Pas d'argent - Rév 1

le dimanche, 01 mai 1938. Dans Cahiers du Crédit Social

Ces deux mots ne sont nouveaux pour personne. Pas d'argent dans le public, pas d'argent dans le trésor municipal. Les provinces ne savent plus où taxer pour trouver des fonds. Le fédéral lui-même se déclare impuissant à rencontrer tous les besoins.

Des centaines de mille travailleurs sont sur le pavé. D'autres n'ont d'emploi que la moitié ou le tiers du temps régulier, et combien parmi les mieux favorisés du sort touchent des salaires de simple subsistance !

Siècle de lumière, siècle de machine, siècle de progrès !

Les souffrances, la privation, le souci, l'inquiétude du lendemain, le mécontentement, la défiance se lisent sur les fronts. Qu'y a-t-il donc ? Guerre ? Famine ? Disette ? Tremblement de terre !

La terre ne produit-elle plus ? Les usines ne peuvent-elles plus obtenir de matière première, ou de force motrice ? Les mines sont-elles épuisées ? Nos forces hydrauliques disparues ? Nos rivières desséchées ? Où est-ce la main d'œuvre qui fait défaut ? Mais ils sont des centaines de mille qui frappent aux portes des chefs d'industrie et demandent la permission de gagner leur pain à la sueur de leur front ! Et les portes restent closes : nous ne pouvons vous employer, parce que nous ne pouvons vendre nos produits, le consommateur n'a pas d'argent. Pas d'argent !

Qui osera dire : "Pas de produits ! Vous, mère de famille, si vous avez donné la dernière demi-ration à vos chers enfants ce matin et que vous êtes vous-même restée à jeun, c'est que le Canada n'a plus de blé, ou que le meunier ne trouve plus d'employé, ou que le boulanger ne veut plus travailler !" Pareil langage ferait hausser les épaules ou lever le poing. Ou qui, en voyant passer ces enfants et ces adultes aux chaussures plus qu'usées, aux vêtements de misère, blâmera nos éleveurs, nos tanneries, nos filatures, nos confections ? Considérez maintenant les taudis qui stigmatisent nos villes : où donc sont les maçons, les charpentiers, les peintres ? Mais eux-mêmes logent dans ces taudis ; leurs bras sont liés, non pas faute de ciment, de bois ou de peinture, mais faute d'argent !

Nous pourrions nous étendre sur toute la ligne, sortir aussi du simple domaine du vivre et du couvert, parler des malades qui gardent leurs souffrances quand des médecins capables de soigner doivent eux-mêmes recourir à la charité publique, faute de clientèle ; entrer dans le champ de l'instruction, où des personnes compétentes, de l'un et l'autre sexe, sont prêtes à dispenser l'enseignement, où ceux qui désirent en bénéficier ne manquent pas, mais où élèves et professeurs, tout comme auteurs et imprimeurs de manuels, se heurtent toujours au même obstacle : pas d'argent !

Se nourrit-on d'argent ? S'habille-t-on d'argent ? L'argent préserve-t-il de la chaleur et du froid ? Traite-t-on les malades avec l'argent ? Est-ce l'argent qui instruit les ignorants et forme des spécialistes ? L'argent est-il une richesse ? (Le mot argent, ici, est évidemment employé dans son sens général ; il ne s'agit pas seulement du métal blanc, mais de tout ce qui sert de monnaie.)

Si la monnaie n'est pas la richesse, mais un simple moyen de la distribuer, va-t-on soutenir qu'elle remplit son rôle aujourd'hui ?

La monnaie ne remplit pas son rôle, parce qu'on en a fait la maîtresse de l'homme. Au lieu d'adapter la monnaie aux besoins des hommes, on plie les hommes aux exigences de la situation monétaire, et celle-ci est commandée par quelques hommes, par une poignée de profiteurs.

Pas d'argent ! Qu'y peut-on, vont demander ceux qui n'ont pas encore eu l'occasion de se mettre au courant de la question monétaire. Si l'argent manque, ne faut-il pas subir ce manque d'argent ?

L'argent n'est pas une récolte qui dépend de la température ou de la volonté du Ciel. La monnaie n'existait pas quand l'homme est sorti du Paradis terrestre. Ce n'est pas un ange qui a apporté sur la terre une certaine quantité de monnaie, dont nous devions nous contenter, incapables d'y rien changer. La monnaie est une chose faite par des hommes. S'il y avait plus de monnaie en 1929, dans tous les pays du monde, qu'en 1932 ; s'il y en a plus en 1938 qu'en 1933, c'est que des hommes font et détruisent la monnaie. Le mal est qu'ils le font à l'envers des besoins. On a de la monnaie pour détruire en temps de guerre, on n'en a pas pour sortir le monde de la misère en face d'une abondance de biens.

Il est temps de lever le voile de mystère que les intéressés se sont évertués à maintenir sur ce qui concerne la monnaie. C'est par l'ignorance qu'on entretient l'exploitation.

Dénonçons bien haut les sinistres farceurs qui s'obstinent à maintenir la monnaie rare ou absente lorsqu'il en faudrait un flot continuel entre les mains des consommateurs pour acheter le flot continuel de marchandises que la production place devant eux.

L'argent n'est pas la richesse. Ce sont les biens, les denrées, les services qui sont la richesse. Mais la richesse ne s'écoule, ne passe dans les maisons, dans les garde-robes, sur les tables, que s'il y a de l'argent en face de cette richesse. Or, aujourd'hui, la richesse abonde ou peut abonder, mais l'argent manque et l'abondance périt ou avorte. Les hommes souffrent sans aucune justification. C'est le crime de l'heure.

Ce sont les réflexions que fait Henry Ford, qui n'est pourtant pas un rêveur :

"La monnaie n'est pas la richesse ; la richesse est ce que la monnaie achète. Mais tout cela a été tourné sens dessus dessous. Le système actuel nous a entortillés pour nous faire produire des biens pour acheter des dollars, alors que ce qu'il nous faut, c'est un système monétaire qui produise des dollars pour acheter des biens. Sous le système actuel, c'est la queue qui remue le chien. La monnaie n'est qu'une partie du système de transport de la société, pour passer les biens d'un homme à un autre ; ce système est si souvent en panne, qu'il est grand temps pour nos ingénieurs financiers de produire un meilleur modèle."

"Le système monétaire actuel, tel que géré par ceux qui le manipulent pour leur profit est complètement suranné et, en grande partie, responsable des arrêts périodiques dans les affaires. C'est un système qui cherche à contrôler le travail, qui veut contrôler le gouvernement, la finance, l'alimentation, l'industrie et même les écoles. Il manifeste une avarice qui veut tout contrôler.

"Voici une nation qui pourrait être la plus riche au monde, alors qu'on n'a assez de rien, parce qu'il n'y a pas assez de production réalisée. Les besoins sont là ; la capacité de produire est là ; l'arrêt est dans le système qui place les profits avant la production — et c'est le système monétaire."

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