Les héritiers

Louis Even le vendredi, 01 janvier 1937. Dans Janvier

Et qui sont les héritiers ?

Quel homme, sur la terre aujourd'hui, peut se réclamer de l'héritage exclusif de l'invention de la roue ? On ne connaît même pas le nom de son inventeur. Mais supprimez donc la roue et vous verrez quelle paralysie dans tous les domaines de l'agriculture, du commerce et de l'industrie.

Et qui peut se réclamer de l'héritage des inventions de toutes sortes à travers les siècles ? Les inventeurs n'ont pas fait le testament de leur découverte. Je ne sache pas que Sir Herbert Holt, par exemple, soit, plus que vous ou moi, l'héritier des découvertes de Volta, d'Ampère et de Faraday.

Les savants et inventeurs eux-mêmes héritaient d'ailleurs des connaissances léguées par leurs devanciers. Ils ne sont pas partis de zéro. Si donc aujourd'hui, les machines et les procédés scientifiques permettent en maints cas de se dispenser de l'ouvrier ou de diminuer ses chances d'emploi, tout en augmentant les produits, est-ce que seul un petit groupe doive avoir accès à cette abondance de produits ?

L'héritage, l'actif culturel accumulé par les générations appartient à la société organisée. L'augmentation de production, rendue possible par l'actif culturel, appartient à la société organisée, à personne en particulier, mais à chaque membre de la société.

Lorsque le propriétaire de la matière première fournie à l'industrie a été payé pour la valeur de son produit, lorsque le capital placé dans l'industrie a reçu sa récompense équitable, lorsque l'ouvrier a reçu un salaire raisonnable, il manque encore beaucoup au pouvoir d'achat total pour acheter la production totale, parce que l'actif culturel est entré pour beaucoup dans cette production et vous n'avez rien donné à ceux qui ont fourni cet actif culturel, aux membres de la société organisée.

Nul ne peut légitimement s'approprier les fruits de l'actif culturel. Le financier sans scrupule, constatant le surplus de la production moderne a bien voulu se les accaparer et y a réussi partiellement par le gonflement du chiffre de son capital. La surcapitalisation fictive représente une partie de l'héritage volé aux héritiers. La production sabotée ou délibérément restreinte représente l'héritage refusé aux héritiers et demeuré inerte.

C'est le revenu de cet héritage que le Crédit Social veut distribuer à tous les membres de la société, sous le nom de dividende national. C'est un dividende parce qu'il correspond à des surplus. L'entreprise qui a des surplus de revenus ne déclare pas crise, mais répartit les surplus entre ses actionnaires. Si l'agriculture et l'industrie canadiennes ont des surplus, pourquoi ne pas en faire bénéficier les sociétaires, tous les Canadiens à titre de membres d'une société organisée ?

Qu'on ne voie pas dans cette théorie l'ombre de communisme ou de socialisme. L'industrie privée demeure. La propriété privée demeure. Le propriétaire continue de retirer la pleine valeur de son bien. Le capital privé réellement placé continue de commander des dividendes raisonnables. Le travail continue de retirer son salaire. Ce sont les SURPLUS qu'on distribue par le dividende. Et qui contestera l'existence de ces surplus ?

Tous, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, employés ou non employés, malades ou en santé, ont droit égal à ce dividende, parce qu'il n'est gagné par personne en particulier, parce que tous les contributeurs directs à la production ont d'abord touché leur récompense, parce que les surplus sont le seul fait de l'actif culturel. C'est la propriété commune de tout le monde. Si vous l'accordez à quelques-uns plus qu'à d'autres, vous favorisez un héritier plus que l'autre. Si vous ne l'accordez à personne, vous laissez la production se gaspiller ou se restreindre en face des besoins criants, vous avez l'injustifiable situation de la misère au sein de l'abondance.

Refusez-vous le dividende sous prétexte que seul le travail doive tirer une récompense ? Vous reconnaissez pourtant à celui qui hérite de $1000 de ses parents le droit d'en jouir : est-ce lui qui a gagné ces $1000 ?

Nierez-vous qu'il existe un héritage ? Que constituent donc ces biens accumulés dans les entrepôts et sur les étagères ? Et ces autres produits encore plus considérables qui surgiraient si vous laissiez tourner les machines et travailler cette armée d'hommes sains de corps et d'esprit dont l'inactivité forcée et démoralisatrice stigmatise le système économique actuel ?

Et s'il existe un héritage, il existe des héritiers. Si cet héritage est un surplus de production sur la valeur représentée par la monnaie distribuée à ceux qui ont participé à cette production, le simple bon sens commande de distribuer les titres à ce surplus, au lieu de le retrancher par le gaspillage ou le chômage de l'industrie.

— Mais c'est donner quelque chose pour rien ?

— Non, c'est donner des titres à la richesse pour distribuer une richesse qui existe. C'est accorder aux sociétaires un dividende sur le capital accumulé par leurs pères et qu'eux-mêmes vont continuer de grossir en faveur de leurs fils.

Nous voilà loin du système menteur et stupide qui opère de façon que plus la civilisation se développe et progresse, plus les citoyens des pays civilisés doivent hériter de dettes envers la petite aristocratie des voleurs de leur crédit social.

Louis Even

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