Est-ce que, sous le Crédit Social, il y aura contrôle des prix des produits et des services ? Si non, comme les producteurs et les professionnels cherchent souvent des profits hors de proportion avec le pouvoir d'achat, le dividende et l'escompte compensé ne seront-ils pas simplement des moyens d'alimenter ces profits ? Et si oui, ne serait-ce pas de la part du gouvernement une mesure dictatoriale ?
Que l'on commence par bien remarquer que le crédit social ne supprime pas le gouvernement. La comptabilité monétaire n'empêche pas. d'avoir un gouvernement pour administrer et surveiller la chose publique.
La technique monétaire du crédit social ne fixe pas les prix, elle établit un facteur de prix, un quotient, une fraction qui, multipliée par le prix de revient, donne le prix que le consommateur doit payer. Ce facteur régulateur s'applique à tous les articles vendus au détail. Le prix de vente est fait par les producteurs et distributeurs comme d'habitude, et le comptable du crédit social ne fait que permettre à l'ensemble des consommateurs de payer l'ensemble des prix. Donc pas de fixation des prix.
Les prix tendront d'ailleurs à baisser à mesure que la production encouragée par les ventes augmentera. Plus on fournit d'articles avec à peu près le même outillage, plus le prix de l'article baisse.
Le maintien des prix dans les justes mesures se fera, comme aujourd'hui, par la concurrence dans les cas ordinaires. Dans les cas spéciaux, comme dans les industries monopolisatrices où il pourrait y avoir des abus, l'administration peut et doit intervenir ; mais c'est le gouvernement comme administrateur, surveillant et redresseur de torts, qui intervient, non pas la technique créditiste.
L'escompte compensé nécessite un accord entre le Trésor et le marchand (comme le contrat C-4 dans le Programme Intérimaire de l'Alberta). Le Trésor place les conditions, qui peuvent être, par exemple, comptabilité normale accessible aux auditeurs du Trésor et marge limitée de profit. Comme l'accord n'est pas obligatoire, le marchand reste libre de poursuivre les profits à sa guise sans bénéficier de l'escompte, ou de se plier aux limites offertes afin de bénéficier de l'escompte compensé, augmentant ainsi sa clientèle. Un marchand fera plus de profit absolu à dix pour cent de profit qu'à vingt-cinq pour cent si, dans le premier cas, il quadruple son chiffre de ventes. Le développement du Programme Intérimaire en Alberta montre que le commerce est très sensible à la clientèle et content d'entrer dans un plan qui améliore les conditions collectivement plutôt que s'entêter à chercher le succès en saignant le public.
Disons toutefois que, selon nous, il se fera graduellement un changement dans la mentalité vis-à-vis de l'argent sous un régime où l'argent abondera comme les produits. C'est la rareté qui crée ou active la ruée sur l'argent. Et c'est aussi le caractère de puissance que confère l'argent, plus que le titre qu'il donne aux produits, qui stimule l'avidité des accapareurs. Lorsque l'argent aura cessé d'être une arme pour n'être plus qu'un outil, un service, le mobile malsain qui cause tant de mal sera découragé.
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En théorie, le Crédit Social est digne de louanges. Ses principes sont, en effet, basés sur la justice, condition essentielle de tout bon système économique. Mais ces principes sont-ils réalisables ? Ne dirait-on pas que Douglas et les pionniers du Crédit Social ignorent l'égoïsme et la cupidité humaine ? Ces vices sont pourtant à la mode dans le domaine économique. Puisqu'il faut tenir compte de l'égoïsme humain, quelle garantie avons-nous que les créditistes qui nous dirigeront en seront préservés ? Ayant le crédit et la monnaie en main, ils auront beau jeu de servir leurs intérêts au détriment de l'intérêt commun. Alors que deviendrons-nous ?
Cette question revient souvent, sous différentes formes. Elle est en grande partie inspirée par une conception imparfaite de la technique monétaire du crédit social et en partie parce qu'on veut demander à un système monétaire une chose à laquelle il peut aider, mais qui n'est pas de son domaine. Il est faux de dire que "les créditistes qui nous dirigeront (en supposant que le gouvernement soit entre les mains de créditistes) auront le crédit et la monnaie entre les mains." Ce pourrait être vrai d'un système qui placerait tout argent nouveau entre les mains du gouvernement pour qu'il s'en serve lui-même, comme dans un certain système appelé Crédit Travail. Le Crédit Social ne laisse pas la monnaie propriété du gouvernement une parcelle de seconde. La monnaie naît, par décret émanant du gouvernement ou de l'office établi par lui, mais elle naît propriété des citoyens, de tous les citoyens. Le dividende ne vient au monde que dans le livre du crédit national sous le compte de chaque citoyen, comme si le citoyen l'avait déposé lui-même.
On est tellement habitué à voir la monnaie entre les mains des banques qu'on s'imagine, mais à tort, que sous le crédit social, elle sera de même entre les mains du gouvernement, ce qui est absolument erroné. La banque crée le crédit et en reste propriétaire, prêtant seulement l'usage de ce crédit pour un temps à l'emprunteur. Sous le crédit social, l'office national crée le crédit, mais sans s'en constituer propriétaire : le propriétaire, c'est chaque récipiendaire du dividende, donc tout le monde. Pour avoir de l'argent, pour fins d'administration, le gouvernement demande l'argent aux contribuables, comme aujourd'hui.
Quant à l'égoïsme et la cupidité, nous les constatons, et nous ne disons jamais que, sous le crédit social, la nature humaine sera exempte des suites du péché originel. La comptabilité publique si bonne soit-elle, n'est pas la rédemption, pas même la religion. Le système monétaire n'a pas pour fin de cultiver la vertu ; demandons-lui seulement de ne pas mettre d'obstacle à la pratique de la vertu, comme le fait celui que nous avons aujourd'hui ; demandons-lui seulement de contribuer pour la part qui le concerne, à l'établissement d'un climat dans lequel la personne humaine puisse se développer et orienter son développement selon les principes de la morale et de la religion. Vous reconnaissez que le crédit social est conforme à ces principes. Que voulez-vous de plus ? Si, pour adopter un système économique basé sur des principes sains, il faut en plus attendre des hommes parfaits, le cas est littéralement désespéré. Quand donc nous envisageons une amélioration de la mentalité vis-à-vis de l'argent, ce n'est pas parce que l'homme naîtra meilleur, mais parce que le milieu établi par le crédit social sera meilleur que le milieu créé par le système de crédit-dette, et l'homme subit l'influence du milieu. C'est le cas de répéter la remarque de Jacques Maritain : Quoique enclin au péché et ne se conduisant pas par la loi d'amour, l'homme peut établir des institutions, des systèmes qui, dans leur ordre, sont meilleurs que lui, sont inspirés par la loi d'amour ; et ces systèmes et ces institutions, une fois établis, aident l'homme faible à mieux répondre à sa fin.
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J'ai vu un plan qui s'appelle Abondance-Vie et qui consiste, je crois, à tirer des taxes sur les millionnaires, assez pour fournir de grands travaux pour occuper les chômeurs et pour distribuer des allocations familiales. Est-ce du Crédit Social ?
Tout plan de cette sorte peut viser une répartition plus équitable du pouvoir d'achat ; mais ce n'est pas du Crédit Social. Le plan ne mérite même pas son nom d'abondance-vie car il laisse dans le néant la grande abondance qui attend plus de pouvoir d'achat global pour naître. Ce n'est pas en prenant à l'un pour donner à l'autre qu'on augmente le total de la monnaie. On peut activer momentanément les achats, en ôtant de l'argent à des repus pour donner à des non repus ; mais ces millionnaires sont la plupart du temps des chefs ou actionnaires d'entreprise, et le public ne tardera pas à retrouver dans les prix majorés l'argent dont on lui a fait cadeau.
Cette manière d'envisager le problème part du point de vue socialiste : Il y a des pauvres parce qu'il y a des riches ; prenons aux riches pour remettre aux pauvres. Vieille pratique d'ailleurs : il n'y a pas besoin de dépenser des énergies pour la faire connaître. Le Crédit Social, lui, n'attribue pas la privation des uns à la richesse des autres, mais à la non distribution de l'abondance qui attend. Il y a amplement pour tout le monde.
Les propositions monétaires du Crédit Social sont offertes au monde depuis vingt-et-un ans. Elles reposent sur une philosophie et leur technique est scientifique et solide. Le mouvement gagne de l'ampleur dans maints pays. La doctrine a résisté à la critique des forces coalisées des banques et des vieilles barbes de l'orthodoxie. Ce ne sont pas des à-côtés donnés comme substituts par pusillanimité ou par intérêt personnel qui méritent de nous retenir un instant.
Nous endossons dans toute sa force et plénitude la protestation suivante du groupe créditiste d'Edson, Alberta, contre les désaveux successifs des lois albertaines, parce que la protestation est d'inspiration démocratique, tandis que les désaveux sont d'inspiration dictatoriale :
Edson, Alta., 26 mars 1939
Hon. Ernest Lapointe, M.P.
Ottawa, Ont.
Nous protestons vigoureusement contre tout désaveu des lois albertaines que vous étudiez actuellement. Les lois en question reflètent la volonté bien exprimée de la MAJORITÉ de la population d'Alberta. Les pétitions demandant le désaveu viennent d'institutions contrôlées par la finance et sont en minorité. Aberhart ne fait qu'essayer de nous assurer la sécurité économique. N'est-ce pas, après tout, ce que promettait de faire votre gouvernement, rien que pour ÉCHOUER misérablement depuis ? Le désaveu suscitera le plus vif ressentiment et contribuera beaucoup à rendre l'unité canadienne impossible.
Qu'on ne touche pas à l'Alberta (We demand hands off Alberta)..........
William C. Hales,
président
Le désaveu a suivi son cours. Ottawa est bien plus sensible à la minorité qui représente des millions de dollars qu'à la majorité qui ne représente que des personnes humaines.