(Nos lecteurs sont invités à nous soumettre tous leurs "cas de conscience", ou ceux des autres qu'ils cueillent au hasard de la propagande, concernant le Crédit Social: nous essaierons de les résoudre.)
Sous un régime créditiste, la monnaie actuelle va-t-elle disparaître, et ceux qui ont des épargnes vont-ils être obligés de recommencer à neuf?
Les épargnes ne seront nullement détruites, ni même égratignées par le Crédit Social. En émettant de la monnaie nouvelle selon les besoins, ce sera simplement une addition à la monnaie déjà en cours. Comme la monnaie gardera mieux sa valeur par rapport à la véritable richesse, et la véritable richesse par rapport à la monnaie, à cause de l'équilibre constamment maintenu, l'épargne sera infiniment mieux protégée qu'aujourd'hui. Que ceux donc qui possèdent soient sans inquiétude: la conservation de leur avoir y gagnera. Dans notre prochain numéro, nous produirons une étude spéciale pour démontrer que le Crédit Social est un antidote contre le socialisme et le communisme, tandis que l'ordre actuel mène à grands pas ou vers le socialisme d'état ou vers la révolution communiste.
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Mais ne faut-il pas une base d'or à la monnaie ? Comment le Crédit Social peut-il promettre de la monnaie selon les besoins sans être sûr d'avoir l'or nécessaire ?
Il est temps qu'on cesse de se laisser berner par cette fable de l'or. Nous dirons d'abord que si l'or était nécessaire dans une certaine proportion à l'émission de monnaie, le Canada serait en excellente position pour doubler toute sa monnaie dans un an, puisque l'or des voûtes bancaires est actuellement évalué à 181 millions de dollars et que nos mines ont fourni 180 millions d'or l'an dernier; il suffirait d'acheter cet or avec un chèque sur le crédit national.
Mais la base d'or est un mythe pour quiconque comprend quel est l'instrument monétaire aujourd'hui. Lorsque les banquiers inscrivent un crédit (qui sert d'argent) d'un million au compte d'un gouvernement, est-ce parce qu'il est sorti à l'instant de la terre un million d'or, ou un montant quelconque proportionné? Et quand les remboursements successifs aux banques extraient du public, par doses, le crédit que les prêts y ont jeté, est-ce parce que l'or retourne par doses à ses vieux gisements souterrains? Et quand le crédit est subitement diminué, comme en 1930, est-ce parce que l'or rentre subitement dans les entrailles de la terre ? Et lorsque l'argent naissait par millions chaque jour pendant la guerre de 1914 à 1918, est-ce parce que les soldats quittaient leurs tranchées pour extraire l'or de notre planète ?
Voyons-nous un marchand, avant de servir un client, s'assurer qu'il y a de l'or derrière le rectangle de papier imprimé qu'on lui passe ? Pourquoi un rectangle vaut-il un dollar et un autre exactement de mêmes dimensions en vaut-il dix? Pourquoi, sinon parce que c'est écrit sur le morceau de papier et que le marchand est sûr de faire accepter ce rectangle n'importe où pour la même valeur? Ce qui fait la valeur de cet argent, c'est la confiance mutuelle et l'assurance, à cause de l'organisation sociale du Canada, qu'il y aura toujours de la production pour répondre de cet argent. La véritable base de l'argent, c'est justement cette confiance dans le pays, ce crédit social, exploité à leur profit personnel par des particuliers qui nous jettent (sur le papier) de la poudre d'or aux yeux.
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Puisque le Crédit Social condamne l'existence de la dette publique et prétend qu'avec un système monétaire sain, la dette publique disparaîtra, est-ce que le gouvernement devra répudier la dette actuelle ? Sinon, comment l'éteindra-t-il ?
Sous un régime monétaire créditiste, le gouvernement n'a pas besoin de répudier la dette publique ; il la paie fidèlement et l'éteint à mesure que les obligations atteignent échéance, mais il n'en contracte pas d'autre. Le paiement d'une dette consiste, en réalité, à passer au créancier des titres à la production ; c'est comme si on payait la dette avec des produits. Or le Canada peut facilement le faire, puisqu'aujourd'hui trois quarts de la production possible restent dans le néant à cause du système faux.
Si le pouvoir d'achat des Canadiens est augmenté de deux milliards et demi dans une année, il n'est pas aussi douloureux d'en extraire 300 millions pour le service de la dette publique. Puis à mesure qu'une obligation atteint l'échéance, le gouvernement ouvre simplement au détenteur un crédit sur le Trésor national pour le montant de l'obligation qu'il rachète définitivement. Ce crédit trouve ou non le chemin de la circulation par des achats ou des placements industriels de la part de celui qui le reçoit. Dans la mesure où il devient du pouvoir d'achat, c'est autant de moins à émettre par le dividende national ou l'escompte compensé. À mesure que la dette va ainsi s'éteindre, la charge d'intérêt diminuant, la production totale sera de plus en plus à la disposition de la masse des citoyens.
On peut objecter qu'un certain nombre de créanciers sont à l'étranger et n'ont que faire de monnaie canadienne. Le gouvernement peut acheter des lettres de change, ou ordres de payer tirés par des exportateurs canadiens sur leurs clients étrangers. Il paie ces lettres de change avec sa monnaie nationale et s'en sert pour acquitter sa dette envers les étrangers avec une monnaie de leur propre pays. Cela équivaut encore à payer la dette canadienne avec des produits canadiens, le gouvernement payant ceux qui fournissent la production à cette fin.
Ajoutons qu'il y aurait une distinction à faire entre les obligataires ayant acheté leurs créances en échange de leurs épargnes et ceux (les banques) qui les ont payées d'un trait de plume. Les obligations demeurées propriété des banques peuvent très bien, sans léser personne, être rachetées de la même façon qu'elles furent payées par un trait de plume qui les annule à tout jamais. Le principal actuel de l'Université McGill de Montréal, M. Lewis W. Douglas, auparavant Directeur du Budget des États-Unis, déclarait en 1935 que les banques américaines détiennent approximativement 53 pour cent de toute la dette de ce pays et qu'elles ont surtout payé les obligations donnant titre à cette dette par de simples entrées comptables. Au Canada, on ne connaît pas les détenteurs de nos obligations. Même les députés ne peuvent obtenir l'information. On a sûrement le droit de savoir à qui l'on paie. Comme la proportion doit être au moins aussi forte qu'aux États-Unis, la suppression du "banditisme légalisé" allégerait du coup la dette publique d'une bonne moitié.
Comment le commerce international pourra-t-il marcher sous un régime monétaire de crédit social ?
Comme aujourd'hui, mais mieux qu'aujourd'hui. Comme aujourd'hui, parce que le blé canadien, le papier canadien, l'amiante canadien, le nickel canadien, etc., seront aussi bons et aussi appréciés à l'étranger qu'ils le sont aujourd'hui, et parce que les fruits, le coton, le sucre, les soies, etc, de l'étranger seront aussi bons et aussi appréciés des Canadiens qu'ils le sont aujourd'hui. Le commerce international ira tout de même mieux qu'aujourd'hui, car les Canadiens, ayant le pouvoir d'achat pour se procurer toute la production canadienne, auront le pouvoir d'achat pour se procurer telle production étrangère qui viendra remplacer telle production canadienne qu'ils n'achèteront pas mais enverront à l'étranger.
Mais comment la monnaie du crédit social va-t-elle être acceptée à l'étranger ?
Comme aujourd'hui. La monnaie française, ou allemande, ou chinoise, ne circule pas au Canada ; ni la monnaie canadienne en France, en Allemagne ou en Chine. Ce sont les produits qui traversent les frontières, pas la monnaie. Les exportateurs canadiens sont payés par de l'argent canadien provenant d'importateurs canadiens. Les importateurs canadiens paient leurs fournisseurs étrangers, sans le savoir peut-être, avec de l'argent d'exportateurs de ces pays étrangers. Le tout se fait par l'intermédiaire d'achats et de ventes de lettres de changes.
Mais pour le taux du change ?
Il fonctionnera comme aujourd'hui. Le change fluctue autour du pair, selon le montant relatif de lettres de change dollars par rapport aux lettres de change devises étrangères, donc en définitive d'après les balances de commerce. Comme la monnaie canadienne aura au Canada une valeur d'achat plus stable parce qu'elle se tiendra plus en rapport avec la production ; comme d'autre part, on ne cherchera plus à exporter plus qu'on importe parce que l'argent ne fera plus défaut au pays, le commerce extérieur sera moins entravé, il tendra naturellement à l'équilibre des exportations et des importations, le cours du dollar variera moins, les activités d'échange prendront plus d'essor.
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Si le Crédit Social a fait fiasco en Alberta, comment peut-on avoir confiance qu'il réussira au fédéral ?
Le Crédit Social n'a pas fait fiasco en Alberta, puisqu'il n'y fut jamais mis en vigueur. La population albertaine l'a réclamé par un vote majoritaire. Le gouvernement d'Edmonton, pour exécuter son mandat, a passé la législation nécessaire à sa mise en vigueur. Mais le gouvernement fédéral, usant d'un droit dont il se sert rarement, est intervenu promptement pour désavouer cette législation et la rendre inopérante.
Que la population de tout le Canada réclame majoritairement le Crédit Social et prenne les moyens de se faire écouter par Ottawa, ce sera une autre question, parce qu'aucun gouvernement au monde ne peut désavouer les lois fédérales.
Pourquoi, si c'est beau, si c'est logique, social et humain, serait-ce irréalisable ? Il y avait des gens qui ne pensaient pas autrement de l'abolition de l'esclavage, et pourtant ! Pourquoi ne serait-ce pas aussi facile de faire fonctionner un système qui accommoderait tout le monde, qui avantagerait tout le monde sans nuire à personne, que de continuer un système où seule une poignée de profiteurs trouvent satisfaction ?
Si le Crédit Social était impossible à mettre en pratique, pourquoi la prompte récrimination des maîtres du système actuel dès que le gouvernement d'Aberhart a passé des lois pour établir le Crédit Social ? Qu'avaient-ils besoin de s'inquiéter si l'échec était certain ? C'est heureusement le contraire qui est vrai. Et la haute finance sait trop bien que le Crédit Social est facile à mettre en pratique et qu'une expérience est sûre de réussir. Or qu'un pays, si petit soit-il, adopte le Crédit Social, c'en est fait des défenseurs du vieux système. Le résultat de l'expérience sera si frappant que les autres pays de l'univers ne tarderont pas, l'un après l'autre, à l'introduire. chez eux.
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Avec des émissions successives de monnaie non retirée, l'argent va s'empiler et perdre sa valeur.
Pour qu'il en fût ainsi, il faudrait des émissions faites sans technique et sans nécessité. Le Crédit Social n'a jamais préconisé cela. Il n'y a d'émission de monnaie nouvelle que s'il en est besoin, d'abord pour élever le pouvoir d'achat au niveau de la capacité de production actuelle, puis pour faire face à une nouvelle augmentation de la capacité de production. Pour qu'il y ait excédent de monnaie, il faudrait qu'il y eût arrêt ou recul dans la production. Qu'est-ce qui motiverait cet arrêt ou ce recul quand les besoins continuent, que la capacité de production continue et que le système monétaire sert l'écoulement de cette production pour satisfaire ces besoins ? C'est justement le retrait de l'argent qui arrête aujourd'hui la production et crée la situation stupide que nous connaissons.
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Le Crédit Social est de l'inflation, et l'inflation devient vite une catastrophe pire qu'une crise ordinaire.
Il est faux de dire que le Crédit Social soit de l'inflation. C'est confondre, par ignorance ou à dessein, inflation avec expansion. Une expansion de la monnaie au rythme de la production n'est pas de l'inflation, c'est mettre un instrument de distribution plus abondant au service d'une production plus abondante. Ne pas le faire serait une déflation.
Bien plus, seule la technique créditiste peut mettre de la nouvelle monnaie en circulation à propos et sans créer d'inflation. Le système actuel, même lorsqu'il y a besoin de monnaie, n'est pas capable de faire d'émission sans provoquer un certain degré d'inflation, parce qu'il fait son émission du côté de la production, ce qui agit nécessairement sur les prix.
N'oublions pas que le mot "inflation" a pour déterminatif "des prix". C'est l'inflation des prix que dénoncent ceux qui critiquent la monnaie désordonnée. Le Crédit Social n'émet que le pouvoir d'achat nécessaire pour combler un écart, et il le fait directement du côté du consommateur, donc sans intervenir dans la structure des prix.
Sous un régime de Crédit Social, y aura-t-il encore du patronage politique ?
C'est la privation d'emploi, donc de gagne-pain, qui cause aujourd'hui la course aux moindres positions payées par les gouvernements. On s'accroche, comme à une planche de salut, au privilège d'étendre du gravois ou de l'asphalte sur une route, ou de garder une cabane ou une barrière. Pour l'obtenir, on va jusqu'à voter contre son jugement, se faire cabaleur d'élections, monteur d'histoires et délateur de son prochain pourtant aux prises avec les mêmes difficultés. Sous un régime créditiste, l'agriculture, l'industrie et le commerce, n'étant plus paralysés par la rareté artificielle d'argent en circulation, offriront à tous les travailleurs valides une foule d'occupations variées et lucratives. Ils pourront choisir d'après leurs aptitudes et leurs attraits. N'étant plus acculé à la misère, l'électeur sera plus indépendant. La sécurité économique du citoyen est la meilleure atmosphère pour cultiver l'assainissement de la politique. D'ailleurs l'éducation préalable à l'enrôlement des citoyens pour réclamer et obtenir le Crédit Social aura déjà disposé de bien des poisons politiques.