Ce serait se tromper grossièrement que croire le mouvement communiste au Canada conduit par des imbéciles, par des aventuriers paresseux qui attendent langoureusement l'heure de prendre le pouvoir.
Les chefs communistes sont gens intelligents, laborieux et zélés. Ils savent que, si l'exécution d'un coup d'état ne prend qu'une couple d'heures, la préparation en est autrement longue. Ils savent aussi inculquer à chacun de leurs suivants le sens du travail et du sacrifice.
De ce côté, les communistes et leurs dirigeants donnent une magnifique leçon à la grande masse apathique qui s'appelle catholique dans la province de Québec et à ses petits rêveurs qui, se croyant capables de chausser les bottes de Napoléon ou de Hitler, sans le génie et le labeur ni de l'un ni de l'autre, font consister l'ordre nouveau dans la simple installation de leur personne à la tête de la même populace ignorante et abrutie.
Les communistes étudient les problèmes canadiens et, si la solution qu'ils présentent est faussée par leur conception erronée de la personne humaine, au moins ils ne ferment pas les yeux sur les conditions impossibles faites actuellement au peuple et ils savent rencontrer ce dernier.
Tim Buck disait à la huitième convention du parti communiste canadien à Toronto, le 8 octobre 1937 :
"Notre pays est en face d'un problème : c'est l'épreuve de la démocratie. Le conflit entre les intérêts de la classe privilégiée et les besoins de notre peuple est le facteur dominant de notre vie politique. La question du jour devient : "Le peuple a-t-il le droit de réclamer sa sécurité économique ? Le gouvernement doit-il servir le peuple ou la démocratie ?"
Ce sont là des questions que nous posons nous-mêmes, et ce n'est pas en les ignorant qu'on corrigera le mal qui les fait naître. Ce n'est pas en laissant continuer l'exploitation de la masse par quelques-uns, sous prétexte de respecter l'ordre établi, qu'on empêchera l'idée communiste de faire son chemin.
Le discours de Tim Buck couvre quarante pages dactylographiées, de 37 lignes chacune. Il prendrait neuf pleines pages de notre journal. Nous n'avons aucunement l'intention de le reproduire, pas même de l'analyser systématiquement, mais d'en parler un peu et d'en tirer des leçons.
Notre première impression à la lecture de ce discours, c'est que Tim Buck sait de quoi il parle, mais qu'il ignore, ou semble ne pas évaluer, le rôle que joue la fabrication et la destruction de l'argent dans le déséquilibre qu'il dénonce entre les prix des produits et le pouvoir d'achat du peuple.
Un communiste de bonne foi qui étudierait le Crédit Social, avec quelques notions chrétiennes de la personne humaine, cesserait d'être communiste.
Prenez, par exemple, ce tableau de la situation dressé par Tim Buck :
"Après sept années de crise, l'industrie a rejoint ses plus hauts sommets. Les profits ont atteint les niveaux élevés de 1929, mais les salaires, en général, sont encore au bas où ils furent réduits durant les années de crise. Les exportations sont plus fortes que jamais, mais l'agriculture est encore dans une profonde dépression et des centaines de mille fermiers dans la misère. Le fardeau des dettes et des taxes augmente, tandis que le revenu du peuple est nul. Les prix haussent régulièrement, tandis que le pouvoir d'achat du peuple diminue constamment.
"Le peuple veut continuer sur le chemin de la démocratie, vers un standard de vie plus élevé ; vers le travail, mais aussi vers de meilleurs salaires ; vers des prix plus élevés pour les produits de l'agriculture, avec un avenir pour la jeunesse, la sécurité et le confort pour les vieux, en un mot vers une vie nouvelle et libre."
Remarquez comment le communiste ne voit pas d'autre source de revenu que le travail salarié. Il attaque le profit et ne reconnaît de récompense qu'au travail. Se plaignant des prix élevés, il réclame de plus gros salaires, sans s'arrêter à la déduction que l'augmentation des salaires va hausser les prix de vente.
Le communiste ne paraît pas avoir compris l'avènement de l'abondance. Il veut répartir la rareté en ôtant aux profits pour ajouter aux salaires, en ôtant à ceux qui vivent bien pour donner à ceux qui crèvent. S'il n'y avait pas d'autre solution sociale, on pourrait incliner vers celle-là, vu que la charité privée ne suffit plus dans un monde où les fortunés sont devenus rares et les nécessiteux nombreux.
Le créditiste, mieux avisé, préfère à la répartition de la rareté la distribution de l'abondance qui n'attend que l'argent. Le dividende tuera le communisme parce qu'il ajoutera au pouvoir d'achat sans augmenter les prix ; parce qu'une fois l'abondance potentielle distribuée, qui s'acharnera encore à la répartition de la rareté ?
Si Tim Buck était conséquent avec lui-même, il comprendrait l'impossibilité de régler le problème par le travail et les salaires, puisqu'il constate que :
"Quoique des centaines de mille soient encore sans emploi, quoique des dizaines de mille fermiers soient dans la misère, la production augmente par sauts et par bonds. Quoique 932,000 personnes soient encore sous le secours direct, la production de plusieurs denrées pour juin (1937) excède la moyenne mensuelle de 1929."
Et il cite des exemples dans diverses industries, parce qu'il est renseigné. Au lieu de conclure que les machines font l'ouvrage des hommes, et qu'il faut donner des dividendes aux hommes pour consommer les produits de la machine, il continue à exiger des salaires plus gros, sans songer au nombre toujours croissant des non salariés dans un monde mécanisé. Il réclame plus d'emploi, sans conclure que l'augmentation des employés va augmenter la production invendable, puisque les prix englobent au moins les sadaires.
Nous lisions récemment dans un article de "Temps Présent, Paris" que quiconque ignore la question monétaire ne saisit pas la cause des désordres de l'économie et ne peut que souscrire aux dénonciations des communistes contre les conducteurs de l'industrie. Il appelait le système bancaire du pro-communisme. Il avait raison.
Tim Buck demande aux fermiers et aux ouvriers de s'unir contre les classes privilégiées. Il a une manière assez remarquable de leur faire appel pour former un front politique ouvrier-paysan. Il se base sur une prémisse vraie : les deux partis actuels sont pratiquement unis par les mêmes maîtres (la finance), donc il faut unir les victimes contre eux :
"Le programme réel des conservateurs — distinct de leur démagogie — est basé simplement sur les intérêts du capital monopole. Comme il en est de même pour les libéraux, la logique de la situation, crée, malgré les apparences, une coopération entre ces deux partis. D'où un développement logique en créant un parti ouvrier-fermier."
Le parti ouvrier-paysan, ce sera évidemment, pour Tim Buck, le parti communiste, basé sur une lutte de classes. Combien différent le créditiste qui, lui, ne croit plus aux partis qui divisent et montent les hommes les uns contre les autres, mais à une coopération de tous, autour d'un objectif commun, pour se débarrasser du système qui opprime la multitude, pas seulement la classe ouvrière et la classe paysanne !
Tim Buck voudrait voir tous les mécontents du régime actuel entrer sous la bannière communiste. Il trouve particulièrement que les C. C. F. devraient joindre leur action à celle des communistes purs :
"Nous appuyons sur l'importance d'une action unifiée entre nous-mêmes et la C. C. F., parce que cela voudrait dire un pas en avant vers un large front du peuple. Nous ne croyons pas que cela suffise pour régler tous les problèmes (le communisme, en effet, va beaucoup plus loin), mais l'unité d'action renforcirait la puissance de tout le monde des travailleurs pour prendre occasion de ce que la vie nous offre. L'unité d'action entre le parti communiste et la C. C. F. est absolument essentielle dans l'unification de mouvement des travailleurs et, par conséquent, un élément indispensable dans la construction d'un front populaire."
Ajoutons que Tim Buck convie à la formation du front populaire toutes les "forces démocratiques qui cherchent une amélioration sociale". Tim Buck, devenu pape de la démocratie canadienne, accueillerait sous sa juridiction, outre les C. C. F., le groupe Crédit-Social, les disciples de Stevens (Reconstruction Nationale), les Fermiers-Unis, les unions syndicales (même celles qui sont affiliées à la Confédération des Travailleurs Catholiques), les organisations de C. I. O. (Lewis), les partisans de Herridge, voire même le Parti National du Docteur Hamel. Malgré les tendances fascistes du parti Hamel, dit Tim Buck, sa lutte contre les trusts le rend éligible pour le grand front populaire !
C'était, croyons-nous, l'époque de la main-tendue (1937), et la même condescendance fut manifestée pour nos jeunesses catholiques :
"Notre appui à la Ligue de Jeunesse Communiste et à la jeunesse en général ne doit pas arrêter l'évolution révolutionnaire de la jeunesse, mais doit aller chercher les jeunes dans les organisations non-politiques de jeunesse, chez les étudiants, les sportifs, dans les cercles éducationnels et culturels aussi bien que dans les organisations d'église, comprenant même la Jeunesse Catholique."
Le Parti Communiste du Canada n'oublie personne. Il s'incline vers toutes les misères, tous les groupes qui ont la vie dure : les manœuvres, les femmes, le service domestique. Les carences indéniables de notre régime actuel préparent le champ au communisme.
Le programme du front populaire est attrayant. Il comprend justement tout ce que nos grands partis disent parfois qu'ils vont faire, mais dont on ne voit jamais un commencement d'exécution :
a) Législation pour assurer la sécurité du peuple ;
b) Législation pour sauver l'agriculture ;
c) Politique fiscale démocratique ;
d) Une chance à notre jeunesse ;
e) Législation ouvrière fédérale ;
f) Politique étrangère de paix.
Tout cela par l'application des principes de Marx et de Lénine. Aussi Tim Buck recommande l'étude du marxisme-léninisme, la distribution de littérature, un plus grand appui au journal communiste The Clarion.
Dans notre prochaine étude, nous traiterons de l'action communiste dans le domaine de la publicité et de l'éducation. Pour aujourd'hui, terminons par cette phrase extraite du même discours de Tim Buck :
"Notre premier devoir comme communiste est de construire notre parti avec la collaboration de tous les éléments progressifs. La Convention Nationale doit établir un programme de 25,000 membres pour l'année qui s'en vient (ils comptaient alors 15,000). Recruter des membres au parti, tout en participant à étendre la circulation de notre journal The Clarion, sont deux devoirs primordiaux à placer sur un pied d'égalité avec le paiement des contributions. Voilà des responsabilités qu'aucun membre de notre parti ne saurait éviter sans porter préjudice à son pays, à sa classe."
D'après les renseignements de AGENT SECRET No 17.