La pauvreté a-t-elle sa place chez nous ?

Louis Even le jeudi, 01 octobre 1936. Dans Octobre

Il y a quelques mois, un journal hebdomadaire écrivait sous la plume de quelqu’un qui se pique de connaissances en économie sociale et politique :

“Le Crédit Social est une doctrine absurde et utopique, il prétend abolir la pauvreté. Or l’Évangile rapporte ces paroles de Notre Seigneur : Il y aura toujours des pauvres parmi vous.”

Et voilà la condamnation formelle du Crédit Social, d’après cet écrivain qui prend sans doute ses lecteurs pour des “pauvres d’esprit.”

Il convient de s’entendre sur les termes. La pauvreté est, dans un sens, une chose relative, comme aussi la richesse. Il y aura toujours des gens plus pauvres ou moins riches que d’autres. Il y aura aussi toujours des souffrances : physiques et morales, maladies, deuils, séparations, froissements, incapacités du corps ou de l’esprit. Bien de ces choses cependant se trouveraient fort adoucies si nous avions un système économique sain.

Ce que le Crédit Social prétend abolir, c’est le dénuement, la privation de l’indispensable, dans un pays qui surabonde de richesses actuelles ou potentielles. Ce degré de pauvreté est évitable et ne devrait pas être toléré au Canada. Nous ne sommes plus aux siècles où la production était le problème capital. II faut être aveugle pour ne pas s’apercevoir des progrès immenses accomplis dans ce sens surtout depuis une quarantaine d’années. Faut-il que ces progrès de l’humanité soient au bénéfice de quelques-uns seulement ? Ne sont-ils pas le résultat des études, des recherches et du travail des générations qui nous ont précédés ? Faut-il qu’on cesse de produire les richesses plutôt que d’en permettre la jouissance à la multitude ?

De vouloir citer une parole du bon Maître pour défendre un système économique égoïste, immoral et criminel, c’est semer la haine et la révolte dans les cœurs. Il y a des souffrances et des injustices qui ne se supportent pas indéfiniment. Prêchez la soumission à la volonté divine, oui ; mais commencez par revendiquer les droits des opprimés, victimes de volontés bien humaines. Combien nous préférons cette remarque du Pape régnant, tirée de son immortelle encyclique :

“L’organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin, alors seulement qu’il procurera à TOUS et à CHACUN de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l’industrie, ainsi que l’organisation vraiment sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer. Ces moyens doivent être ASSEZ ABONDANTS pour satisfaire aux besoins d’une honnête subsistance et pour élever les hommes à ce degré d’aisance et de culture qui, pourvu qu’on en use sagement, ne met pas obstacle à la vertu, mais en facilite au contraire singulièrement l’exercice.”

Voilà qui sonne autrement mieux évangile et christianisme que le raisonnement idiot du journaliste de P.Q.

Mais le Canada est-il assez fourni de ressources naturelles et de valeurs productives pour que “tous et chacun” de ceux et celles qui composent la population du Canada aient droit à un “certain degré d’aisance et de culture ?” Ou bien faut-il que le degré minimum au Canada se borne à tenir l’âme et le corps ensemble, au risque de former une génération d’anémiés, de tuberculeux, de scrofuleux et de rongés par les soucis ?

Pour la réponse à cette question, nous laissons la parole à M. Blackmore, pour deux raisons : premièrement parce que ces extraits des débats de la Chambre des Communes répondent droit à la question en termes très simples ; deuxièmement, parce qu’ils prouvent que s’il y eut des députés à faire entendre une note humaine et sensée à la dernière session du Parlement d’Ottawa, lorsqu’il était question de sujets économiques et financiers, ce furent surtout, et presque exclusivement, ceux du groupe Crédit Social.

On sait, en effet, que M. Blackmore, député albertain, est le leader du Crédit Social au Parlement fédéral. Voici donc, en modifiant légèrement la forme de la traduction officielle, les paroles de M. Blackmore à la Chambre le 5 mai dernier :

“Tout d’abord la pauvreté n’a pas sa raison d’être chez nous. Dans tout ce Dominion, la pauvreté n’a pas sa raison d’être, et tout gouvernement qui continue à laisser subsister la pauvreté, ou ne sait pas ce qu’il faut faire, ou refuse d’appliquer les remèdes.

“Nous avons des vivres en abondance ; nous pouvons en produire en plus grande quantité encore. J’ai constaté récemment une tendance à faire à ce sujet des discussions académiques. Mais parlons aujourd’hui le langage du simple bon sens.

“Se trouve-t-il un seul député dans cette enceinte qui prétende que notre pays ne puisse produire toutes les céréales dont-il a besoin ? Ou que le Canada ne puisse produire les dérivés du grain : farine de blé, farine d’avoine et le reste ? Qu’il se lève, ce député, s’il existe. Il passerait pour absurde, n’est-ce pas ?

“Et qui soutiendra sérieusement que nous ne pouvons produire tout le bœuf, le porc, le mouton et les autres viandes que réclame notre alimentation ? Quelqu’un doute-t-il vraiment de notre capacité à fournir tous les laitages — lait, crème, beurre ou fromage — dont nous avons besoin ? Si nous en étions incapables, si la demande effective dépassait la capacité de production, on verrait monter les prix de toutes ces denrées, alors qu’au contraire les prix en sont tombés à un niveau qui décourage les éleveurs.

“Et ne pouvons-nous cultiver assez de pommes de terre et d’autres légumes pour répondre aux demandes des consommateurs ? De même pour une grande variété de fruits.

“Quant aux vêtements, nous savons qu’il nous est certainement possible de produire la laine en quantité suffisante. Ainsi du cuir et des articles de cuir ; des chaussures et des articles de vêtement, même si certaines espèces doivent venir d’autres climats.

“Quelqu’un peut-il mettre en doute notre capacité d’ériger tous les abris nécessaires ? L’abondance de matériaux et de main-d’œuvre habile non utilisés lui donnerait le démenti. Tout ce que nous avons à faire pour produire toutes ces choses, s’il n’y en a pas assez, c’est de mettre à l’ouvrage les centaines de mille ouvriers qui chôment et ne demandent qu’à travailler.

“Va-t-on nier sérieusement que nous puissions trouver au Canada tout le combustible nécessaire aux Canadiens ? Qu’on songe un peu aux vastes régions carbonifères que renferment l’Alberta et d’autres parties du pays.

“Et maintenant j’en arrive à l’instruction et à la culture. Nous pouvons assurément obtenir au pays toute l’instruction que nous voudrons. Nous avons des professeurs et des écoles, et qui nous empêche de multiplier celles-ci ? Pourquoi alors les moyens de s’instruire davantage sont-ils refusés à tant de jeunes ?

“Il y a au Canada abondance, d’aucuns disent surabondance, de moyens de transports. Outillés comme nous le sommes à ce point de vue, personne ne devrait être privé d’une certaine mesure généreuse de moyens de transport.

“Allons-nous parler d’hygiène et d’autres services ? Nous avons à notre portée tous les moyens de nous les procurer. Un bon nombre de médecins, de dentistes, d’oculistes, qui chôment actuellement, seraient en mesure de soigner nos enfants, de traiter leurs dents et leurs yeux. Pour quelle raison ne bénéficions-nous pas de ces avantages ?

"Je soutiens, Monsieur l’Orateur, en face de la situation actuelle, qu’il est absolument absurde de nous arrêter même à l’idée que la pauvreté peut exister dans un pays comme le nôtre. Et la question se pose : De quelle façon allons-nous donner une solution au problème, car nous avons, il semble, des difficultés notoires à surmonter avant de partager cette abondance de production disponible. Pourquoi ? Qui nous retient ? Les économistes qui ne sont pas liés par les vieilles formules sont assez généralement d’opinion que l’argent est à la base de tous nos ennuis.

“Toutes les difficultés que nous éprouvons se concentrent autour de cette chose — l’argent. Où allons-nous nous procurer l’argent nécessaire et comment allons-nous le reporter entre les mains des gens qui en ont besoin ? "

***

À la double question qui termine ces extraits, le Crédit Social offre une solution. Nous l’apprendrons en étudiant le système. Pour le comprendre, il est certaines fausses notions sur la monnaie et sa provenance qui ont été délibérément entretenues dans le public pour protéger, en le voilant, le jeu des exploiteurs, et qu’il convient d’abord de dissiper. Les articles qui suivent tendent à faire la lumière.

Louis Even

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