“Ce” corporatisme

le samedi, 15 février 1941. Dans Corporatisme

On annonçait, il y a quelques semaines, la fondation de L'Action Corporative à Montréal, remontant déjà à quelques mois.

Peut-être a-t-il fallu l'éclatant témoignage des résultats étonnants de la doctrine créditiste pour donner l'alerte et en provoquer l'avènement. Dommage que l'on n'y ait pas pensé plus tôt !

La dictature économique a fait du chemin depuis la célèbre encyclique de Pie XI. On s'est évertué, soit à ne rien faire, soit à faire grand bruit d'activités qui ne troublent en rien la marche progressive de l'emprise financière.

C'est, il y a cinq ans, qu'à l'appel d'un "modeste" professeur, le peuple albertain — protestant comme le professeur, disons-le à la honte des catholiques qui se contentent d'applaudir le pape — s'engageait résolument dans la lutte contre la dictature économique, avec les succès que l'on sait. Que n'eût-on alors en notre vieille province des hommes assez courageux, assez désintéressés pour prendre la tête d'un mouvement et bien décidés à juguler les puissances d'argent, plutôt qu'à s'en prendre à des adversaires politiques et à préconiser des réformes ouatées ?

Entre autres choses, l'Action Corporative nouvellement fondée nous avertit "qu'il ne s'agit pas pour les corporations, de fonder la représentation sur le choix des députés par les professions." Serait-il donc si mal que les classes laborieuses, et les autres, se mêlent d'élire des hommes de leur classe respective, au courant de leurs besoins, de leurs difficultés, donc mieux préparés à légiférer sur leur cas en parfaite connaissance de cause ?

Et, observe-t-on encore :

"Les corporations n'aspirent à aucune participation directe au gouvernement de l'État, non plus qu'à faire partie des commissions gouvernementales ; mais un conseil intercorporatif jouerait auprès du gouvernement le rôle de conseiller."

Précaire ce rôle de conseiller auprès d'un gouvernement qui a l'entendement dur à l'endroit des classes inférieures, surtout si l'esprit de parti s'en mêle, surtout si la caisse électorale alimentée par les exploiteurs de la masse, devait en souffrir.

À remarquer que ces apôtres de l'Action Corporative sont d'un silence remarquable à l'endroit de la grande dictature de l'argent... Et ça force à se mettre en garde !

On se rappelle, par ailleurs, quel fut le rôle de dupe, en ces dernières années, du syndicat catholique des tisserands, légalement constitué, avec aumônier, corps aussi représentatif, aussi respectable que pourrait l'être une corporation sous le règne des compagnies anonymes et sous la férule politique du parti.

Chaque corporation, remarque-t-on encore, serait soumise à l'autorité suprême — d'un Bouchard ou d'un Duplessis, par exemple — qui pourrait intervenir si les corporations prenaient des allures contraires à l'intérêt public.

L'intérêt public sous le régime qu'on veut perpétuer. Lisez : l'intérêt du parti, qui prime tous les autres intérêts. Les individus, comme la province, ont chèrement payé pour l'apprendre.

De même encore :

"Les règlements de chaque corporation devront être soumis à l'approbation provinciale."

On comprend la soumission des règlements des corporations à un corps interprofessionnel formé des représentants des corporations. On comprend aussi qu'une autorité suprême provinciale doive sanctionner les règlements, ou y opposer son désaveu si elle les juge contraires à l'intérêt commun. Mais une autorité provinciale issue de la démence électorale que l'on connaît ? Des corporations sujettes aux élus des cabales de partis et de l'argent des trusts ? Mais à quoi rimerait donc leur autonomie ? Cherche-t-on la formule d'un changement sans changement ?

Il resterait aux corporations, il est vrai, le privilège, déjà reconnu à tout groupe qui joue au réformiste, de parlotter, voire même de banqueter, de convertir les trusts endurcis pourvu qu'on tienne rigoureusement compte des intérêts impitoyables du parti. Leur resterait encore, par la confiance même qu'elles inspireraient au peuple, la tâche de l'endormir dans une fausse sécurité et de lui injecter des super-doses de patience pendant que l'égorgement continuerait comme de plus belle.

À son respect pour le régime de contrôle du crédit par des profiteurs légalisés, l'Action Corporative joint donc le respect du beau régime parlementaire à base de partis qui a produit les fruits que l'on sait. Régime qui corrompt, salit, déshonore notre vie politique, à en éloigner les hommes dignes et compétents dont le peuple a tant besoin. Régime où fleurit l'esprit de concussion, le patronage éhonté. Régime de méthodes inavouables où les ambitieux qui écrasent les petits et lèchent les puissants montent au premier plan.

À qui fera-t-on croire que le véritable corporatisme, celui que désirent les papes, puisse vivre, collaborer et produire de dignes fruits de salut en pareil compagnonnage ?

L'Action Corporative prétendrait qu'après avoir fait ses preuves en notre province, elle pourrait ensuite s'étendre aux autres provinces. Avec un corporatisme tuberculeux comme celui-là ! Aussi bien "ordonner à la montagne de venir à nous !"

Les Anglo-canadiens se sentent trop peu de ferveur — pour lors ne les en blâmons pas — pour la politique à retardement de notre administration provinciale. Un corporatisme à retardement produira exactement les mêmes résultats sur l'esprit des voisins.

Ou l'on veut du corporatisme, ou l'on n'en veut pas. Si l'on en veut, il faut savoir jeter par-dessus bord ce qui n'en est pas, l'anarchie de l'individualisme et des cabales de coulisses. Il n'y a pas place en la demeure pour deux occupants poursuivant des buts diamétralement opposés.

Le temps n'est pourtant pas aux tergiversations. La foudre est au-dessus de la cheminée de la maison. Les chloroformeurs se promèneront encore avec leurs fioles lorsque viendra la catastrophe. Ce ne sont pas eux qui vont nous éviter l'heure du sauve-qui-peut général.

Le vrai corporatisme ne peut marcher de pair avec le culte de Mammon ni avec les combines de la politique de parti. Tant qu'on voudra garder ces "beautés"-là, le corporatisme restera avec les encycliques, sur les étagères.

Il faut une autre sève, et ce sont les créditistes, avec leur vue claire, leur saine audace et leur dynamisme grandissant, qui l'apporteront. Ceux qui, habitués à tenir le haut du pavé, les boudent aujourd'hui en seront quittes pour les frais.

E.-P. A.

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