On dirait que pour les croisés de la civilisation, celle-ci n'est en danger que depuis le mois de septembre 1939.
Les masses du peuple peuvent être piétinées, réduites à l'indigence au milieu des richesses de leur propre pays ; la jeunesse peut se voir acculée à l'oisiveté prolongée pendant toute une décade ; l'établissement de foyers peut être rendu impossible ; les talents, être condamnés à la paralysie, les initiatives à l'inertie, pas en Allemagne, pas au pays de Hitler, mais bel et bien chez nous, au Canada, comme d'ailleurs dans les autres nobles démocraties. La civilisation n'est pas en danger ! Les gouvernements se succèdent et n'y font rien.
Mais voici que la guerre éclate entre deux peuples : l'un qu'on dit aspirer à la domination universelle, l'autre bien décidé à garder la domination acquise. Tout de suite la civilisation devient menacée et les insouciants d'hier s'arment chevaliers de chrétienté.
Un premier ministre qui sommeillait au gouvernail depuis quatre ans découvre soudain, et proclame en plein Parlement, que la lutte est engagée entre le bien et le mal. Nous croyions que cette lutte datait de la révolte de Lucifer et, plus précisément sur notre planète, du péché de notre premier père.
Que non. La civilisation, la chrétienté sont en péril depuis septembre 1939. Et les chrétiens, les civilisés sont tous du même côté ; les suppôts de Satan et les ennemis de la civilisation, tous de l'autre. Heureusement que nous sommes du bon bord : cela couvre la multitude de nos bêtises et nous permet de les continuer avec une conscience paisible.