Ce qu'est le Crédit Social (suite)

Théophile Bertrand le dimanche, 01 février 1942. Dans Crédit Social

4e ARTICLE

Dans notre dernier article, nous avons dévelop­pé la première partie de la définition essentielle du Crédit Social, i.e. son genre prochain : "Orga­nisation scientifique et rationnelle du système monétaire."

Aucun lecteur qui ne comprenne combien notre texte est dense, substantiel, et qu'ainsi il appelle bien des développements subséquents. On ne peut tout livrer en de courts articles et les annexes viendront dans un ordre normal, lorsque nous au­rons traité le principal de notre sujet. Nous allons au plus pressé, tâchant d'expliciter pour ceux qui viennent à l'économique avec des préoccupations humanistes, en hommes et non en "affairistes" ou en "physicistes", une définition qui peut leur dire, grosso modo, ce qu'est le Crédit Social.

Nous sommes donc arrivés à la différence spé­cifique du Crédit Social, à ce qui le caractérise : le cœfficient de prix et le dividende. C'est ce qui le distingue de tous les autres systèmes, ce qui le constitue dans son essence complète.

Il est donc tout à fait normal que le dividende, par exemple, soit comme le signe de contradiction qui divise les citoyens autour du Crédit Social, l'obstacle sur lequel viennent échopper les pas­sants distraits, ou mal renseignés, ou préjugés, ou incurablement empêtrés dans les filets du classi­cisme, ou encore physico-mathématiciens de l'éco­nomique, même avec des airs de réformateurs.

Préliminaires

Tout d'abord, situons bien le problème, décou­vrons-en le point central, le nœud. Dans ce but, dressons des cadres complets, toujours avec l'idée bien arrêtée de comprendre le cœfficient de prix et le dividende.

Aujourd'hui, deux Économies se trouvent en présence :

1° L'Économie Classique ou Orthodoxe ;

2° L'Économie Nouvelle.

Et, comme nous parlons d'un nouveau système monétaire, voyons en quoi diffèrent ces deux Éco­nomies au point de vue monnaie. L'Économie Classique s'en tient au statu quo : laisser la créa­tion de l'argent nouveau, par l'émission de crédits nouveaux, aux mains des banquiers, de particu­liers. Certains prétendent que les banques ne créent pas d'argent nouveau, mais sans nous dire où naît l'argent nouveau. Nous sommes absolu­ment et scientifiquement certains du contraire, mais ce n'est pas le point que nous traitons dans ces articles et nous nous contentons, en ce mo­ment, de témoignages comme les suivants :

"La Banque bénéficie de l'intérêt sur tout l'ar­gent qu'elle crée de rien." — (William Patterson, fondateur de la Banque d'Angleterre.)

M. Eccles, gouverneur du Conseil de la Federal Reserve Board, aux Etats-Unis, dit à son tour :

"Nous avons finalement reconnu qu'il n'y a pas besoin de papier éligible, ni d'or, ni même de débentures du gouvernement pour endosser notre argent." — (Témoignages devant le Comité de la Banque et du Numéraire, H.R. 5357, 1935, page 194.)

M. King, en 1935 : "Tant que le contrôle de l'émission de la monnaie et du crédit n'aura pas été restitué au gouvernement et reconnu comme son devoir le plus remarquable et le plus sacré, il est oiseux et futile de parler de souveraineté du parlement et de démocratie."

M. Graham Towers, gouverneur de la Banque du Canada :

"Chaque prêt d'argent par une banque à charte est une création de monnaie nouvelle." — (Rap­port anglais, pp. 113, 238.)

"C'est une erreur, commune de croire que les banques prêtent l'argent de leurs déposants. Elles ne font rien de tel. (pp. 398, 455, 590.) • Elles'prêtent de l'argent tout neuf, qu'elles créent ex­près pour l'occasion. Le procédé de fabrication consiste à faire une entrée dans leurs livres." (pp.76, 238, 665.)

Et M. Towers faisait ces dépositions sous ser­ment.

Ces quelques témoignages, que nous pourrions continuer longtemps, sont suffisants.

L'économie nouvelle

L'Économie Nouvelle prétend que l'émission d'argent nouveau est une fonction souveraine et qu'ainsi, elle appartient à l'État. Le gouverne­ment doit donc reprendre cette prérogative, qu'il n'aurait dû jamais céder. C'est ce que souligne si fortement M. King, dans les paroles citées plus haut.

Mais les partisans de l'Économie Nouvelle, d'accord sur cette réforme fondamentale, peuvent se diviser en deux groupes, pour ce qui est de la façon de la réaliser :

1° Les tenants du Crédit-Travail qui, d'après nous, tombent dans deux erreurs doctrinales fla­grantes : l'économie dirigée — même lorsqu'ils s'en défendent — et la primauté de la production, parce que non seulement ils veulent, que le gou­vernement ou ses représentants "contrôlent" le volume de l'argent nouveau, mais son emploi, par des crédits à la production. Nous prétendons que cela mène au socialisme monétaire et ne favorise guère, de fait, la déCentralisation économique qui s'impose.

2° Les tenants du Crédit Social, qui sont pour une économie organisée et pour la primauté de la consommation. Aussi veulent-ils que le gouver­nement "contrôle", par une commission indépen­dante dans la mesure du possible, seulement le volume de l'argent nouveau ; l'emploi de cet ar­gent nouveau dépendrait de la consommation, fin de toute l'économie, du côté de laquelle l'argent naîtrait.

Technique du Crédit Social

Dans ces perspectives générales ; après ces pré­liminaires, on peut maintenant mieux compren­dre la technique propre du Crédit Social qui, dans un sens très strict, n'est qu'une technique monétaire. On peut mieux comprendre le cœffi­cient de prix et le dividende individuel.

Et nous arrivons donc au troisièmement de no­tre définition essentielle du Crédit Social :

3° Au moyen du cœfficient de prix.

Le cœfficient de prix est le moyen technique, comptable, d'incliner naturellement la production à s'adapter aux besoins de la consommation.

Il s'agit des besoins quantitatifs et qualitatifs de la consommation et le propre de ce moyen technique est d'éviter radicalement l'inflation et la déflation.

Le cœfficient de prix présente l'aspect propre­ment technique du Crédit Social.

Tous les mots de cette définition ont une gran­de importance et on le verra dans la suite de ces articles.

4° Et du dividende individuel._

Le dividende individuel, dans l'état actuel de l'économique, est le moyen technique, comptable, d'ajuster le pouvoir d'achat aux possibilités de la production, par le financement direct de la con­sommation.

Selon nous, le dividende demeure justifiable, même si le théorême A + B était indémontrable. Ceux qui doutent du théorême A + B auront réponse à leurs soucis dès que le cours de cette série d'articles le permettra. D'ailleurs, encore une fois, nous ne croyons pas que, même si l'on pou­vait mettre à terre le théorême A 4- B, le Crédit Social en fût atteint, dans son essence, surtout dans son esprit. Nous reviendrons sur ce point.

Le dividende présente l'aspect proprement so­cial du Crédit Social. Il garantit, autant qu'une technique comptable le permet, la primauté du social sur l'économique.

Pour bien comprendre ces définitions, que nous développerons maintenant, il faut bien se rappeler les lignes de force de L'Économie Nouvelle, qui sont inverses de celles de L'Économie Classique. Nous y insisterons dans le prochain article et, au fur et à mesure de nos explications, le lecteur sai­sira de plus en plus la vérité profonde et tragico­comique de ces paroles d'Henry Ford : "Le sys­tème actuel nous a entortillés vers la production de choses pour acheter des dollars ; alors que ce qu'il nous faut, c'est un système monétaire qui produise des dollars pour acheter les choses. Sous le système actuel, c'est la queue qui remue le chien."

( à suivre )

Théophile Bertrand

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