur et à mesure de nos explications, le lecteur saisira de plus en plus la vérité profonde et tragicocomique de ces paroles d'Henry Ford : "Le système actuel nous a entortillés vers la production de choses pour acheter des dollars ; alors que ce qu'il nous faut, c'est un système monétaire qui produise des dollars pour acheter les choses. Sous le système actuel, c'est la queue qui remue le chien."
( à suivre )