Recule-t-il ou rampe-t-il ?

Louis Even le dimanche, 01 septembre 1940. Dans Divers

Le Devoir du 24 août consacre la moitié de sa première page à la présentation élogieuse du nouvel ouvrage de M. Édouard Montpetit, "La Conquête économique".

Nous n'avons pas lu cette production et la pensée ne nous vient même pas de douter qu'elle soit digne d'éloges. Mais nous soulignerons deux choses : une qui nous surprend, l'autre qui ne nous surprend pas.

Celle qui ne nous surprend pas, c'est que Le Devoir soit, comme d'habitude, généreux de son espace pour tout ce qui exalte l'économie et les économistes orthodoxes. C'est son droit, comme c'est son droit de refuser des exposés de la doctrine monétaire créditiste. Aussi ne cherchons-nous point à forcer la porte, nous lisons simplement l'enseigne à haute voix.

La chose qui nous surprend un peu plus, c'est que l'auteur de la présentation soit le Père Thomas-Marie Lamarche.

Nous avons, ouverts devant nous, le tome II de l'ouvrage intitulé "Comment rendre l'argent au peuple", écrit par le Père Lamarche, et le livre "Sous le Signe de l'Or", écrit par M. Édouard Montpetit.

Le chapitre douzième du tome II du Père Lamarche porte comme titre "Absurdité et faillite de la monnaie-or". Le Père y fait le procès du métal jaune. Et nous le trouvons bien fait.

D'autre part, M. Édouard Montpetit termine son livre "Sous le Signe de l'Or » par une apologie du même métal, et la dernière subdivision de son dernier chapitre va sous le titre "On reviendra à l'or."

Les opinions respectives du Père Lamarche et de M. Montpetit ne s'accordent donc guère, et nous nous attendions de voir le Père Lamarche affirmer sa position en commentant le nouveau livre de M. Montpetit. Point du tout. Lisez plutôt (c'est le Père Lamarche qui écrit) :

"En 1932, M. Montpetit publie "Sous le Signe de l'Or", un excellent exposé de la technique de la monnaie, du change, de l'organisation du crédit, de la banque, etc."

Le Père Lamarche trouve M. Montpetit "essentiellement positiviste et réaliste". Alors, vous, Père, seriez-vous dans la lune ?

Encore : "Que dire d'une monnaie saine, sans avoir approfondi la nature de la monnaie, du change international, son rôle comme médium d'échange, ses fonctions essentielles". Alors, vous, Père, aviez-vous le sens de la monnaie saine, en décriant l'or après que M. Montpetit eut salué son heureuse ré-intronisation prochaine ?

Le Père Lamarche aurait-il reculé ? Ou convoite-t-il, au prix d'une sorte d'amende honorable à peine discrète, l'accès à quelque honneur qui exige les bonnes grâces de M. Montpetit ?

Nous savons que le Père Lamarche fut nommé professeur à l'Université d'Ottawa, malgré sa condamnation du système bancaire dans les deux premiers tomes de son ouvrage. C'est que le troisième est une perle pour les banquiers : le Père y déclare péremptoirement le Crédit Social avec son dividende national "une idée collectiviste, socialiste ou communiste." Voilà un document dont les politiciens défenseurs (ou valets) des banquiers font un copieux usage dans les moments psychologiques. Depuis que neuf théologiens ont, à l'unanimité, déclaré qu'il n'y a ni communisme ni socialisme dans le dividende du Crédit Social, le Père Lamarche n'en continue pas moins à annoncer et diffuser son livre tel quel. Ce crâne entêtement méritait certainement une récompense universitaire.

Il a eu celle d'Ottawa. Mais nous apprenions récemment que des démarches ont eu lieu pour confier aussi au Père Lamarche une chaire à l'Université de Montréal. Le recul, ou l'aplatissement, étalé dans sa présentation du livre de M. Montpetit, secrétaire de l'Université, ferait-il partie du plan ?

Simple question. Un Américain demanderait : "Has he an axe to grind ?" Laissons au Père l'estampille anglaise. Acrobate en traduction, il saura bien, comme dans son livre, inventer le sens qui lui plaira.

Louis EVEN

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