Le programme intérimaire, actuellement en vigueur dans l'Alberta, n'est pas le système du Crédit Social. Ce n'est pas non plus un substitut. Mais c'est un acheminement vers le Crédit Social, incarnant les principes mêmes du Crédit Social : augmentation du pouvoir d'achat, abaissement du coût de la vie.
Disons tout de suite en quoi il consiste ; nous en tirerons les leçons avec plus d'à-propos lorsque nous saurons bien ce que c'est.
On refuse à la province le droit d'émettre sa propre monnaie ; le problème pour le technicien de l'Alberta consiste donc à trouver le moyen d'utiliser le crédit de la province sans se servir de monnaie. Entendons bien ce que signifie en réalité l'expression "crédit de la province". C'est la capacité qu'a la province de produire et de livrer des biens : produits ou services. Cette capacité, ce crédit réel est immense, et les Albertains veulent en jouir dans la mesure où ils en ont besoin. Chez eux, comme ailleurs, les banquiers privés se sont fait réserver le droit de mettre leurs propres conditions à l'utilisation du crédit réel. Ils soumettent le crédit réel, la capacité de produire et de livrer des biens, au crédit financier. Le crédit réel est immense, mais le crédit financier est restreint ; et parce que le crédit financier, qui dépend des banques, est restreint, le crédit réel, qui dépend de la Providence et du travail cérébral ou physique des hommes, se trouve paralysé.
L'Alberta veut s'affranchir de ces chaînes inhumaines, en remplaçant le crédit financier restreint des banques par un crédit provincial en rapport avec la capacité de production et les besoins des consommateurs. À cet effet, le Trésor de l'Alberta a ouvert des succursales dans les principaux centres de la province pour tenir les comptes du crédit provincial à mesure qu'il serait mis à la disposition des citoyens.
Le projet comporte l'établissement, dans la province, de trente succursales (appelées "Maisons de crédit"). Aux dernières nouvelles, il y en avait treize d'établies. Le Trésor procède avec précaution, consolidant ce qui existe avant d'aller plus loin. Outre les succursales, le Trésor place des agences dans les localités de moindre importance, à mesure des besoins.
Les succursales du Trésor ont le droit de recevoir les dépôts de toutes sortes que veulent bien y faire les citoyens : dépôts de numéraire, chèques de banque, monnaie légale ou monnaie fiduciaire de toute dénomination, ordres de transfert de crédit, etc. Tout ce que le client dépose dans la succursale constitue son compte de crédit, garanti par la capacité de la province à produire quelque chose qu'il peut obtenir avec ce crédit.
Le client peut tirer sur son compte dans les livres du Trésor de deux manières : par un ordre (semblable au chèque) payable en argent ; par un certificat de transfert de crédit, dans l'un ou l'autre cas jusqu'à concurrence du montant à son crédit.
Le certificat de transfert non négociable est la pièce caractéristique du système. Il consiste dans une formule qui donne au Trésor l'ordre de transférer du crédit du compte du signataire à un autre compte. On dira que c'est comme un chèque de banque? Oui, mais pas négociable, c'est-à-dire qu'on ne peut pas se servir d'un transfert dont on est bénéficiaire, en l'endossant en faveur d'un autre, comme on fait d'un chèque. Le certificat de transfert ne passe pas de main à main, il n'est pas négociable: pourquoi? Simplement pour ne pas tomber sous l'accusation d'être de la monnaie provinciale, inconstitutionnalité qui attirerait immédiatement le désaveu des chiens de garde d'Ottawa.
Nous donnons ci-après (page 74) une photographie de ce certificat de transfert qui, en anglais, s'appelle Non Negotiable Transfer Voucher. L'ordre de transférer du crédit provincial est donné par celui qui signe. La formule se traduirait ainsi :
PROVINCE D'ALBERTA
Succursale du Trésor
CERTIFICAT DE TRANSFERT NON NÉGOCIABLE
Compte du signataire No................ Place................., Alta
Succursale de ................................. : Date........ 19......
Transférez au compte de.........................................
la somme de...................... dollars $..........
dans les livres du Département du Trésor provincial, et chargez à mon compte.
(Signé)....................................
C'est l'essence du certificat de transfert. Dans le coin de gauche, en bas, on remarquera une comptabilité de la transaction qui a donné lieu au transfert de crédit :
Produits albertains $...........................
Autres produits $...........................
Services $............................
-------------------------
Total $..............................
On verra un peu plus loin pourquoi cette description. Le certificat porte un talon qui reste entre les mains du signataire et se compose de deux moitiés : la moitié supérieure montre l'état du crédit du client après chaque transaction ; la moitié inférieure reproduit comme ci-dessus le détail de la transaction ayant donné lieu au présent transfert de crédit.
Pour transférer du crédit dans les livres, il faut en avoir. On en obtient en y déposant de l'argent ou du crédit qu'on a déjà ailleurs. Mais on en obtient aussi en y déposant des certificats qui viennent du gouvernement en paiement de travaux ou de services rendus.
Supposons que le gouvernement d'Alberta entreprenne la construction d'une route provinciale. Il m'offre d'y travailler : je suis libre et j'accepte moyennant salaire, peut-être à $3.00 ou $4.00 par jour. Vient le jour de paie et le gouvernement me doit $30. Il peut me payer en argent ordinaire, mais, pour mettre en circulation le crédit provincial, il préfère me payer un tiers en argent et deux tiers en transfert de crédit. C'est-à-dire qu'il va me donner $10 en argent de la Banque du Canada et $20 sous forme de certificat de transfert.
Avec les $10 de monnaie ordinaire, je puis aller chez le marchand et me faire servir. Avec le $20 de certificat, je dois d'abord déposer ce certificat dans la succursale du Trésor de la localité où je réside. Que va faire le comptable de la succursale locale ? Exactement ce que prescrit le certificat :
Transférez au compte de Louis Even la somme de vingt dollars, $20.00, dans les livres du Département du Trésor provincial et chargez à mon compte.
(Signature de l'employeur, pour le gouvernement).
Mon travail m'a donc valu $10 en argent de papier et $20 en crédit provincial. Je serai satisfait si je puis utiliser mon crédit provincial au même titre que l'argent de papier.
Je m'en vais chez Monsieur Georges Messier, marchand de chaussures :
─ Combien cette paire de chaussures, Monsieur Messier ?
─ Trois dollars, monsieur.
─ Très bien. Accepteriez-vous un transfert de crédit au lieu d'argent ?
Si Monsieur Messier accepte, je prends mon livret et je remplis la formule à mon tour :
Transférez au compte de M. Georges Messier la somme de trois dollars, $3.00, dans les livres du Département du Trésor provincial, et chargez à mon compte.
(Signé). Louis Even.
M. Messier ne pourra ni endosser ni échanger ce papier, mais devra, i lui aussi, le déposer à la succursale qui tient son compte de crédit. Que fera le comptable de sa succursale ? Exactement ce que prescrit la formule. M. Messier verra son compte de crédit augmenter de trois dollars. Le certificat sera envoyé de sa succursale à la mienne et mon compte diminuera de trois dollars, mais j'aurai une paire de chaussures pour cette valeur.
Pas un sou, pas un billet de banque n'aura bougé, et cependant la marchandise sera entrée dans ma maison. M. Messier pourra à son tour remplir et signer des certificats de transfert en faveur d'un fournisseur et obtenir quelque chose en retour du crédit qu'il passera à un autre.
Quelle a été l'origine de mon crédit provincial de vingt dollars ? Mon travail qui a donné quelque chose à la province, dont bénéficient les citoyens de la province. Que me vaut ce crédit ? Des produits sortant des champs ou des usines, à la grande satisfaction des producteurs qui vont obtenir le crédit que j'ai fait naître et vont s'en servir à leur tour pour obtenir des biens. On peut ainsi construire des routes ou rendre d'autres services, tant que, quelque part, le pays peut produire et livrer quelque chose en échange de ces services. Pourquoi y mettre des restrictions ?
Le crédit provincial n'est donc autre chose que de la monnaie de comptabilité ? Pas autre chose, mais le crédit bancaire est-il autre chose ? Et si le crédit bancaire est bon, pourquoi celui de la province ne le serait-il pas ? Toute la capacité de produire des chaussures ou autres biens et services est là pour donner une valeur réelle à ce crédit ; quelle banque peut se prévaloir du même support ?
Quand je suis allé chez M. Messier pour acheter la paire de chaussures, j'ai payé en crédit provincial, en tirant un ordre de transfert de crédit, parce que M. Messier acceptait cela en place d'argent. Mais si M. Messier ne veut accepter autre chose que de l'argent, que vais-je faire ?
Si un autre marchand de la localité, vendant d'aussi bonnes chaussures au même prix, se déclare prêt à accepter des transferts de crédit, il est probable que j'irai chez lui de préférence. Sinon, je vais fournir de l'argent en tirant sur la succursale du Trésor un ordre dans la forme d'un chèque ordinaire. C'est la formule provinciale. No T.B. 10 dont voici la traduction :
(Place et date).......................... Compte No...............
Au GOUVERNEMENT DE LA PROVINCE D'ALBERTA
Succursale du Trésor à.........................................................................
Payez à l'ordre de ..............................................................................
la somme de................................................................................. /00 Dollars
(Signé).........................................
Que fait la succursale du Trésor en recevant cet ordre ? Exactement ce que la formule indique. Elle verse la somme au bénéficiaire et soustrait cette même somme du crédit du signataire. Si c'est moi, par exemple, qui donne ainsi l'ordre de payer $3.00 en argent à M. Messier, ce marchand recevra trois dollars en argent du Trésor, mais je n'aurai plus que $17, au lieu de $20, à mon crédit. J'obtiens ma paire de chaussures, mon crédit est diminué comme dans le premier cas ; mas il y a $3.00 en argent de moins dans le Trésor de la Province et $3.00 de crédit provincial de moins en circulation. Parce que le marchand a refusé d'accepter du crédit provincial, la province et les gens qui l'habitent ont fait un recul dans leur lutte contre la finance ; la griffe de celle-ci s'est raffermie d'autant.
Dans la mesure où le crédit provincial est accepté, l'argent de papier ou de métal reste dans le coffre du Trésor Provincial, le Trésor peut s'en servir pour diminuer sa dette ou pour supporter d'autre crédit provincial en paiement d'autres services publics, activant davantage la production de biens de consommation pour répondre à la demande solvable créée par ce nouveau crédit.
Dans la mesure où des gens refusent d'accepter le crédit provincial et exigent du numéraire, celui-ci sort du Trésor et le crédit provincial précédemment mis en circulation rentre dans le néant, rapprochant la collectivité de la privation en face de l'abondance possible.
Et dans quelle mesure les certificats de transfert de crédit sont-ils acceptés actuellement en Alberta ?
Le programme intérimaire n'est inauguré que depuis quelques mois. Au début, les marchands hésitèrent. À Calgary, pas un n'en voulait. Aujourd'hui, les certificats sont couramment acceptés dans plus de 3,030 places d'affaire, et le nombre des marchands qui signent avec le gouvernement la formule de contrat No C-4 augmente tous les jours.
Pourquoi le certificat de transfert de crédit gagne-t-il du terrain ? À cause des avantages qu'il procure. Disons d'abord que le certificat est accepté par le gouvernement en paiement des taxes au même titre que l'argent.
Le certificat de transfert de crédit passe aussi au compte des bénéficiaires dans les livres du département du Trésor un crédit qui, placé au compte d'épargne, rapporte intérêt plus que l'argent. Le carnet du client (pass-book) porte, imprimé sur l'intérieur du couvert, les taux suivants d'intérêts pour les comptes d'épargne (comparez avec le 11/2 pour cent que vous donne la banque sur votre compte) :
Numéraire (argent) ─
─ Dépôt pour six mois, 2% par an
─ Dépôt pour un an, 21/2% par an.
Certificats de transfert
─ Dépôt pour 6 mois, 21/2 % par an ;
─ Dépôt pour un an, 3% par an.
On voit que l'épargne placée dans les succursales du Trésor est plus productrice que dans les banques commerciales, et que les dépôts de certificats de transfert sont encore plus fructifères que les dépôts de numéraire.
Le certificat a déjà de ce fait une reconnaissance privilégiée par rapport à l'argent ordinaire, de la part du gouvernement.
Mais dans le commerce ? L'acheteur qui se sert de certificats de transfert au lieu d'argent en retire aussi du bénéfice. Lequel ?
Le gouvernement accorde au consommateur qui achète avec du crédit provincial une ristourne de 3% sur le crédit ainsi employé.
Supposons que, dans le cours d'un mois, j'achète pour $120 de marchandises. Si je paie en argent ordinaire, de métal ou de papier, j'obtiens la marchandise, et c'est tout. Si je paie avec des certificats de transfert, c'est-à-dire avec du crédit provincial, j'obtiens la même quantité de marchandises, mais le gouvernement me fait cadeau de $3.60 (3% de $120) en ristourne de crédit, dont je puis me servir à nouveau.
Il y a donc avantage à acheter avec des certificats plutôt qu'avec des pièces métalliques ou de la monnaie de papier. Aussi ne faut-il pas s'étonner que nombre de citoyens portent leur argent de métal ou de papier à la succursale du Trésor, l'y déposent et obtiennent le même montant de crédit provincial, dont ils se servent par les certificats pour obtenir une ristourne.
Mais le marchand, lui ? Qu'est-ce qui le détermine à accepter le certificat ? Simplement pour avoir la clientèle. La volonté du client compte dans le commerce. Si les clients préfèrent acheter avec du crédit provincial pour avoir la ristourne, ils vont aller de préférence chez le marchand qui accepte les certificats. Aussi ne faut-il pas s'étonner que se font chaque jour plus nombreux les marchands qui signent le contrat C-4 et obtiennent du Trésor un écusson identificateur qu'ils affichent sur leur établissement.
Nous avons sous les yeux, en écrivant ces lignes, un hebdomadaire albertain de huit pages dans lequel onze annonceurs spécifient qu'ils acceptent les certificats de transfert de crédit au même titre que l'argent : "Vouchers gladly accepted ─ Vouchers as good as cash ─ Pay by treasury vouchers, cheque or currency ─ Provincial treasury vouchers accepted same as cash ─ Treasury vouchers as good as gold..." Et cet hebdomadaire est du 2 mars. Il y a eu progrès depuis. (L'édition du 16 mars nous arrive justement avec 18 annonces dans ce cas.)
Connaissez-vous l'achat chez nous ? On le prêche dans la province de Québec, on le récompense dans l'Alberta. Une clause de la formule de contrat C-4 conditionne l'application de la ristourne de 3 pour cent sur les achats faits avec du crédit provincial. Pour que la ristourne porte sur le plein montant des achats ainsi faits, il faut que le tiers au moins de ces achats soit des produits fabriqués en Alberta.
Dans l'exemple ci-dessus, où j'achète pour $120 avec des certificats de transfert, il faut qu'au moins $40 soient des achats de prođuits albertains si je veux avoir la pleine ristourne de $3.60. Si mes achats ne comportent que $25 de produits albertains, ma ristourne ne s'appliquera que sur trois fois $25, soit sur $75 ; elle sera seulement de $2.25.
C'est pour permettre au comptable provincial de calculer la ristourne redevable à chacun que le certificat de transfert porte en bas, à gauche, la description de l'achat. Comme ces certificats ne sont pas négociables, mais doivent être remplis pour chaque achat, le comptable a en main le rapport complet pour tous les achats faits avec du crédit provincial.
Pour avoir le maximum de ristourne, l'acheteur réclame le plus possible de la marchandise faite en Alberta, quand elle est aussi bonne pour le même prix. Le marchand, à son tour, est obligé de commander les produits des fournisseurs albertains. On comprend l'activité qui en découle dans la province.
Nos fabricants de chaussures de l'Est ont bien remarqué que les commandes albertaines ont diminué ; pourtant les Albertains ne sont pas plus mal chaussés, mais ils ont multiplié leurs établissements de tannerie et de fabrication de chaussure. Pour la même raison, les champs de betteraves à sucre et les raffineries se développent, et aujourd'hui l'Alberta peut produire assez de sucre pour sa population et la moitié de celle de la Saskatchewan.
Ce développement de l'industrie dans la province a bien aussi comme résultat de garder l'argent, le numéraire, dans la province, et il prend vite le chemin du Trésor qui peut alors augmenter son émission de crédit provincial. Car il ne faut pas oublier que la province ne peut imprimer du numéraire : force lui est de limiter le crédit qu'elle pourrait placer à la disposition de ses citoyens au numéraire qu'elle peut obtenir. C'est ce qui fait que le programme intérimaire n'a pas l'amplitude qu'aurait le crédit social proprement dit dans un pays souverain. Mais il nous donne tout de même une idée de ce que sera l'application intégrale du Crédit Social, sans les entraves des forcenés qui imposent des limites à la distribution des biens.
En janvier, le leader conservateur du Sénat, l'honorable Arthur Meighen, parlant à la Chambre Haute, disait que "l'Alberta est la province la plus en argent." Il se hâtait d'ajouter qu'il n'en donnait pas crédit au gouvernement d'Edmonton, car il n'admet pas les théories créditistes, mais il s'est bien gardé d'expliquer pourquoi l'Alberta est la province la plus en argent.
M. Meighen constatait un fait : il y a plus de pouvoir d'achat en Alberta que dans les autres provinces. La prospérité d'un pays ne se mesure pas par les hausses ou les baisses des valeurs de la Bourse ; ni non plus, quoi qu'on nous dise, par le chiffre des exportations et des importations ; mais plutôt par l'entrée des biens dans les maisons. Que nous importe que des marchandises canadiennes trouvent un nouveau marché en Turquie ou au Chili, si pendant ce temps les femmes et les hommes du Canada doivent s'en priver ? Le meilleur baromètre de la prospérité est peut-être le chiffre des ventes dans le marché de détail. Or que constate-t-on ?
À l'automne dernier, les ventes en détail avaient diminué, comparativement à celles de l'automne précédent, dans toutes les provinces du Canada excepté une. On attribuait cette diminution à une recrudescence de la crise (les pantins de l'économie ont baptisé cela "régression"). Cette diminution du commerce de détail se chiffrait (statistiques d'octobre) à 5 pour cent dans la Colombie-Britannique, à 6 pour cent dans la Saskatchewan, 7 pour cent dans le Québec, 14 pour cent dans les Maritimes, 14 pour cent dans l'Ontario, 17 pour cent au Manitoba. Dans l'Alberta, au contraire, il y avait augmentation de 6 pour cent. Pas trop mal pour un pays d'utopistes !
D'autres préfèrent juger de l'activité d'un pays par la construction, "Quand le bâtiment marche, tout marche". Or, c'est l'Alberta qui tient la tête pour l'industrie de la construction, avec la ville d'Edmonton au premier rang de toutes les villes canadiennes.
Veut-on, en bon touriste, juger de la province par ses routes ? L'Alberta a développé et amélioré son réseau routier pour une valeur de 12 millions de dollars en trois ans, et pas un sou de cet argent n'a été emprunté. Nous n'avons pas l'intention de relier ce fait au programme intérimaire, puisque celui-ci ne date que de quelques mois ; mais il est bon, en passant, de souligner que tout n'est pas fiasco dans la grande lutte entreprise par la province des créditistes pour se débarrasser des griffes de la finance. Le Programme Intérimaire vient donner des ailes aux entreprises publiques et sociales du gouvernement.
La législation de l'Alberta est continuellement inspirée par la protection à garantir aux citoyens de la province, par la sauvegarde de leurs fermes et de leurs maisons. Ça peut ne pas toujours plaire à ceux qui sont habitués à placer les millions avant le capital humain.
Le gouvernement d'Edmonton surveille l'exploitation rationnelle des ressources naturelles. Il soustrait aux gros spéculateurs de ses forêts de vastes étendues qu'il place à la disposition de ses colons et de ses petits industriels.
S'il protège son domaine public, il protège aussi la propriété privée des citoyens de la province contre la tyrannie et les exactions des corporations financières. C'est cela qui scandalise nos putois. La législation à cet effet comprend :
a) La loi d'ajustement des dettes ; b) La loi de la sécurité des demeures ; c) La loi de la limitation des actions en cours ; d) Le moratoire, au cas où l'une des précédentes lois serait déclarée illégale (La loi c) vient justement d'être désavouée par Ottawa.)
C'est à l'occasion du désaveu de la loi c) que le journal "Le Canada", en bon chat qui miaule quand le financier lui presse sur la queue, écrit que le premier-ministre William Aberhart est un homme nuisible qu'il faut enfermer ou un fou qu'il faut interner. Est-ce parce qu'il place les hommes au-dessus de l'argent ? On est tellement habitué au contraire.
Le gouvernement d'Edmonton n'est pas moins attentif à la protection et à l'amélioration du capital humain. Il a inauguré un service sanitaire provincial, procurant gratuitement les soins médicaux et l'hospitalisation aux personnes affectées de la tuberculose, établissant des cliniques permanentes, fournissant un traitement gratuit aux malades atteints de la paralysie infantile, prenant soin des personnes que cette maladie a laissées dans l'impossibilité de gagner leur vie. En collaboration avec le gouvernement fédéral, il paie une pension aux aveugles et aide les mères nécessiteuses.
La législation passée par le gouvernement d'Aberhart a établi de grandes unités scolaires et le système s'étend rapidement. Les facilités d'enseignement supérieur et d'éducation avancée sont maintenant à la portée de tous les garçons et de toutes les filles de la province.
Le gouvernement d'Aberhart, qui a dû faire face à tant d'opposition de la part de puissants intérêts privés et de la part d'Ottawa, est-il découragé, las de la lutte, et désespère-t-il du succès ?
Voici ce qu'en pense le premier-ministre albertain lui-même, ce William Aberhart que le petit journaliste de la rue St-Jacques de Montréal n'a pas encore réussi à faire enfermer ni interner :
"Si les plans et propositions que nous avons en vue se cristallisent, comme j'ai tout lieu de croire, notre peuple verra en Alberta, au cours des cinq prochaines années, le développement le plus phénoménal dont le Canada fut jamais témoin.
"Pendant les années d'inauguration, de 1936 à 1938, la province a été graduellement mise sur pied, de façon à pouvoir tenir solidement sur son propre terrain. Il ne nous faut plus qu'une autre période d'organisation pour montrer indiscutablement l'efficacité de notre politique. J'ose dire que, dans cinq ans, sous la direction d'une administration habile, nous pourrons nous vanter de douze grandes œuvres :
"1. Les plus belles routes du Canada. Les trois dernières années sont déjà là pour le prouver : tout le monde l'admet.
"2. Un développement immense, mais protégé, de nos champs pétroliers, avec des conduits livrant l'huile à Fort William pour l'est et à la côte du Pacifique pour le commerce extérieur. C'est un programme d'envergure.
"3. Le meilleur système d'écoles et d'éducation au Canada. Chances égales pour les écoliers des villes et ceux des campagnes. À présent, il nous reste encore quelques obstacles à renverser, puis vous verrez les résultats.
"4. Un service de santé d'état, ─ fait déjà accompli, ou presque. Les gens auront au moins la possibilité de s'assurer des soins médicaux et l'hospitalisation en cas de besoin.
"5. Le meilleur service de vente et de distribution de nos biens qui existe dans le monde entier.
"6. Une grande réduction des taxes.
"7. Un système de succursales du Trésor fournissant à notre population un mécanisme d'émission de crédit en rapport avec les besoins du pays.
"8. Des salaires et des conditions de travail très améliorés et satisfaisants pour tous.
"9. Un grand nombre de dettes trop lourdes ajustées par notre office de rajustement des dettes.
"10. Nous espérons pouvoir convertir notre dette entière à un taux d'intérêt plus bas, permettant d'en rencontrer les obligations.
"11. Agrandissement de la province, en y incorporant les Territoires du Nord-Ouest situés au nord du 60e parallèle et à l'ouest du 4e méridien, avec une bonne artère routière dans ce vaste territoire pour donner accès à ses richesses.
"12. Des accords commerciaux avec les pays extérieurs qui ont besoin de nos surplus et qui fournissent des produits dont nous avons besoin."
Comme il s'agit ici de perspectives d'avenir, on reste libre d'en penser ce qu'on voudra ; mais pour l'observateur attentif, le gouvernement d'Edmonton ne semble guère disposé à hisser le drapeau blanc. Il a tout un peuple renseigné derrière lui : n'oublions pas ça.
Dans son édition du 28 janvier dernier, le "Droit" d'Ottawa commente un article récent du R. P. M.-V. Masson, dominicain — "La philosophie devant les microbes". Le Père indique les trois grandes causes à l'origine du terrible mal qui fauche tant de vies et en menace tant d'autres dans la province de Québec : le taudis, l'alimentation mauvaise ou insuffisante, le surmenage.
Pourquoi ces trois causes existent-elles ? Pourquoi, selon l'expression de M. Henri Lessard, du journal cité, "les conditions générales d'existence sont-elles devenues plus difficiles, précaires et pénibles qu'autrefois" ? D'après un récent rapport du Bureau International du Travail, les conditions de vie sont, pour les trois-quarts de la population du globe, inférieures à ce qu'elles devraient être à notre époque de civilisation. Pourquoi ? Si les possibilités physiques sont immenses, pratiquement illimitées, pourquoi les possibilités financières sont-elles restreintes ?