Où Cela Pousse-t-il, M.Lapointe?

le mercredi, 01 décembre 1937. Dans Cahiers du Crédit Social

Au cours de son discours électoral irradié de Saint-Flavien de Lotbinière, le 7 décembre, le ministre de la Justice, l’Honorable M. Lapointe, faisant allusion au Crédit Social, disait : Je ne croyais pas...que cette graine-là pouvait croître ailleurs qu'en Alberta. Un peu plus loin, il remarquait : La dictature n'est pas un système canadien, c'est un système étranger; vous direz ça à Monsieur Even.

Dans cette même allocution, il nous apprenait que le Canada, produit dix fois plus qu'il consomme et que, pour pouvoir consommer le dixième de ce que nous produisons, il faut réussir à passer les neuf autres dixièmes à l'étranger. Que diriez-vous d'un ouvrier qui gagne dix dollars, mais qui n'aura le droit d'en dépenser qu'un seul, et encore à la condition qu'il passe les neuf autres à l'étranger ? N'est-ce pas là une dictature révoltante et où pousse-t-elle, Monsieur Lapointe ?

Le Ministre de la Justice nous dit que le revenu du Canada a augmenté de 40 pour cent sur 1935. Nous pensons que le Canada se compose des Canadiens : combien des onze millions de Canadiens ont eu en 1937 un revenu de 40 pour cent plus élevé qu'en 1935 ? Où donc est allée l'augmentation ? À l'équilibre du budget ? À la dictature qui réclame sa livre de chair ? Cette dictature-là ne pousse pas au Canada, Monsieur Lapointe ?

Le ministre dit — et nous sommes de son avis là-dessus — que le communisme naît dans les périodes de trouble comme les insectes naissent dans les marais ; puis, la religion du parti gonflant son encolure, il s'écrie : "Lorsque le gouvernement libéral aura complètement ramené la prospérité et desséché les marais, le communisme cessera de lui-même..." Mais qui donc était au pouvoir quand on est entré dans le marais. ? Oh ! nous ne voulons pas dire que les pilotes politiques du temps ont conduit le Canada dans le marais. Tous les pays y sont allés en même temps, car il y a une autre force qui mène — pas dictature, celle-là, Monsieur Lapointę ?

Dans un beau geste partisan, le bras droit du grand-chef libéral, nous dit qu'il est une insulte qu'il ne peut pardonner : c'est l'insulte à l'adresse de M. King : Ceux qui lancent l'injure à des hommes comme Monsieur King sont des malfaiteurs publics. Alors que penser de ceux qui ont baillonné et ligoté Monsieur King ? Il n'y a pas si longtemps que King se faisait applaudir de tout le Canada quand il promettait solennellement de remettre au gouvernement le contrôle de la monnaie et du crédit, parce que, ajoutait-il, tant que ce contrôle reste entre les mains de quelques profiteurs, il est inutile de parler de démocratie et d'avoir un parlement. Les malfaiteurs qui ont bousculé votre chef au pôle opposé, où il championne aujourd'hui les maîtres de la monnaie et du crédit, poussent-ils au... Canada, Monsieur Lapointe ?

Si la démocratie consiste dans l'accomplissement de la volonté clairement exprimée par le peuple, et si la dictature consiste à imposer au peuple des choses qu'il ne veut pas, par exemple à le tenir dans la pauvreté en face de l'abondance qui l'invite, est-ce que la démocratie ne s'affirme pas en Alberta, et la dictature à Ottawa, Monsieur Lapointe ? Et n'est-ce pas la dictature, promptement servie par le cabinet dont vous faites partie, qui veut étouffer la volonté du peuple albertain, Monsieur Lapointe ?

Quand d'un même trait, on vient nous dire que le Canada produit dix fois plus qu'il consomme et qu'il y a quand même un demi-million de Canadiens qui ne peuvent vivre qu'en enlevant du pouvoir d'achat aux autres, c'est à se demander si celui qui parle ainsi est un farceur ou un toqué. Sont-ce des farceurs ou des toqués qui poussent parmi les politiciens de carrière au Canada, Monsieur Lapointe ?

"À Dieu plût que la dictature ne fût qu'un système étranger, mais elle joue du glaive à chaque pas au Canada comme ailleurs. Nous voudrions que le ministre de la Justice fût aussi démocrate que nous ; comme il ne manque pas d'esprit, il y arrivera peut-être en perdant du rouge et en cultivant la graine du Crédit Social.


Si vous avez l'imprudence de nommer certains hommes publics en les qualifiant de "bankers', toadies", vous méritez six mois de travaux forcés. Mais si vous défendez les intérêts de l'argent, allez-y, appelez les individus aux armes contre ceux qui veulent diminuer les salaires à l'argent ; vous aurez simplement répété l'appel de Kenneth R. Wilson, interprétant à la radio l'association des compagnies d'assurance-vie du Canada. Ou bien, avec Arthur P. Earle, président de la Montreal Life Insurance Co., demandez le peloton d'exécution pour ceux qui réclament pour le peuple appauvri le droit à l'existence :

"Je soutiens que la réduction forcée de l'intérêt des prêts sur hypothèques n'est pas nécessaire. Ceux qui la réclament le plus fort sont des démagogues qui cageolent la faveur du public pour leur candidature à des fonctions publiques. Le démagogue est un animal dangereux, une menace pour son pays, l'ennemi public No 1. Mon point de vue est que les démagogues devraient être saisis et fusillés au lever du jour.".

Vraiment, nous n'avons plus de peine à croire que les financiers aient comploté l'assassinat du "démagogue” Abraham Lincoln. Pour nous, moins véhéments, nous ne souhaitons pas une fin si péremptoire à ceux que nous combattons ; pas même le poison à vermine, qui leur conviendrait beaucoup mieux. Nous désirons plutôt les voir couler de longs jours dans un monde devenu plus habitable après s'être débarrassé de leur contrôle.

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